Guerre à Gaza: ce que risquent les Franco-Israéliens auteurs d’exactions

Les combats continuent de faire rage dans la bande de Gaza où plus de 32 000 palestiniens ont été tués en cinq mois. La Cisjordanie occupée est en ébullition et les tensions et les heurts sont quotidiens à la frontière libano-israélienne. L’armée israélienne est sur tous les fronts. Dans ses rangs, de nombreux Français et binationaux qui ont choisi délibérément de partir au combat.

« T’as vu son dos. Ils l’ont torturé. Il s’est pissé dessus. Fils de pute. Fils de putain… »

Depuis lundi 18 mars, une vidéo est devenue virale sur les réseaux sociaux : celle, visiblement réelle selon la cellule de vérification de RFI, d’un soldat de l’armée israélienne parlant un français fluide, sans accent, qui filme avec son téléphone un détenu palestinien de Gaza sorti à moitié nu et ligoté d’un pick-up, en commentant la scène dans des termes injurieux.

Depuis le 7 octobre, des soldats, dont de nombreux Français et/ou binationaux, diffusent sur les réseaux sociaux des photos et des vidéos de leur quotidien.

Dans certaines d’entre elles, on voit des fêtes dans les maisons prises aux Palestiniens de Gaza, des mises en scène macabres où ils écrivent des messages sur les obus à l’encontre de défenseurs de la cause palestinienne en France, un soldat qui chante La Marseillaise en promettant aux Palestiniens les pires horreurs avant de pénétrer dans la bande la Gaza, des exactions commises envers des détenus, des pillages de maisons, etc.

Certains médias français, comme le JDD ou Europe1 ont d’ailleurs recueilli et diffusé ce type de témoignages.

Israël compte 9,5 millions d’habitants. Parmi eux, 170 000 militaires et quelque 365 000 réservistes. Comparativement, la France et ses 68 millions d’habitants compte 200 000 militaires et 43 000 réservistes. Par ailleurs, le service militaire en Israël est obligatoire, il est de trois ans pour les hommes et de deux ans pour les femmes (sauf pour les ultra-orthodoxes).

Depuis le début de la guerre à Gaza, de nombreux étrangers et/ou binationaux vivant à l’étranger ont décidé de rejoindre les rangs de l’armée israélienne.

Si les chiffres ne sont pas officiellement communiqués par l’armée, on estime à 4 000 le nombre de Français volontaires et de binationaux parmi les effectifs de l’armée, soit 2%. « 4 185 soldats en service régulier ont la citoyenneté française », affirmait en 2018 le porte-parole de l’armée.

La France est ainsi la deuxième nationalité étrangère la plus représentée dans l’armée israélienne après les États-Unis.

Sur le site officiel de l’armée, on peut prendre connaissance des conditions pour venir fournir les rangs de la troupe : âge, niveau d’hébreu, QI, ascendance juive (au moins un grand-parent de confession juive).

À noter que seule une douzaine de pays dans le monde ouvrent les portes de leur armée aux ressortissants étrangers, dont la France et les États-Unis, mais que seul Israël le fait sur l’unique critère religieux.

Que risquent les auteurs d’exactions ?
Jusqu’à présent, aucune poursuite contre des ressortissants français enrôlés dans l’armée israélienne et qui seraient les auteurs d’exactions n’a eu lieu depuis les premières guerres de Gaza. Il n’y a eu à ce jour que des plaintes contre des entreprises françaises-toujours en cours d’instruction-dont une partie des armes ou des composants électroniques avaient été retrouvés à Gaza.

Interrogé mardi 19 mars lors d’un point-presse sur d’éventuelles exactions commises par des ressortissants français, le porte-parole adjoint de la diplomatie française Christophe Lemoine déclarait : « On n’enquêtera pas sur ce que feront les [soldats] Franco-Israéliens vis-à-vis de leurs obligations militaires en Israël. » Quant à des poursuites judiciaires contre eux en cas de crimes contre les Palestiniens de Gaza, le porte-parole adjoint du Quai d’Orsay renvoyait la question à l’établissement de preuves ou la constitution de plaintes. Le mercredi 20 mars, Prisca Thevenot, porte-parole du gouvernement, interrogée précisément sur la vidéo diffusée depuis lundi sur les réseaux sociaux, allait dans le même sens, sans plus de précisions.

Dans la foulée, le député LFI Thomas Porte annonçait son intention de saisir la justice sur le sujet.

Enfin, jeudi 21 mars, Christophe Lemoine choisissait d’apporter « un éclaircissement sur le sujet des soldats franco-israéliens engagés dans l’armée israélienne, en ajoutant que la justice française est compétente pour connaitre des crimes commis par des ressortissants français à l’étranger y compris dans le cadre du conflit en cours. »

Une précision sans doute suscitée par le contenu de la vidéo du 18 mars.

Le fait de participer aux combats aux côtés de l’armée israélienne n’est pas en soi une infraction pénale selon la législation française qui reconnaît la double allégeance, à la différence par exemple des combattants français qui avaient rejoint Daech en Syrie, groupe qualifié de terroriste. Notons aussi que, paradoxalement, l’occupation israélienne, par exemple en Cisjordanie, constitue selon l’ONU et l’Union européenne une violation du droit international et donc un crime de guerre.

« Toutefois, aujourd’hui, l’ampleur des crimes ne fait aucun doute.

Les gens ont parfois l’impression que les crimes de guerre se limitent à des meurtres, des actes de torture ou des viols. Il existe en réalité de nombreux autres crimes de guerre. Par exemple, l’entrave à l’aide humanitaire ou le fait d’affamer la population constituent également des crimes de guerre, analyse Johann Soufi, juriste en droit international.

En second lieu, poursuit-il, il existe aussi souvent la perception que l’auteur d’un crime de droit international, qu’il s’agisse d’un crime de guerre, d’un crime contre l’humanité ou d’un génocide, se résume à son auteur direct.

Pourtant, il existe de nombreux autres modes de responsabilité, tels que la complicité, ou le fait de ne pas avoir prévenu ou puni un crime alors qu’on a une responsabilité de commandement.

Ainsi, c’est toute la palette de crimes et de modes de responsabilité qui doit être examinée. Aujourd’hui, face à l’ampleur des crimes commis à Gaza et en Cisjordanie, il existe une probabilité suffisamment importante pour que des Français aient été impliqués dans des crimes, d’une manière ou d’une autre. Cette possibilité déclenche l’obligation pour les juridictions françaises d’enquêter sur ces faits.

À mon sens, les autorités françaises doivent mener des enquêtes sur tous les ressortissants revenant ou qui reviendront de Gaza. »

S’il y avait des accusations contre un soldat en particulier, une plainte pourrait alors être déclenchée, mais en réalité, ce pourrait surtout être une plainte générale contre X de la part d’un groupe ou d’une association, d’une ONG, une enquête déclenchée auprès notamment du pôle Crimes contre l’humanité, placé sous le Parquet national antiterroriste (Pnat), une enquête pour l’ensemble des crimes qui aujourd’hui ont lieu à Gaza et qui relèveraient de la compétence du Pnat, donc des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité.

« À mon avis, ce qu’il faudrait, c’est un interrogatoire systématique par les autorités judiciaires ou les services de renseignement, des soldats français qui rentrent de Gaza pour savoir ce qui s’est passé, pour savoir quelle a été la nature exacte de leur participation aux opérations militaires sur place », poursuit le juriste.

Quant aux images et vidéos diffusées par des Français ou des binationaux, certaines pourraient donc faire l’objet d’enquêtes.

Celles de scènes de tortures, bien entendu, mais aussi, par exemple, un vol de biens privés dans le cadre d’un conflit armé peut constituer le crime de guerre de pillage, tout comme des destructions de biens à caractère civil.

« Il ne fait aucun doute que l’armée israélienne commet des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, de manière massive dans la bande de Gaza.

Dans ce contexte, les autorités françaises ont l’obligation, d’abord d’enquêter et, si les faits sont avérés de punir leurs ressortissants coupables de crimes relevant du droit international. Cette obligation découle de l’adhésion de la France à plusieurs traités internationaux, notamment aux Conventions de Genève de 1949 et à leurs protocoles additionnels de 1977, ainsi que de l’appartenance de la France au Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Ce n’est donc pas seulement une exigence morale et politique, mais une obligation juridique qui découle des traités et conventions auxquels la France est partie. L’obligation juridique de la France à cet égard est indiscutable. »

Et Johann Soufi de conclure : « Je pense qu’au Proche-Orient comme ailleurs, il n’y aura pas de paix sans justice. La France doit participer à la lutte contre l’impunité pour les crimes commis en Palestine et en Israël, a fortiori lorsque plusieurs ressortissants français sont potentiellement impliqués dans ces crimes. »

Concernant d’éventuelles suites judiciaires en France, conformément au principe constitutionnel de séparation des pouvoirs, la justice exerce cette compétence de manière indépendante, a souligné de son côté le porte-parole adjoint du ministère des Affaires étrangères.

rfi

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