Algérie : Rabah Madjer – “mon fils Lotfi a le droit de jouer pour le Qatar” [Exclu]

Le coup d’envoi de la Coupe d’Asie U23 est synonyme de polémique en Algérie puisque Lotfi Madjer, le fils de la légende Rabah Madjer, va disputer le tournoi avec la sélection du Qatar, qui débute la compétition qualificative pour les Jeux Olympiques 2024 ce lundi contre l’Indonésie (coup d’envoi à 17h30, heure France).

Sur les réseaux sociaux et dans les médias, plusieurs voix reprochent à la légende d’accepter ce qu’ils qualifient de « trahison » de la part de son fils, ailier de bientôt 22 ans, à l’encontre de son pays d’origine. En exclusivité pour Afrik-Foot.com, l’ancien sélectionneur des Verts a accepté de livrer son sentiment afin de mettre définitivement au clair cette polémique créée selon lui de toutes pièces par ceux qu’il qualifie de ses « ennemis de toujours ».

Votre fils Lotfi ne parle pas, mais beaucoup de gens parlent à sa place. Que pouvez-vous nous dire sur cette histoire ?

En effet, je suis toujours surpris de tomber sur des déclarations qu’on incombe à mon fils Lotfi, dès lors qu’il reçoit une convocation pour jouer avec la sélection Olympique du Qatar. Je vais répondre une énième fois à ce sujet, parce que ça devient vraiment fatiguant à la longue.

Déjà, il n’y a pas que mon fils qui a joué pour la sélection du Qatar. En plus de cela, il s’agit de son destin. C’est sa vie qui a fait qu’il se retrouve sélectionné avec l’équipe Olympique du Qatar.

Il faut savoir que nous vivons au Qatar depuis de longues années.

Lorsque nous sommes arrivés à Doha, Lotfi n’avait que 8 mois ! C’était un bébé. Il a grandi, étudié et commencé à jouer au football au Qatar au sein du Al-Duhail Sport Club, plus connu comme Lekhwiya SC, avec lequel il joue encore aujourd’hui. Il a fait toute sa scolarité au Qatar, du primaire à l’université.

Il a été sélectionné pour intégrer l’Academie Aspire qui regroupe les jeunes talents prometteurs au Qatar. Puis, à mon retour en Algérie, il a intégré l’académie du Paradou FC pour poursuivre sa formation.

Il était parmi les meilleurs éléments du Paradou…

Oui, il se débrouillait pas mal. Il marquait beaucoup de buts et montrait beaucoup de sérieux aux entraînements. Il a donc joué au PAC le temps qu’on était en Algérie, avant de retourner à son club au Qatar.

« J’avais dit à l’Algérie de sélectionner Lotfi »

Les sélectionneurs des jeunes de l’équipe nationale en Algérie, ont dû le voir jouer quand-même lorsqu’il était au PAC. Pourquoi personne ne l’a sélectionné ?

Lorsqu’il était au Paradou, Lotfi avait 18 ans et moi, je venais de reprendre en mains l’équipe nationale. Il faut que les gens sachent que, en 2019, en ma qualité de sélectionneur national en chef et certainement pas en tant que père de Lotfi, j’avais parlé avec le sélectionneur des jeunes et je lui avais dit de le sélectionner au prochain stage, avant qu’il ne soit trop tard et pour lui permettre de grandir avec les jeunes de son âge avec le maillot des Verts.

Quelle était la réponse du sélectionneur ?

Il m’a dit : « okay, inchallah ». Par la suite, on a attendu vainement sa sélection…

Peut-être que cet entraîneur avait mal accepté que ce soit vous, Rabah Madjer, sélectionneur des Verts de surcroît, qui lui donnez l’ordre de sélectionner votre fils…

Mais, il n’a jamais été question de le lui imposer. Je n’ai jamais fait cela ni pour moi ni pour mes fils. Je l’avais fait pour l’intérêt de l’équipe nationale, comme je l’aurais fait avec n’importe quel joueur qui a du talent que je pense être capable de donner un plus dans le futur. J’ai agi en tant qu’entraîneur, rien de plus, même si je peux comprendre la difficulté, du fait qu’il s’agissait de mon propre fils.

Ce n’est pas parce que c’est mon fils qu’on doit l’écarter de la sélection, alors qu’il a des qualités pour jouer en équipe nationale.

Vous en avez reparlé depuis avec cet entraîneur pour avoir des explications ?

Attendez, j’y arrive. Après avoir discuté avec cet entraîneur, je me suis dirigé vers mon bureau et sur mon chemin, j’ai croisé un haut responsable de la FAF à qui j’ai relaté l’échange avec le coach des jeunes. Il m’a dit également « inchallah». Je pensais que tout était ok pour qu’on le sélectionne au prochain regroupement de sa catégorie. Juste après, c’était le début de mes problèmes au sein de l’équipe nationale et tout le monde s’était retiré. Depuis, plus aucun entraîneur des jeunes n’avait pensé à sélectionner mon fils Lotfi à ce jour.

Ce n’est donc pas Lotfi qui a refusé de jouer pour l’Algérie ?

Non, bien sûr ! Il n’a jamais été contacté pour le moindre stage des jeunes. Ils ont fait appel à tous les joueurs évoluant à l’étranger, sauf Lotfi. Que pouvait-il faire ? Se sélectionner lui-même ! C’est facile de vouloir lui faire porter la responsabilité aujourd’hui qu’il a répondu à la sélection du Qatar, qu’il considère comme son deuxième pays. Je ne suis pas d’accord parce que c’est injuste.

D’aucuns lui reprochent de ne pas aimer l’Algérie…

(Il rigole). N’importe quoi ! C’est aberrant. Lotfi restera toujours un Algérien à part entière. Personne n’a le droit de donner des leçons de patriotisme à un autre Algérien. Mon fils, comme moi et toute ma famille restons des Algériens qui aimons notre pays comme tous les Algériens.

Malheureusement, il n’a pas été sélectionné pour jouer avec le maillot de l’Algérie que son père a défendu aux quatre coins du monde.

C’est leur droit de ne pas le sélectionner. On n’y peut rien. Peut-être qu’à leurs yeux, mon fils n’a pas le niveau pour être retenu avec les jeunes de l’équipe d’Algérie. C’est leur point de vue, c’est leur droit aussi. Ça peut se comprendre et j’accepte et respecte leur décision. Mais j’interdis à qui que ce soit de reprocher à mon fils de ne pas vouloir jouer pour l’Algérie. Ça ne vient pas de lui…

« Personne ne peut apprendre à la famille Madjer ce qu’est le nationalisme »

L’amour et l’attachement de Lotfi pour l’Algérie ne sont donc pas en cause ?

Lotfi adore l’Algérie et il restera toujours fier d’être Algérien. Personne ne peut apprendre à la famille Madjer ce qu’est le nationalisme. Que ce soit à mes enfants, à moi ou à n’importe quel membre de ma famille. Malheureusement, le destin a voulu qu’il joue pour le Qatar qui est également son pays. Je vous le redis encore une fois : Lotfi est arrivé à l’âge de 8 mois au Qatar et il a passé toute sa vie presque dans ce pays. C’est aussi normal qu’il réponde à la sélection du Qatar…

Est-ce que certains au sein de la FAF ne veulent pas de lui ?

Qua veulent-ils qu’il fasse ? Attendre indéfiniment, les bras croisés, une convocation qui ne viendra pas jusqu’à la fin de sa carrière ? C’est ce qu’ils cherchent ? Mais non, il a été convoqué avec la sélection du Qatar, il a répondu à cet honneur. C’est tout. C’est un jeune homme de 22 ans qui a la tête sur les épaules Allah ibarek (“que Dieu le bénisse”). Il sait parfaitement ce qui est bon pour sa carrière.

«  Bien sûr que j’aurais aimé le voir jouer pour l’Algérie »

Vous auriez aimé le voir porter le numéro 11 que vous avez honoré des années durant ?

Mais bien sûr que j’aurais aimé le voir jouer pour l’Algérie, sinon je n’aurais pas dit à la FAF de le convoquer avant qu’il ne soit trop tard. Et mon fils était d’accord à l’époque pour rejoindre l’équipe d’Algérie. Ce n’est pas sa faute s’il ne joue pas aujourd’hui pour les Verts. C’est une décision qui nous dépasse tous.

S’il y a faute, il faudra la chercher chez ceux qui n’ont pas voulu le sélectionner. Maintenant, s’ils pensent que Lotfi n’est pas un bon joueur et qu’il n’a pas le niveau pour évoluer avec l’Algérie, on arrête là, sans faire de bruit. De notre côté, on respecte leur décision et c’est tout.

Mais on ne doit pas s’attaquer à mon fils s’il a décidé de jouer pour le pays qui l’a vu grandir.

C’est sûr qu’il faut avoir beaucoup de force de caractère pour vivre avec cela. On ne peut pas faire l’unanimité. Certains nous aiment et d’autres pas. C’est la vie. Nul n’est parfait dans ce sens. Mais hamdoullah, il y a beaucoup de gens qui nous respectent et qui nous aiment. Malheureusement, il y a des gens qui se cachent bien pour me nuire. C’est ce que j’appelle « les ennemis de toujours ». Je ne peux rien faire pour les convaincre du contraire.

Qu’est-ce qui fait le plus mal ?

Vous savez, ils diront ce qu’ils veulent. On reste forts dans la tête. Le plus blessant, ce sont les mensonges. Il y a eu énormément de mensonges à mon encontre. Qu’ils s’attaquent à l’entraîneur Madjer, ça peut se discuter. On peut se rater, on peut réussir en l’espace de deux matchs et on est descendu en flammes.

Je peux comprendre, mais s’attaquer à la vie de famille de cet entraîneur, là, ça dépasse les limites du respect.

De plus, quand on dit que Madjer a échoué avec l’équipe nationale en 2018, il faut avoir des arguments valables pour le dire. Comment peut-on limoger un entraîneur après un match de préparation contre le Portugal ? A ceux qui disent que Rabah Madjer n’a pas réussi en équipe nationale (en tant que sélectionneur, ndlr), je dirai juste cela. L’histoire révélera ses vérités un jour.

Pourquoi vous ne dites pas ces vérités aujourd’hui ?

Je ne suis pas pressé pour faire ces révélations pour le moment. Mais un jour vous saurez la vérité.

Vous pensez avoir tourné la page de votre dernier passage à la tête de l’équipe nationale ?

Oui, totalement. Je vis actuellement auprès de ma famille et je suis de loin l’évolution de l’équipe nationale à qui je souhaite beaucoup de bien et de réussite, comme toujours.

« Et dire qu’il y a encore des gens qui croient que c’est moi qui ait écarté Belloumi de la CAN 90 ! »

Certains sur les réseaux sociaux ne peuvent s’empêcher de coller systématiquement Belloumi à Madjer. C’est une rivalité qui dure depuis des années. Qu’en est-il réellement de votre relation ?

Lakhdar et moi, on se connaît depuis la catégorie des cadets en équipe nationale. On a grandi ensemble et on a hissé le maillot de l’Algérie très haut durant toute notre carrière. Je pense qu’on peut dire que nous avons écrit ensemble avec nos autres coéquipiers quelques belles pages d’histoire de l’équipe nationale.

Lorsqu’il est venu au Qatar, on s’est retrouvé autour d’un café et on a passé un bon moment ensemble, mais comme avec beaucoup d’autres coéquipiers, on ne s’appelle pas régulièrement. C’est la vie. C’est normal. Mais à l’occasion de certaines festivités où on est invités tous les deux, bien sûr qu’on se retrouve avec plaisir, tout comme avec les anciens.

Ce n’est pas ce qui se dégage des commentaires sur les réseaux sociaux qui font de vous presque des ennemis…

C’est vraiment triste de voir ce genre de commentaires.

Qu’est-ce qui vous rend le plus triste dans cette histoire ?

Le fait que certains disent encore que Belloumi a été écarté de la CAN 1990 par Madjer et Kermali alors que Dieu est témoin que c’est totalement faux ! C’est vraiment du n’importe quoi. Je ne peux pas imaginer qu’on puisse croire à de telles bêtises. Vous m’imaginez, moi, en train de dire à feu Kermali de ne pas sélectionner Lakhdar Belloumi ou un autre joueur de qualité alors qu’on rêvait d’offrir enfin le trophée de la Coupe d’Afrique à notre peuple ? C’est insensé.

Vous auriez aimé que Belloumi soit avec vous lors de la CAN 1990 ?

Bien sûr que j’aurais aimé que Lakhdar soit avec nous ! En 1990, même si j’étais capitaine d’équipe, je ne pouvais pas me permettre de m’immiscer dans les décisions d’un homme de la trempe de feu Kermali et son staff. C’étaient lui et son staff qui décidaient de la liste des joueurs retenus pour la CAN pour apporter un plus à l’équipe nationale.

On n’avait absolument pas notre mot à dire devant feu Kermali et sa très forte personnalité.

Les gens parlent de Belloumi, certes, j’aurais vraiment aimé qu’il soit avec nous, mais pas seulement lui. Il ne faut pas oublier des joueurs comme Chaabane Merzekane, Salah Assad, Mohamed Kaci Saïd, Mohamd Chaïb qui méritaient également d’être retenus pour la CAN 1990. Mais le destin en a voulu autrement. Je vous le redis encore et encore, il n’y a jamais eu rien de ce qu’on raconte au sujet de Lakhdar Belloumi.

Je vais vous faire une confidence…

Rabah Madjer, Algérie

On vous écoute…

En 1989, on allait jouer un match amical contre la Suède à Stockholm. Feu Kamel Lemoui était le sélectionneur à l’époque. Belloumi n’était pas retenu pour cette rencontre. Et bien, j’ai été voir le coach Lemoui pour lui demander de rappeler Lakhdar en équipe nationale.

Et feu Lemoui l’avait convoqué et Belloumi avait joué ce match avec nous et c’est comme ça qu’il est revenu en sélection. Ce n’est qu’après l’arrivée de Kermali que Belloumi n’était plus sélectionné. C’étaient les choix de Kermali et son staff. Que pouvions-nous faire contre ça ?

A ce moment-là, Belloumi n’était pas vraiment au top de sa forme et les choix de Kermali se sont avérés gagnants…

Je ne faisais pas attention à cela. Je n’étais qu’un simple joueur de l’équipe nationale. J’ai toujours aimé rester en retrait de ces décisions, même si j’étais capitaine d’équipe. Contre la Suède, c’était la première fois que je suis allé voir le coach pour lui demander de rappeler Lakhdar Belloumi.

J’avais fait une exception du fait que feu Lemoui était un coach avec lequel on pouvait discuter, contrairement aux autres sélectionneurs, comme Khalef ou Kermali.

« Nous devons encourager Lotfi et Mohamed El Bachir Belloumi »

Ce qui est surprenant et navrant à la fois, c’est de voir cette rivalité entre Lakhdar Belloumi et vous se poursuivre avec une version 2.0. Aujourd’hui, les commentaires des habitués des réseaux sociaux projettent cette rivalité entre vos deux fils : Lotfi Madjer et Mohamed El Bachir Belloumi…

Franchement, ils n’ont pas besoin de rivalité.

Moi je pense que nous devons encourager ces deux jeunes joueurs et les pousser à se surpasser pour réaliser une belle carrière chacun. Il faut surtout les laisser progresser tranquillement en leur souhaitant une bonne santé et le meilleur pour leur vie de footballeur et d’homme. C’est en tout cas, ce que je leur souhaite à eux deux, mais aussi à tous les bons joueurs algériens.

Que faut-il faire pour que cette rivalité Belloumi-Madjer s’arrête définitivement dans les têtes de certains ?

Vous savez, de mon côté, je n’ai jamais pensé à une quelconque rivalité avec Belloumi, Assad ou un autre de mes coéquipiers. Nous étions comme des frères depuis qu’on jouait en cadets.

Nous avons grandi ensemble et joué même chez les militaires dans la même équipe.

Nous étions heureux de nous retrouver à chaque regroupement. Ce sont des gens malintentionnés qui ont fait circuler ces rumeurs de rivalité entre nous. Nous formions une équipe sur le terrain et nous ne pensions qu’à faire honneur au maillot de l’équipe nationale.

Al hamdoulillah, je crois que cette équipe a pu écrire de belles pages de l’histoire du football algérien.

Nous en sommes aujourd’hui fiers d’avoir réussi à valoriser l’image du footballeur algérien dans le monde entier. Nous n’avons fait que notre devoir de citoyens et d’autres en ont écrit la suite. J’espère que les générations suivantes feront encore plus pour le bien du football algérien.

Il y a eu de grands joueurs avant nous qui ont rendu fier notre peuple, comme Mekhloufi, Zitouni, Kermali, Lalmas, Betrouni, Hadfi et tous les autres, il y a aussi d’autres après nous qui ont également hissé haut les couleurs nationales.

Notre peuple adore son équipe et il mérite de vivre d’autres succès et d’autres honneurs.

afrik-foot

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