Gandi Mole : « C’est en RDC que nous avons identifié un réel potentiel de valorisation du cacao »

Mole Groupe s’est fixé le pari de lancer une initiative de cacao équitable et durable, au cœur de la République démocratique du Congo. Malgré les défis liés au contexte sociopolitique et aux infrastructures, Gandi Mole (PDG et fondateur) et son partenaire Aydin Tor (Directeur commercial) voient un potentiel inexploité pour la valorisation du cacao local. Dans une interview accordée à l’Agence Ecofin, ils évoquent leur stratégie pour surmonter les obstacles et créer une chaîne d’approvisionnement durable, tout en améliorant les conditions de vie des producteurs locaux. 

Agence Ecofin :  Votre entreprise s’est lancée dans un ambitieux projet de développement du cacao au cœur de la République démocratique du Congo, plus précisément dans la région du centre-ouest. Compte tenu de l’instabilité sociopolitique du pays, cette initiative peut paraître audacieuse, voire surprenante.

En effet, lorsqu’on évoque le cacao africain, on pense immédiatement à la Côte d’Ivoire et au Ghana, puis, dans une moindre mesure, au Cameroun et au Nigeria. Pouvez-vous nous expliquer comment ce projet a vu le jour ?

Gandi Mole : En tant que société internationale spécialisée dans le négoce de matières premières, nous avons commencé à nous intéresser au cacao dès 2018. Nous travaillons en effet avec les principaux pays producteurs que vous avez mentionnés. Cependant, prenons l’exemple de la Côte d’Ivoire : nous sommes confrontés à des défis majeurs.

L’exportation des fèves de cacao et des produits finis s’avère complexe, car certaines multinationales sont favorisées. De plus, nous avons anticipé une baisse de la production dans les pays d’Afrique de l’Ouest. 

« Prenons l’exemple de la Côte d’Ivoire : nous sommes confrontés à des défis majeurs. L’exportation des fèves de cacao et des produits finis s’avère complexe, car certaines multinationales sont favorisées. » 

Face à cette situation, mon partenaire M. Tor et moi-même avons décidé d’explorer d’autres origines susceptibles de fournir cette matière première, tout en offrant une plus grande flexibilité au niveau des exportations. Nous nous sommes rendus dans plusieurs pays, en commençant par l’Angola, avant de nous intéresser à la forêt du Mayombe.

Cette quête nous a conduits en République démocratique du Congo, dans la province du Kongo Central, à Tshela plus précisément. C’est là que nous avons identifié un réel potentiel de valorisation du cacao de la région. Notre idée est née d’une prospection minutieuse à la recherche de nouvelles sources d’approvisionnement prometteuses.

Agence Ecofin :  Quand on parle d’opportunité, on ne peut s’empêcher de penser aux chiffres. Quel est le potentiel actuel du cacao au Kongo Central en termes de zone de production, d’acteurs impliqués et de volume ? Quelle est sa capacité à mettre des fèves supplémentaires sur le marché mondial ?

Gandi Mole : Avant de nous concentrer sur la province dans laquelle nous opérons, il est important de noter que, selon les derniers chiffres disponibles, la République démocratique du Congo exporte actuellement 55 000 tonnes de cacao par an.

Cependant, après une étude approfondie du secteur, nous sommes convaincus que ces chiffres sont sous-estimés et que le potentiel du pays est bien plus important. Il est vrai que le secteur n’est pas encore suffisamment maîtrisé et que de nombreuses données manquent. 

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« Le potentiel du pays est bien plus important. »

Dans la région où nous opérons actuellement, nous avons une capacité de production de 3500 tonnes par an. Cependant, nous pensons pouvoir aller bien au-delà de ces chiffres. La difficulté réside dans le fait qu’il n’existe pas, à l’heure actuelle, de base de données fiable permettant de déterminer avec précision la capacité de production du Kongo Central.

C’est pourquoi notre équipe, dirigée par M. Tor, travaille activement à la collecte et à l’analyse des données. Nous sensibilisons et enquêtons auprès des producteurs, étudions les zones échantillons et les plantations, afin d’avoir une idée plus précise de la capacité de production de la province.

Ce travail de longue haleine a commencé l’année dernière et prendra du temps.

Nous sommes convaincus que cette année, nous serons en mesure de fournir des estimations fiables de la capacité de production de la province. Il est important de souligner que même le gouvernement provincial ne dispose pas de données fiables à l’heure actuelle.

Agence Ecofin : Vous avez choisi de mettre en œuvre une stratégie de chaîne d’approvisionnement durable. Si les principes de durabilité peuvent varier d’un secteur à l’autre, comment s’appliquent-ils, dans le cas spécifique de votre projet, à la relation avec les producteurs et à la chaîne d’exportation ?

Gandi Mole : Une des premières choses qui nous a frappés en arrivant, c’est le manque de connaissances. Pour illustrer ce propos, je peux vous raconter l’anecdote d’un planteur qui est venu nous demander ce que nous allions faire du cacao.

« A notre grande surprise, il ne savait pas que le cacao était un produit alimentaire de base, utilisé notamment pour faire du chocolat. Pour lui, c’était un matériau industriel, comme le caoutchouc. »

A notre grande surprise, il ne savait pas que le cacao était un produit alimentaire de base, utilisé notamment pour faire du chocolat. Pour lui, c’était un matériau industriel, comme le caoutchouc. Vous imaginez notre étonnement !

Face à cette situation, nous avons décidé de mettre l’accent sur la formation.

Pendant plusieurs mois, nous avons organisé des sessions de sensibilisation et de formation pour les planteurs. Nous avons également constaté que tout le cacao était séché au feu de bois, ce qui posait un problème écologique majeur en termes de déforestation et d’émissions de fumée.

Nous avons donc pris le temps d’expliquer aux planteurs comment obtenir une meilleure saveur tout en préservant l’environnement. Malgré leur scepticisme initial, lié au climat humide de la région, nous avons réussi à leur prouver qu’il était possible de sécher le cacao au soleil, tout en maintenant un taux d’humidité inférieur à 7,5 %. C’était un véritable défi, mais nous avons réussi !

En plus de ces aspects techniques, nous avons investi dans les aspects sociaux de notre projet.

Nous avons augmenté les salaires de base versés dans la région, augmenté de 40 % le prix d’achat du cacao aux planteurs et pris en charge les frais médicaux des planteurs membres de notre coopérative, ainsi que les frais de scolarité de leurs enfants.

« Nous avons augmenté les salaires de base versés dans la région, augmenté de 40 % le prix d’achat du cacao aux planteurs et pris en charge les frais médicaux des planteurs membres de notre coopérative, ainsi que les frais de scolarité de leurs enfants. »

C’est par des actions concrètes comme celles-ci que nous avons cherché à ajouter de la valeur à notre chaîne d’approvisionnement, en plaçant la durabilité au cœur de notre approche.

Agence Ecofin :  Un aspect essentiel de votre stratégie est de redonner de la valeur aux planteurs en leur achetant le cacao à un prix beaucoup plus élevé qu’auparavant. Comment avez-vous réussi à presque doubler le prix offert à vos partenaires planteurs, tout en garantissant la survie de Mole Groupe, compte tenu des contraintes liées aux infrastructures de transport au Congo et des prix fixés par la demande mondiale et la spéculation ?

Aydin Tor : C’est une question pertinente et complexe. Comme vous l’avez souligné, les infrastructures en RDC, et particulièrement dans la zone où nous opérons, sont très problématiques. Cela génère des coûts supplémentaires que nous n’aurions pas à supporter dans d’autres pays, comme la Côte d’Ivoire, où les infrastructures sont plus développées. C’est l’une des principales difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

Il y a aussi les taxes à l’exportation élevées en RDC, que l’on ne retrouve pas dans d’autres pays.

Tous ces coûts supplémentaires ont un impact sur le prix que nous pouvons offrir aux producteurs. Cependant, nous opérons actuellement dans un contexte de prix du cacao très élevés. Notre défi est complexe et il est de trouver un équilibre entre le prix actuel, qui n’est pas garanti à long terme, et la nécessité de ne pas créer de faux espoirs chez les planteurs.

Nous devons profiter des prix records du cacao, tout en redistribuant une part équitable aux agriculteurs, mais cette part doit être réfléchie sur le long terme.

Comme l’a justement souligné M. Mole, nous voulons assurer un financement à long terme pour le volet social, qui englobe tous les aspects mentionnés. C’est un calcul délicat, je vous l’assure, mais il est essentiel pour assurer la pérennité de notre projet.

Agence Ecofin :  Les autorités congolaises ont également augmenté le prix plancher à payer aux producteurs, en réponse à votre politique visant à améliorer leurs conditions. Au-delà de cet impact, comment les autorités centrales et locales perçoivent-elles votre projet ? Quelles sont vos relations avec elles, et quelles sont vos attentes à leur égard pour permettre au projet de se développer et de s’étendre ?

Gandi Mole : Nous en sommes fiers aujourd’hui et j’aimerais revenir sur la question du prix. Nous avons reçu beaucoup d’éloges de la part du gouvernement, en particulier du gouvernement provincial et de l’Office Nationale des Produits Agricoles du Congo (ONAPAC). Notre décision d’augmenter les prix a eu un impact sur le gouvernement, qui a réagi en augmentant légèrement le prix fixé par les autorités.

C’est une fierté pour nous, car nous voyons que nos actions ont un impact, même modeste. Cela fait comprendre au gouvernement qu’il est possible de faire mieux, et ce genre d’initiative est crucial pour nous. 

« Notre décision d’augmenter les prix a eu un impact sur le gouvernement, qui a réagi en augmentant légèrement le prix fixé par les autorités. »

Nous savons qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour développer la filière en RDC, mais nous sommes convaincus qu’en continuant à innover à travers ces petites actions, nous pouvons contribuer à changer les choses.

Aujourd’hui, comme je l’ai mentionné, le gouvernement a accueilli favorablement notre projet, qui a créé des emplois et valorisé les producteurs. Nous sommes actuellement en discussion pour mettre en place un projet de plantation sur plusieurs hectares, avec de nouvelles surfaces. Pour répondre à votre question, oui, le gouvernement nous soutient, nous aide et nous appuie dans nos activités locales. 

Agence Ecofin :  La logistique, depuis la récolte des fèves jusqu’à leur transport vers les ports, reste un défi complexe. Quelle serait pour vous la situation idéale en termes d’infrastructures, compte tenu de la nécessité d’allouer judicieusement vos ressources entre le volet social, la rémunération des planteurs, le paiement des charges locales et d’autres éléments ?

Aydin Tor : Idéalement, le gouvernement devrait fournir l’infrastructure nécessaire, en particulier les routes. Actuellement, dans la région où nous opérons, toutes les routes sont en terre. Dans un climat tropical, vous pouvez imaginer les difficultés que cela pose en cas de pluie.

Le transport du cacao se fait dans des conditions très difficiles. Nous devons planifier nos transports en fonction de la météo, car dès qu’il pleut, les routes se transforment en ornières et en flaques d’eau, et les camions s’enlisent, nécessitant l’intervention de tracteurs. Les conditions sont vraiment très compliquées. 

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« Nous avons réussi à leur prouver qu’il était possible de sécher le cacao au soleil. »

Malheureusement, le gouvernement a encore des progrès à faire en ce qui concerne l’état des routes de la région, du moins pour l’instant. Je pense que la RDC devrait investir en priorité dans les infrastructures routières, qui sont le moyen de communication et le fondement de l’économie depuis la nuit des temps.

C’est pourquoi de nombreux pays investissent massivement dans les infrastructures routières, ferroviaires et autres. Cela permettrait au gouvernement congolais de développer son pays et d’attirer les investisseurs.

Notre décision de nous installer en RDC n’a pas été facile à prendre.

Lorsque nous sommes arrivés et que nous avons vu les conditions, nous étions quelque peu sceptiques. Mais malgré tout, nous avons décidé d’aller de l’avant car la RDC a un grand potentiel. Si le gouvernement veut développer son pays, il doit investir dans ses infrastructures.

Nous connaissons un peu tout le monde en RDC, surtout dans le secteur minier.

Mais l’exploitation minière est une arme à double tranchant, avec des impacts écologiques importants. Un pays ne peut pas compter uniquement sur ses ressources minières, qui s’épuiseront tôt ou tard. Je pense que la RDC devrait également s’intéresser au potentiel agricole du pays.

« Un pays ne peut pas compter uniquement sur ses ressources minières, qui s’épuiseront tôt ou tard. Je pense que la RDC devrait également s’intéresser au potentiel agricole du pays. » 

Nous sommes présents dans le secteur du cacao, mais compte tenu du climat et des terres arables disponibles en RDC, les possibilités sont immenses. Prenons l’exemple du Brésil, qui bénéficie également d’un climat tropical et qui a un impact considérable sur l’industrie agroalimentaire internationale.

La RDC a un avenir prometteur, c’est pourquoi nous pensons qu’il est judicieux de continuer à investir dans le secteur du cacao et, à l’avenir, dans l’agriculture en général, tout en préservant l’écologie. 

Agence Ecofin :  L’Union européenne a annoncé une nouvelle réglementation en vertu de laquelle tout le cacao issu de la déforestation ne sera plus autorisé à entrer sur son marché sans certification. Cette mesure entrera en vigueur dans les prochains mois, vers octobre ou novembre. Comment vous préparez-vous à cette échéance ?

Gandi Mole : Nous sommes très attentifs à cette question, car il est vrai qu’un certain nombre de réglementations sont sur le point d’entrer en vigueur, notamment en ce qui concerne la traçabilité des produits.

Comme je l’ai mentionné dans mon introduction, nous avons mis en place un programme complet de collecte de données qui nous permet de retracer l’origine des fèves : le planteur qui nous les a fournies, la région où il se trouve, les bacs dans lesquels elles ont été fermentées et séchées, etc. Nous avons vraiment travaillé sur un programme qui nous permet de garantir une traçabilité rigoureuse.

En ce qui concerne la déforestation, avant de nous implanter en RDC, nous avons mené des recherches approfondies et recueilli des informations, comme l’a souligné M. Tor.

Nous avons notamment vérifié si nos planteurs étaient situés dans des zones protégées ou non. A l’heure actuelle, nous pouvons affirmer avec certitude que nous n’opérons dans aucune zone protégée. Les arbres de nos planteurs sont vieux et bien établis ; il ne s’agit pas de nouvelles plantations. Pour les nouvelles plantations, nous avons pris soin de vérifier si la zone a été déboisée ou non, afin de préserver l’écosystème.

Nous avons vraiment pris toutes les précautions nécessaires et je pense que nous serons en mesure de nous conformer aux nouvelles réglementations qui entreront en vigueur. Pour l’avenir, nous continuerons à travailler en étroite collaboration avec le département de l’environnement de la RDC. Si nous devons planter de nouvelles zones, nous veillerons à prendre des mesures compensatoires. Nous sommes fermement engagés dans cette voie.

Agence Ecofin :  Pouvez-vous nous donner une idée du montant que vous avez investi à ce jour, tant dans la production que dans le développement de votre présence en RDC ? Un chiffre, si possible.

Gandi Mole : Sans entrer dans les détails, nous pouvons vous dire que nos investissements s’élèvent à plusieurs millions de dollars sur plusieurs années. Nous avons consacré des ressources importantes tant à la production qu’au renforcement de notre présence locale. 

Espoir 

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