Burkina Faso : Kamou Malo- “il faudra qu’on m’explique pourquoi ils ont refusé ma candidature” [Exclu]

Sélectionneur des Etalons du Burkina Faso entre 2019 et 2022, Kamou Malo s’est confié à coeur ouvert dans cet entretien exclusif accordé à Afrik-Foot. De son éviction après la 4e place à la CAN en 2022, au choix Hubert Velud pour le remplacer en passant par le récent appel à candidatures pour le poste de sélectionneur, dont il a été exclu, l’homme de 60 ans n’a éludé aucun sujet. Entretien avec un coach dont les prises de parole sont rares et dont chaque mot est mûrement réfléchi.

Entretien réalisé par Yoro Mangara

Kamou Malo, vous avez remporté le championnat du Burkina Faso 2023 avec l’équipe de la Douanes. Vous avez aussi été champion avec le Rail Club de Kadiogo, c’est quoi votre talisman ?

J’ai simplement eu la chance de remporter des titres avec au moins deux clubs différents. En résumé, je ne suis jamais loin de la première place depuis que je suis dans le football du Faso.

Comment expliquez-vous la régression des grands clubs du Faso comme l’Asfa Yennenga, le Rail Club de Kadiogo ou encore l’Etoile Filante de Ouagadougou ?

C’est simple, le football d’aujourd’hui demande beaucoup de moyens. Il faut avoir un budget conséquent. Ici, les sponsors ne sont plus présents et ça se fait ressentir. Les clubs qui marchent un peu aujourd’hui appartiennent aux anciens footballeurs qui ont compris que le football est avant tout aujourd’hui un business et ils ont décidé d’investir dedans.

Force et de reconnaitre que la forme associative de nos grands clubs que vous venez de citer comme le Rail Club, Asfa Yennenga ou Etoile Filante ne marche plus.

Vous étiez demi-finaliste de la Coupe d’Afrique des nations en 2022 au Cameroun avec les Etalons… Comment aviez-vous fait pour sublimer votre groupe ?

Pour moi, le football n’a pas de secret. C’est le travail ! Travailler et être un rassembleur. J’avais une bonne équipe autour de moi. A cela s’ajoute l’entente et la discipline. Personne ne nous attendait à ce niveau de la compétition. Mais avec le travail et la discipline on peut réussir des choses extraordinaires.

“Ça fait très mal d’être traîné ainsi dans la boue”

Comment peut-on se séparer d’un entraîneur demi-finaliste d’une compétition comme la CAN ?

Ça dépend de quel côté on se situe. Comme vous l’avez souligné, faire une demi-finale d’une coupe d’Afrique n’est pas donné à tout le monde. Je ne suis pas le décideur, j’ai accepté leur décision ! Seul le décideur sait pourquoi je n’ai pas été conservé, il faudra le lui demander.

Ça vous a fait mal de ne pas avoir eu la chance de continuer l’aventure ?

Si je vous dis que ça ne m’a pas fait mal, je mens. En tant que compétiteur, j’ai toujours envie de continuer, de gagner pour mon pays. J’avais même commencé à me projeter sur la CAN ivoirienne, car j’avais pris gout… Malheureusement, ça s’est arrêté là.

Mon contrat qui arrivait à terme n’a pas été renouvelé.

Ça m’a fait mal, c’est vrai ! Mais ce qui m’a fait le plus mal, c’est la campagne de dénigrement qui s’en est suivie. Quand vous avez une famille, ça fait très mal d’être traîné ainsi dans la boue. Aujourd’hui, je comprends, le football est une affaire de passion et d’ambitions, mon ancien employeur avait d’autres ambitions pour les Etalons, j’accepte sa décision.

Pourquoi on change tout le temps de sélectionneur au Burkina alors que vos voisins comme le Sénégal travaillent sur la durée ?

Bon… Je ne ferai pas dans la langue de bois, c’est un manque d’organisation. Je crois qu’un président de fédération qui arrive pour diriger le football de son pays doit avoir un programme, avec des ambitions. Je n’ai pas l’impression que ça soit le cas au Burkina. Je vais vous dire, quand le président de la fédération burkinabé de football a pris fonction (Lazare Banssé en août 2020, ndlr), il a déjà voulu se séparer de moi, malheureusement pour lui, j’avais déjà qualifié les Etalons à la CAN.

J’ai été prolongé de 18 mois. Il voulait que je parte, mais il n’aurait pas eu d’arguments pour expliquer aux Burkinabè pourquoi je ne suis pas conservé. Ailleurs, les présidents travaillent sur la durée. Chez nous, on prend la présidence de la fédé sans avoir un programme qui tient la route.

“Ce n’est pas de la faute de Velud”

Hubert Velud qui vous a remplacé, a fait moins bien que vous. Le Burkina Faso a été éliminé en 8es de finale de la CAN ivoirienne…

C’est normal ! C’était prévisible. L’employeur qui a fait venir Velud avait fini par créer un environnement hostile. Ce n’est pas de sa faute. Ce n’est pas facile de travailler dans un environnement hostile. Hubert Velud est arrivé au Burkina dans une période où le monde sportif était divisé. Ce n’est pas facile de faire des résultats dans ces conditions.

Hubert Velud, Burkina Faso, sélectionneur

Hubert Velud vous a- t-il contacté afin que le passage de témoin se fasse dans la douceur ?

Non, il ne m’a pas contacté malheureusement. Ce n’est pas parce qu’il ne le voulait pas, ou que je ne le voulais pas. C’est l’environnement dans lequel nous étions qui ne nous permettait pas une rencontre. Sans cela, je l’aurais rencontré. C’est toujours enrichissant de rencontrer un technicien.

Mais comme je vous l’ai dit, l’atmosphère n’était pas favorable. Je voulais éviter qu’on dise que c’est moi qui suis à l’origine de telle ou de telle chose. Je ne voulais même plus entrer en contact avec les joueurs de la sélection. C’est mieux ainsi !

“Nous sommes tous responsables, tous coupables”

Cet échec à la CAN ivoirienne… A qui la faute ?

Peut-on l’appeler gâchis ? On peut dire oui, si on compare le parcours de 2024 au parcours de 2022 car nous avions une belle équipe. A qui la faute ? Je dirais le monde du football burkinabé, tous les acteurs du football burkinabé. Il faut avoir le courage de le dire.

Quand certaines décisions sont prises sans qu’il n’y ait personne pour lever la voix pour dire non, nous sommes tous responsables. Je ne vais pas accuser Jean ou Paul. Si nous laissons une seule personne décider du sort du sport de toute une nation, nous sommes tous responsables.

Une seule personne ne doit pas pouvoir décider pour toute un peuple.

Quand, dans un pays, le Comité Exécutif d’une fédération n’a pas son mot à dire, il n’a pas droit au chapitre, je le dis, parce que je le sais, une seule personne, peut-être avec son directeur de cabinet, décide pour tout un pays, c’est normal qu’on se trompe souvent.

Si les décideurs avaient réussi, ils allaient bomber le torse et montrer aux yeux du monde, qu’ils ont réussi leur pari.  Maintenant qu’ils ont échoué, nous sommes tous responsables, tous coupables ! Nous sommes tous coupables pour ne pas avoir pris les bonnes décisions au moment de trancher.

“Ma candidature a été écartée dès le départ”

Avez-vous été contacté pour remplacer Hubert Velud ?

Pas du tout. Je pense que vous avez suivi les tractations. Ma candidature, si candidature il y a, parce que les gens ont fait une consultation restreinte, ils n’ont pas fait un appel à candidatures. Ils ont copté des personnes ciblées tout en mentionnant, en précisant, que ma candidature ne sera pas acceptée.

Je n’ai pas eu la chance de participer au choix du sélectionneur.

Ma candidature a été écartée dès le départ. Je n’ai pas de regrets car ma candidature a été écartée dès le départ. Si j’avais pu candidater, j’aurais pu aujourd’hui nourrir des regrets, mais tel n’est pas le cas.

Pourquoi avez-vous été écarté ?

Ceux qui l’on fait pourraient vous donner une explication à ça. Moi, je ne sais pas, je ne sais pas si j’ai cessé d’être Burkinabé ou pas ?  Ou bien, c’est parce que Velud m’a remplacé, ils ne pouvaient concevoir que je le remplace à mon tour ?

Je ne sais pas honnêtement !

Kamou Malo, Burkina Faso sélectionneur

Et pourtant ça se fait ailleurs, Ancelotti et Zidane l’ont fait au Real Madrid ?

Les gens n’ont pas ici cette réflexion. Un sportif, un compétiteur doit pouvoir être au-dessus de son ego. Je ne suis pas sûr que les personnes qui ont pris cette décision sont des sportifs au vrai sens du terme. On doit pouvoir mettre nos egos de côté pour le bien du football burkinabè. L’équipe nationale dépasse nos personnes respectives.

La sélection est au-dessus de Kamou Malo, elle dépasse aussi le président de la fédération burkinabè de football. L’équipe nationale est une institution qui mérite respect ! Chacun doit mettre de l’eau dans son vin et ne pas trancher avec des sentiments. Je crois qu’ils ont poussé le bouchon trop loin.

Il m’arrive de me poser des questions du genre : qu’est-ce que j’ai pu faire qui soit irrémédiable ? Je me demande même parfois si je n’ai pas fait une chose tellement grave au point d’avoir perdu ma nationalité burkinabè. En tout cas, il faudra qu’on m’explique un jour, pourquoi je n’ai pas eu le droit de présenter ma candidature pour le poste de sélectionneur.

Je crois être burkinabè, j’ai servi sous le drapeau de mon pays en tant que policier, je connais les valeurs de la république.

Qu’on vienne me dire que je n’ai pas le droit de déposer mon dossier pour ce poste, avec toute cette campagne médiatique autour. Je crois que ce n’est pas juste. C’est une démarche qui m’a vraiment choquée et, jusqu’à présent, je n’arrive pas à me l’expliquer.

“Si Brama a besoin de moi, je serai là”

Passer de Kamou Malo à Velud et de Velud à Brama Traoré, n’est-ce pas une perte de temps ?

Le fait que le choix soit porté sur Brama Traoré me rassure. C’est un technicien que je connais, nous avons joué ensemble en sélection. C’est un choix judicieux car Brama connaît la sélection, il a été joueur et membre de l’encadrement technique. Il faut que les techniciens locaux fassent bloc autour de lui afin qu’il réussisse sa mission.

Aujourd’hui il est le porte-drapeau de tous les techniciens locaux. Nous devons nous unir autour de sa personne et œuvrer pour sa réussite, qui sera aussi la réussite des techniciens locaux. Le combat que Brama va mener à la tête de la sélection, sera le combat de tous les entraîneurs locaux.

Seriez-vous prêt à travailler avec lui ?

Pourquoi pas ? Quand j’étais sélectionneur, il me parlait souvent. On échangeait pour le bien du football burkinabè. Aujourd’hui, si Brama a besoin de moi, je serai là. Je serais prêt à l’épauler. Je reste ouvert. De toute façon, mon combat a toujours été qu’on fasse confiance aux entraîneurs locaux, et c’est fait ! je souhaite du fond du cœur qu’il réussisse avec l’équipe nationale.

Pour moi, ce n’est pas une sélection, c’est notre équipe nationale, les couleurs de notre nation.

Kamou Malo, Burkina Faso sélectionneur

Vous le connaissez bien, quel genre de personne est-il ? C’est quoi son mode de mangement ?

Je le connais, c’est quelqu’un qui a un caractère très tempéré, pas trop bouillant. Mais ce n’est pas parce qu’il n’est pas trop bouillant qu’il ne va pas décider, qu’il ne va pas trancher dans le vif. La preuve, vous avez vu ses premières décisions à la tête de la sélection avec la non-convocation de cadres comme Bertrand Traoré, Issoufou Dayo et Hervé Koffi.

C’est ça aussi que l’on demande au coach, savoir trancher et imposer ses idées.

Je vous dis sincèrement qu’il est parti pour réussir s’il y a une union sacrée autour de sa personne. Je sais de quoi je parle parce que nous sommes en Afrique, nous sommes au Burkina, il a besoin d’un environnement apaisé pour réussir sa mission.

Peut-on avoir un environnement apaisé en ne convoquant pas Bertrand Traoré, Issoufou Dayo et Hervé Koffi ?

Vous savez, c’est le métier qui veut ça. On nous demande de trancher, de décider. Maintenant ce n’est qu’un match amical. Je comprends en tant que technicien, le fait qu’ils ne soient pas convoqués. Nous connaissons tous leur talent. Ils n’ont pas besoin de se montrer dans un match amical.

Peut-être que Brama veut profiter de cette fenêtre internationale avec les matchs amicaux pour voir d’autres joueurs.

Il y aurait pu avoir une communication en amont pour éviter cette polémique. Cela aurait pu éviter de voir la presse distiller autre chose. A part ça, c’est son droit le plus absolu. Il connait encore une fois l’environnement du football burkinabé, il sait pourquoi il a pris cette décision.

Je suis sûr qu’il est à la recherche de quelque chose. Il faut savoir en football respecter les choix de l’entraîneur. Un coach n’est pas seulement attendu sur ses choix, il est aussi attendu sur ses résultats. Et pour qu’ils puissent être positifs, il faut le soutenir dans ses choix !

Je fais entièrement confiance à Brama Traoré pour redresser la barre surtout après les problèmes soulignés après la CAN.

Je ne pourrai pas m’épancher sur les problèmes car je n’étais pas à la CAN, je l’ai lu comme tout le monde sur les réseaux sociaux. Brama encore une fois est un homme intelligent, il a déjà annoncé la couleur en disant lors de sa première conférence de presse qu’il ne fera pas de bagarre par procuration.

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