Le président de la Banque africaine de développement (BAD) a appelé les pays africains à se détourner des emprunts accordés en échange de leurs abondantes ressources naturelles, dans une récente entrevue avec l’Associated Press à Lagos, au Nigeria.
Pour Akinwumi Adesina, ces emprunts « sont tout simplement mauvais, avant tout parce que vous ne pouvez pas évaluer correctement les actifs ». M. Adesina a aussi mis en lumière les défis d’évaluation des ressources telles que les minéraux ou le pétrole dans des contrats à long terme. « Si vous possédez des minéraux ou du pétrole sous terre, comment déterminer le prix d’un contrat à long terme ?
C’est un défi ».
M. Adesina a souligné « plusieurs problèmes liés aux prêts adossés aux ressources naturelles, notamment l’opacité des accords et leur impact sur la viabilité de la dette. Ces prêts détournent souvent les revenus essentiels des ressources naturelles du remboursement des dettes envers des entités comme celle qu’il dirige ou le Fonds monétaire international (FMI), comme on l’a vu dans la lutte du Tchad, à la suite d’un prêt adossé au pétrole du leader de négoce de matières premières », Glencore, a-t-il rappelé.
Interrogé sur les critiques visant les prêts chinois sécurisés par des ressources telles que le pétrole ou encore le cobalt et le cuivre utilisés dans les véhicules électriques, et la bauxite, cruciale dans la production d’aluminium, et présents dans les accords avec la Guinée et le Ghana, entre autres pays, le responsable Nigérian a souligné l’importance de ne pas diaboliser un pays mais de renforcer les compétences de négociation et la gestion de la dette des pays africains.
Le président de la Banque africaine de développement qui a souligné l’importance de la capacité des pays africains à négocier, planifier et gérer efficacement leurs dettes a expliqué qu’« il ne s’agit pas de pointer du doigt un pays en particulier ; n’importe quel pays peut exploiter quand on ne sait pas ce qu’on fait ».
L’attrait pour les prêts adossés à des ressources naturelles réside dans leur capacité à fournir rapidement du capital pour le développement d’infrastructures, en associant le remboursement aux revenus futurs tirés de ces ressources.
Toutefois, le modèle présente des risques significatifs. A titre d’illustration, le fameux « contrat du siècle », signé en 2008 entre la Chine et la République démocratique du Congo (RDC) organisant un échange cobalt et cuivre contre des infrastructures. Mi-février 2023, l’Inspection générale congolaise des finances avait dénoncé dans un rapport « un important déséquilibre financier » au détriment de Kinshasa.
Devant cette situation, la RDC a insisté pour renégocier son accord de 2008 avec la Chine et obtenir des conditions plus favorables, notamment une participation majoritaire de 70 % dans la Société sino-congolaise des mines (Sicomines), une coentreprise spécialisée dans l’exploitation du cuivre et du cobalt, contre 32 % précédemment, a relayé l’Agence Ecofin qui a ouvert ses colonnes à Akinwumi Adesina.
En réponse à ces défis, Adesina a proposé comme alternative l’Alliance pour l’Infrastructure Verte en Afrique de la Banque Africaine de Développement, visant à lever 10 milliards de dollars pour des projets d’infrastructures durables, notamment dans les secteurs de l’énergie et des transports.
Pour rappel, une étude du Natural Resource Governance Institute (NRGI) sur 52 prêts adossés aux ressources naturelles (en Afrique subsaharienne et Amérique latine), octroyés de 2004 à 2018 pour un montant total de plus de 164 milliards de dollars, révèle que 30 de ces prêts, représentant 66 milliards de dollars, ont été accordés à des pays d’Afrique subsaharienne.
Parmi ces derniers, 53% du montant total emprunté provient de deux banques publiques chinoises, la China Development Bank (CDB) et la China Eximbank, le solde étant majoritairement attribué par des négociants internationaux en matières premières, en particulier dans les cas du Tchad, de la République du Congo et du Soudan du Sud.
Dénonçant la responsabilité directe des leaders africains dans ces prêts, Evelyne Tsagué, codirectrice Afrique de NRGI a relevé dans des propos relayés par l’Agence Ecofin que « les dirigeants africains ont souvent contracté ces prêts pour contribuer à leurs propres ambitions politiques à court terme, leurs pays se retrouvant par voie de conséquence lourdement endettés et confrontés au risque de perdre des garanties valant plus que la valeur du prêt lui-même ».
Il convient cependant de préciser que malgré les risques notables, les prêts adossés aux ressources naturelles peuvent représenter une source alternative de financement pour les pays à faible revenu ou à revenu intermédiaire, voire des opportunités, si certaines conditions comme la transparence, l’évitement de l’utilisation des ressources comme garantie, l’inscription du prêt au budget, l’implication d’experts dans les négociations, le respect de niveaux d’endettement raisonnables…sont respectées, souligne le rapport de NRGI.
VivAfrik