Un sol en miroirs qui donne le vertige et des sculptures de vieillards en fauteuil roulant semblables à des zombies : à Paris, la Bourse de commerce dévoile progressivement depuis mercredi sa nouvelle exposition d’oeuvres de la collection François Pinault.
Intitulée « Le monde comme il va », elle mettra en lumière à partir du 20 mars jusqu’en septembre « une soixantaine d’oeuvres de cette collection privée qui en comprend plus de 10.000, réunies dans leur rapport au présent et à l’actualité, avec des artistes qui réagissent et dont les œuvres font réagir », dit Jean-Marie Gallais, son commissaire, à l’AFP.
« Face aux excès et aux paradoxes du monde, les artistes se font lanceurs d’alerte, prophètes, visionnaires, philosophes, parfois cyniques et ironiques, souvent poètes et ré-enchanteurs », souligne-t-il.
A l’instar de l’Allemand Sigmar Polke, dont un immense tableau coloré montre « une scène de cirque avec un éléphant et un saltimbanque en équilibre précaire, comme sur des pièces d’échec, reflétant l’instabilité du monde et une planète prête à sombrer qui retrouve quand même son équilibre », explique ce spécialiste.
Dans la même salle, les visiteurs sortent immanquablement leur smartphone : 13 fauteuils roulants automatiques transportent des vieillards sculptés, hyperréalistes et grandeur nature, formant une chorégraphie macabre. Ils sont l’œuvre du duo d’artistes chinois Sun Yuan et Peng Yu.
« Monde à l’envers »
« Figures de pouvoir politiques, religieuses, militaires, du passé et du présent, dotés de capteurs pour éviter les obstacles, ils sont regroupés comme une instance qui serait censée diriger le monde et aurait totalement perdu le contrôle », commente M. Gallais.
Les deux artistes ont aussi conçu un grand vautour, en fibre de verre, silicone et plumes, baptisé « Waiting » (Attente). Il est placé dans l’encadrement d’une fenêtre aux côtés des célèbres pigeons empaillés du plasticien Maurizio Cattelan, devenus les mascottes du musée, avec une petite souris blanche de Ryan Gander qui parle en bégayant depuis un trou dans le mur.
Dans la rotonde située au cœur du bâtiment, une expérience unique attend les visiteurs : le sol y a été recouvert de miroirs dans lesquels ils se reflètent, comme la gigantesque fresque historique et le dôme du plafond.
Ce « monde à l’envers », dans lequel certains dansent, écartent les bras et se prennent en photo, fait perdre tout repère, obligeant à maintenir une solide position verticale pour ne pas sombrer dans ce qui ressemble à s’y méprendre au vide.
« Lorsque je suis entrée dans ce bâtiment, j’ai immédiatement vu que cet espace pouvait être considéré en miroir comme une sphère ou un vêtement enveloppant l’humanité en lui », explique à l’AFP l’artiste sud-coréenne Kimsooja, à qui le musée privé a donné carte blanche.
Figures établies et jeunes artistes
« En plaçant ses pieds sur les miroirs, le public prend conscience de sa présence, du sens de son existence aussi peut-être. C’est une approche épurée, plus humble que les jeux de lumières avec lesquels je travaille habituellement », ajoute l’artiste, qui présentera sa série de films autour du tissage et des liens humains à l’auditorium.
Près de la moitié des œuvres exposées, réalisées depuis les années 1980, le sont pour la première fois.
Aux côtés de figures établies comme la photographe Cindy Sherman ou Maurizio Cattelan – dont une sculpture d’Hitler agenouillé de dos, ressemblant à un enfant, fait sursauter le visiteur qui découvre son visage -, on découvre une génération d’artistes plus jeunes, dont l’Allemande Anne Imhof, l’Irakien Mohammed Sami, le Français Pol Taburet et le Pakistanais Salman Toor.
Le Balloon dog (Magenta), chien-ballon de Jeff Koons, voisine avec une armoire à pharmacie de Damien Hirst intitulée (The Fragile Truth – la fragile vérité), des photos du Concorde par l’Allemand Wolfgang Tillmans ou la « Tabula Rasa », table entièrement pulvérisée et reconstituée par l’artiste colombienne Doris Salcedo, comme une métaphore du viol.
Une pièce est aussi dédiée à Elaine Sturtevant, qui a reproduit de mémoire la salle de Marcel Duchamp, avec 1.200 sacs de charbon au plafond, présentée lors de l’Exposition internationale du surréalisme en 1938.
afp