Les causes de cette violence ne sont pas encore claires… mais l’humain pourrait bien y être pour quelque chose.
Des chercheurs de la division Anthropologie de l’Institut Max Planck, en Allemagne, ont récemment été témoins de scènes très inattendues lors d’une sortie sur le terrain dans le parc national de Loango, au Gabon; Lara M. Southern et son équipe ont assisté aux premiers cas documentés de violence létale de chimpanzés envers des gorilles.
Habituellement, ces deux espèces s’évitent, et sont capables de vivre en bons voisins sans frictions. Pourtant, le 6 février 2019, c’est tout l’inverse qui s’est passé lorsqu’un groupe de 18 chimpanzés a rencontré une troupe de 5 gorilles. Le ton est monté lorsque les premiers se sont mis à houspiller les seconds avec beaucoup d’intensité, un comportement généralement réservé aux bandes voisines de chimpanzés. La réaction ne s’est pas fait attendre : environ 15 minutes plus tard, l’un des gorilles prend la mouche et charge une jeune femelle. Grossière erreur; deux minutes plus tard, environ neuf chimpanzés ont simultanément attaqué le gorille. Il a dû se résoudre à prendre la fuite, dépassé par l’ampleur du passage à tabac.
Mais apparemment, les chimpanzés n’en avaient pas fini, loin de là. Une dizaine de minutes plus tard, la bande a kidnappé l’un des bébés gorilles du groupe adverse. Le pauvre a malheureusement été battu à mort sans ménagement, une scène qui a autant intrigué qu’ébranlé les chercheurs.
Ces derniers ont observé une autre rencontre de ce type quelques mois plus tard. La situation a commencé de manière similaire, avec des invectives à distance entre les deux groupes de singes. Les chimpanzés ont ensuite pris en chasse une femelle gorille, isolée avec son petit, qui a pris la fuite avant de disparaître du regard des chercheurs. Malheureusement, quelques minutes plus tard, une seconde équipe a repéré l’un des chimpanzés tenant le cadavre éventré du petit gorille.
Une compétition croissante pour les ressources ?
Les chercheurs ont donc cherché à savoir ce qui aurait pu motiver des attaques aussi brutales. La première hypothèse formulée, c’est que les chimpanzés auraient pu spécifiquement cibler, puis chasser les petits gorilles; en effet, ces derniers ont tous les deux été mangés après avoir été tués. De plus, avant la rencontre, les chimpanzés émettaient des cris caractéristiques d’une préparation à la chasse. L’excitation du groupe est également retombée peu après la mort des bébés. Il pourrait s’agir soit d’une chasse territoriale pour s’imposer en tant que maîtres des lieux, ou de prédation “pure”, à des fins strictement alimentaires. Mais dans les deux cas, la case de la préméditation semble cochée.
L’autre hypothèse repose sur la compétition entre les deux espèces pour les ressources. Celle-ci peut se concrétiser de deux manières; la première est la compétition indirecte, où chacun vit sa vie de son côté. La seconde, qui concernerait donc ces singes, c’est la compétition par interférences. Dans ce cas de figure, une espèce tente de libérer des ressources en interférant directement avec l’autre espèce, que ça soit par l’intimidation, le harcèlement… ou même en tuant les autres compétiteurs. Ce genre de violence a déjà été observé entre les bonobos et les chimpanzés; il pourrait donc bien s’agir de la première manifestation extrême de ce phénomène de compétition observée entre chimpanzés et gorilles.
En l’occurrence, cette compétition pourrait venir de l’”effondrement de la disponibilité en fruits observée dans les forêts tropicales du Gabon”. Une problématique déjà bien connue et documentée, qui menace directement la survie de ces grands mammifères, dont les primates. Or, cette baisse de la disponibilité en fruits est directement attribuable à la déforestation et au dérèglement climatique… avec tout ce que cela peut impliquer vis-à-vis de notre responsabilité dans ces primaticides.
Source: jdg