La crise de liquidité des pays en développement n’est pas terminée

Certains pays à revenu faible ou intermédiaire (PRFI) sont de retour sur les marchés obligataires après une absence de deux ans. D’autres ont en revanche un besoin urgent de liquidités et sont confrontés à des taux d’intérêt punitifs.

Dans cette crise, la proposition du Finance for Development Lab de mettre en place un « financement relais », qui permettrait aux économies en développement de repousser de cinq à dix années les échéances de leur dette et allouerait les ressources nécessaires à l’atténuation des changements climatiques et aux adaptations consécutives, demeure plus que jamais d’actualité.

Bonne nouvelle, le ratio de la dette extérieure des PRFI se maintient à des niveaux relativement modestes, à la moitié environ de ce qu’il affichait avant l’initiative de réduction de la dette des pays très endettés. En 2023, un seul pays, l’Éthiopie, a fait défaut, sur une dette d’un milliard de dollars émise en euro-obligations.

Mauvaise nouvelle, les pressions de liquidité sur les PRFI n’ont cessé d’augmenter. Après 2010, un pic des prêts à moyen terme avait permis aux pays en développement de financer des projets indispensables d’infrastructures.

Normalement, ces prêts, arrivés à échéance, devaient être renouvelés, mais la chose devenait impossible dès lors que les principales économies adoptaient le resserrement quantitatif, qui eut pour conséquence une hausse brutale des taux d’intérêt et des sorties nettes de capitaux. À la crise de liquidité se sont ajoutés une série de chocs exogènes : réduction des flux venant de Chine, effets induits de la pandémie de Covid-19 et hausse des prix des carburants et de la nourriture.

En outre, les aides mondiales aux économies en développement se sont réduites prématurément.

En 2022, les pays du G20 ont mis un terme à l’initiative de suspension du service de la dette ; les institutions financières internationales ont réduit leurs prêts et aucune nouvelle allocation de droits de tirage spéciaux (DTS, l’actif de réserve du Fonds monétaire international) ne fut annoncée. Cette réduction a renforcé le choc, et contraint les PRFI manquant de devises à dévaluer leur monnaie. Pour en donner un ordre d’idée, le nombre de PRFI ayant procédé à une dévaluation de plus de 10 % est passé de huit en 2021 à trente-six en 2022 et à 24 en 2023.

Contrairement aux espoirs de certains analystes, la crise de liquidité est loin d’être terminée.

Les transferts nets de dette à long terme vers les PRFI étaient négatifs en 2022, et les estimations laissent prévoir une année 2023 encore plus défavorable, la hausse des taux d’intérêt renchérissant la dette à taux flottant ainsi que les nouveaux emprunts. Sans compter que l’efficacité de l’aide semble moindre. Si les banques multilatérales de développement (BMD) et certains créanciers bilatéraux ont engendré des flux nets positifs vers le PRFI d’environ 42 milliards de dollars en 2022, ces apports ont été plus que contrebalancés par le poids des paiements aux créanciers privés et à la Chine.

Un soutien renforcé des BMD, comme l’a plaidé le G20 sous présidence indienne, est indispensable pour faciliter la transition verte. Mais pour garantir que ces fonds sont utilisés au financement de l’action climatique, plutôt qu’au service des dettes existantes, les créanciers doivent partager le fardeau et s’abstenir de réduire trop rapidement leur exposition. La raréfaction des prêts chinois doit être organisée avec plus de circonspection.

Et les obligations souveraines devraient être progressivement remplacées, en tant que classe d’actifs, par des obligations vertes.

Certes, la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Kenya ont tous émis des obligations au premier trimestre 2024. La création d’un financement relais demeure néanmoins le moyen le plus efficace de soutenir la transition verte des PRFI et de stabiliser les économies en développement, pour quatre raisons.

Premièrement, la hausse des taux d’intérêt et la multiplication des dévaluations monétaires ont renchéri le service de la dette. Dans plus de 34 pays en développement, les exigences du service de la dette mobilisent désormais, selon les estimations, plus de 15 % des recettes. Pour ce groupe de PRFI, le fardeau médian du service de la dette est passé, entre 2021 et 2023, de 13 % à 23 % des recettes fiscales.

Si certains pays ont pu de nouveau accéder aux marchés financiers, beaucoup d’autres, épuisés par les coûts du service de leur dette, risquent de ne pas être en mesure de la refinancer.

Deuxièmement, la plupart des PRFI sont toujours confrontés à des taux d’intérêt très élevés. En conséquence de quoi des pays comme le Nigeria, le Pakistan, le Sénégal ou la Tunisie, où les coûts du service de la dette dépassent désormais 15 % des recettes, doivent maintenir des excédents primaires, ce qui augmente encore les pressions sur leur budget et sur leurs réserves en devises. Les gouvernements se voient ainsi contraints de mettre en place des mesures d’austérité, qui paralysent les investissements en capital humain et physique, aggravent les tensions sociales et diffèrent les initiatives climatiques.

Troisièmement, les BMD n’ont pas les moyens de financer l’ensemble de PRFI illiquides tout en soutenant la transition verte.

Pour aider le Kenya à revenir sur les marchés obligataires, le FMI a augmenté ses crédits jusqu’à cinq fois les quotes-parts du pays, tandis que la Banque mondiale s’est engagée pour 12 milliards de dollars.

Il serait impossible d’étendre à tous les pays en développement mis en difficulté sur leur dette un soutien financier d’une telle ampleur. Les PRFI en proie à des problèmes de liquidités doivent rembourser annuellement, pris tous ensemble, plus de 40 milliards de dollars aux investisseurs et à la Chine – soit trois fois le total des flux entrant en provenance des BMD.

Enfin, même les pays parvenus à revenir sur les marchés ne sont pas tirés d’affaire pour autant.

Le service annuel de la dette kényane, par exemple, se monte environ à 25 % des exportations du pays qui, s’il continue à renouveler ses prêts échus à des taux d’intérêt supérieurs à sa croissance, verra sa dette augmenter à une vitesse telle qu’il risque d’être mis en défaut de paiement.

Les pays qui ont déjà fait défaut peinent à restructurer leur dette.

L’accord de restructuration de la dette zambienne, qui est venu conclure trois années d’intenses négociations avec les investisseurs privés en est un parfait exemple. Raison pour laquelle le refinancement préventif apparaît comme une solution préférable pour les pays illiquides au risque d’insolvabilité d’un grand nombre d’entre eux dans un avenir plus ou moins proche.

Ce qu’admettent aujourd’hui des acteurs clés comme le Fonds monétaire international, la Banque mondiale ou le Trésor des États-Unis.

L’apport récent de liquidités dont a bénéficié l’État kényan offre aujourd’hui un modèle à qui souhaite éviter le scénario du pire, mais ce modèle peut encore être amélioré. Le rééchelonnement d’une dette doit coûter moins cher ; les institutions internationales devraient pouvoir augmenter plus rapidement leur capacité de financement ; enfin, il revient aux PRFI de concevoir et de mettre en place des plans ambitieux à moyen terme en vue d’accélérer leur transition climatique.

Pour y parvenir, une stratégie concertée est nécessaire.

Le FMI et la Banque mondiale ont d’ores et déjà commencé d’augmenter leurs aides, et les financiers du secteur privés sont de retour à la table des négociations – autant de signes encourageants. Mais le succès de ces efforts dépend d’une meilleure coordination entre les parties prenantes et de règles plus cohérentes et transparentes.

Le Brésil, qui préside cette année le G20, est bien placé pour prendre la tête des initiatives de restructuration de la dette des PRFI, en encourageant un groupe choisi de pays à lancer des projets pilotes ambitieux et innovants. Ces efforts pourraient gagner en ampleur en 2025 avec la présidence de l’Afrique du Sud. D’ici là, peut-on espérer, les BMD auront pu augmenter leurs capacités de financement.

Actu-Economie

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