« C’est par l’Afrique et la francophonie que le français va se régénérer »

Comme chaque année, la France organise la « Semaine de la langue française et de la Francophonie » du 16 au 24 mars afin de promouvoir la langue française en France et à l’étranger. À cette occasion, le Journal de l’Afrique a reçu Cécile Canut, sociolinguiste à l’université Paris VI, pour évoquer le poids du français, ses usages et son enjeu en Afrique et dans la diaspora.

Elle répond également à ceux qui reprochent à Aya Nakumara ne pas maîtriser le français. 

En Afrique, la langue française coexiste avec de nombreuses langues nationales. Elle est particulièrement dynamique puisque plus de la moitié des 321 millions de francophones de la planète vivent sur le continent. Qu’apportent les locuteurs africains au français ? La réponse avec Cécile Canut, sociolinguiste à l’université Paris VI.

France 24 – Comment définissez-vous la pratique de la langue française en Afrique ?

Cécile Canut – C’est un petit peu compliqué parce que il y a une grande variété d’appropriations. Il y a une hétérogénéité très forte qui construit une manière de parler qui est à la fois du français et du français d’Afrique, comme certains l’appellent. Et cette appropriation, elle est du côté de la créativité, de l’innovation, du jeu et c’est ce qui est très important. J’ai travaillé essentiellement au Mali et chaque pays a sa spécificité en fonction de l’histoire coloniale, des langues qui sont déjà parlées. 

Pensez vous que la langue française soit de moins en moins bien parlée ?

En tant que linguiste et sociolinguiste, ce sont des discours que l’on entend en France depuis des siècles. Cette idée qu’il y aurait un français figé, un français pur, un français normé qui ne devrait pas bouger. Au contraire, on dit tout le temps que c’est par l’Afrique, la francophonie, que le français va se régénérer.

Ce sont des idéologies.

L’appropriation et surtout le jeu avec d’autres manières de parler font bouger la langue. De toute façon, cette langue n’a jamais été figée. Au Mali, on disait souvent la langue de Molière, mais Molière lui même, on le sait, n’est évidemment plus du tout compris aujourd’hui. Cette fluctuation permanente vient des locuteurs et elle travaille le langage.

Aujourd’hui on reproche à Aya Nakamura de ne pas bien parler ou ne pas bien chanter en français. Qu’en pensez-vous ?

Aya Nakamura est attaquée depuis des années. Elle cristallise toutes les idéologies linguistiques qui existent depuis des siècles : le déclin de la langue française, la suprématie de la norme, l’assimilation entre langue et culture, la décadence supposée des parlers jeunes mais surtout des jeunes de banlieue bien sûr et sans cesse.

On voit bien que dans toutes les critiques qui lui sont faites reviennent des discours que j’ai pu étudier concernant les langues et les imaginaires en Afrique, les imaginaires linguistiques issus de la colonisation.

On entend le mot petit nègre qui revient, on entend la supposée primitivité de sa manière de parler, le terme négritude qui revient dans ses critiques. On voit bien qu’il y a un continuum entre la manière d’appréhender le français et les pratiques langagières des Africains en général. Jusqu’à aujourd’hui, avec la migration, il y a cette idée que les Africains ne seraient pas censés bien parler le français.

Aya Nakamura, déjà, c’est une chanteuse. Il y a une chose dont personne ne parle, qu’on aime ou qu’on n’aime pas, c’est le rythme, c’est la prosodie.

C’est des tas d’éléments qui sont liés au français que j’ai pu voir par exemple dans le nouchi en Côte d’Ivoire. C’est une pratique langagière passionnante de ce point de vue là. Il y a sans cesse une innovation, une créativité à l’œuvre. Elle cristallise donc aujourd’hui l’ensemble de ces attaques. Mais on voit bien que c’est autre chose qui est visé.

C’est une femme en plus, une femme africaine ou en tout cas une femme française mais d’origine africaine. 

Dans le cadre de la « Semaine de la langue française et de la Francophonie » et de la journée internationale de la Francophonie, France 24 consacre une partie de ses programmes à la Francophonie.

Semaine de la langue française et de la Francophonie

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