Après avoir ouvert la porte à un déploiement des troupes européennes sur le front ukrainien, Emmanuel Macron vient de faire volte-face. Ainsi, en marge de son voyage au Brésil où il a rencontré le président Lula, le président de la République s’est dit prêt à « discuter » avec Vladimir Poutine.
Pascal Le Pautremat, docteur en histoire, spécialiste des crises et conflits contemporains, nous explique ce changement de paradigme.
De la posture guerrière à la médiation, pourquoi Emmanuel Macron change-t-il soudainement de stratégie ?
Pascal Le Pautremat : Plusieurs éléments d’analyse peuvent apporter un début d’explication. Quand des dirigeants politiques sont en difficulté par rapport à leur propre politique intérieure, ils vont avoir tendance à tourner l’attention sur ce qui se passe à l’extérieur de leurs frontières. L’objectif est que les gens oublient un peu les lacunes et les dysfonctionnements internes.
C’est ce qui fait qu’on a eu ce discours quelque part belliqueux et sans prudence appelant à une mobilisation militaire européenne. D’ailleurs, cette annonce a provoqué une levée de boucliers de la part de bon nombre de dirigeants européens qui n’avaient pas du tout envie de déployer des troupes au sol.
Soutenir en livrant des armes est-elle la limite à ne pas dépasser ?
Même s’ils sont dans le déni, soutenir en envoyant une aide militaire à l’Ukraine est clairement de la cobelligérance. Mais déployer directement des unités de combat sur le front c’est autre chose. C’est peut-être pour cette raison qu’Emmanuel Macron a finalement changé d’avis.
D’autres raisons peuvent-elles expliquer ce revirement de situation ?
Le chef de l’État a peut-être aussi voulu prendre à contretemps les Russes pour créer le doute et le flou sur la dynamique française.
Mais en tout cas, ça ne le grandit pas, nous ne sommes pas crédibilisés pour autant, voire l’inverse.
Tout cela donne une image de fébrilité et d’instabilité des trois dernières années du mandat d’Emmanuel Macron et c’est loin d’être rassurant. Seule chose que l’on peut tout de même saluer, c’est la posture du président de la République, suite aux attentats islamistes de la semaine dernière à Moscou, rappelant que les pays à l’international sont sur la même ligne quant à la lutte contre l’État islamique et ses ramifications.
Récemment, des experts ont fait savoir qu’un cessez-le-feu pourrait bénéficier à Vladimir Poutine, lui donnant l’occasion de renforcer ces troupes.
C’est possible. Il faut bien comprendre que dans l’histoire, la Russie s’inscrit dans des cycles longs. Elle a une capacité de résilience et de mobilisation de ses forces économiques et miliaires qui sont conséquentes. Mais immanquablement, il y a aussi un tempo à trouver. La Russie a besoin de refaire ses forces.
Aujourd’hui, on sait qu’il y a un processus de mobilisation qui est en train de se mettre en place pour recruter au moins 150 000 hommes, d’autres sources parlent à terme de 350 000. Il ne faut pas oublier que la guerre est dévoreuse d’hommes et a un coût économique très important. Poutine a donc tout aussi intérêt à négocier et à trouver des compromis.
Les canaux de discussions ne sont donc pas rompus ?
C’est toute l’ambiguïté d’une crise internationale. Vous avez des sujets qui concentrent des crispations énormes, mais, quand on regarde de biais, on s’aperçoit que sur d’autres espaces géographiques, il y a de véritables partenariats qui existent.
Pour rappel, depuis 2015, même si des tensions très fortes existaient avec la Russie (concernant la Crimée notamment), il y a eu des collaborations entre Américains et Russes, saluées même par le Pentagone. Ils luttaient ensemble contre le terrorisme sur l’arc irako-syrien.
Si négociations il y a, quelles conditions seront mises sur la table ?
Il faut que l’opinion publique commence à se préparer à considérer les territoires de l’Est ukrainien comme perdus pendant au moins les 40 prochaines années. Il ne faut pas oublier que cette zone est russophone et russophile entre 70 % et 90 %. Et si l’Ukraine cherche à les reconquérir, ça sera sûrement au prix d’une guerre qui risque de durer des années et des années.
De son côté, l’Europe peut demander à la Russie de baisser d’intensité son lobbying au niveau des pays baltes et sa cyberguerre, ou encore trouver un compromis vis-à-vis de l’Afrique où la France a perdu en influence et crédit…
La nouvelle stratégie d’Emmanuel Macron est-elle donc la bonne ?
Nous n’allons tout de même pas renouer avec les crises et les conflits que nous avons vus tout au long du 20e siècle. Nous assistons, aujourd’hui, à un retour des guerres à haute intensité et hybrides. Il faut arrêter les frais. On voit bien que rien de positif ne sortira d’un conflit.
Il est donc important de retrouver à un moment ou à un autre la voie de la diplomatie, du compromis et de l’apaisement. Sauf qu’on a aussi des militaires qui ne sont pas nécessairement dans cette prise de conscience et qui restent dans leur doctrine et n’en démordent pas.
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