En Europe, il existe actuellement plus de 300 additifs alimentaires autorisés, classés en 27 catégories différentes en fonction de leur utilisation et de leur fonction dans les aliments. Parmi eux, les émulsifiants dont une récente étude pointait le possible lien avec la survenue de divers cancers. Aujourd’hui, ils sont sur la sellette et suspectés d’entraîner le développement du diabète de type 2.
En Europe et en Amérique du Nord, 30 à 60 % de l’apport énergétique alimentaire des adultes provient d’aliments ultra-transformés. De plus en plus d’études épidémiologiques suggèrent un lien entre une consommation élevée d’aliments ultra-transformés et un risque accru de diabète et d’autres troubles métaboliques.
Les émulsifiants figurent parmi les additifs les plus couramment utilisés dans ces aliments.
Ils sont souvent ajoutés aux aliments industriels transformés et emballés tels que certaines pâtisseries, gâteaux et desserts, yaourts, glaces, barres chocolatées, pains industriels, biscottes, margarines et plats préparés, afin d’améliorer leur apparence, leur goût, leur texture et leur durée de conservation. Ils comprennent notamment les mono- et diglycérides d’acides gras, les carraghénanes, les amidons modifiés, les lécithines, les phosphates, les celluloses, les gommes et les pectines.
Comme pour tous les additifs alimentaires, la sécurité des émulsifiants a été précédemment évaluée sur la base des preuves scientifiques qui étaient disponibles au moment de leur évaluation.
Néanmoins, certaines recherches récentes suggèrent que les émulsifiants pourraient perturber le microbiote intestinal et augmenter le risque d’inflammation et de perturbation métabolique, pouvant entraîner une résistance à l’insuline et la survenue du diabète.
Analyser les mécanismes reliant les additifs émulsifiants et la survenue du diabète de type 2
Pour la première fois au niveau international, une équipe de chercheuses et de chercheurs français de l’Inserm, d’INRAE, de l’Université Sorbonne Paris Nord, de l’université Paris Cité et du Cnam, regroupés au sein de l’Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (Eren-Cress), s’est intéressée aux relations entre les apports alimentaires en émulsifiants, cumulés sur un suivi maximal de 14 ans, et le risque de développer un diabète de type 2 dans une grande étude en population générale.
Les scientifiques ont entrepris d’étudier les possibles liens entre les habitudes d’apports alimentaires en additifs émulsifiants et la survenue de diabète de type 2 entre 2009 et 2023.
Ils ont analysé les données de santé de 104 139 adultes participant à l’étude de cohorte française NutriNet-Santé, en évaluant spécifiquement leur consommation de ce type d’additifs grâce à des enquêtes alimentaires tous les 6 mois. Les résultats de cette recherche suggèrent une association entre l’ingestion chronique de certains additifs émulsifiants et un risque accru de diabète. Ils sont publiés dans la revue Lancet Diabetes & Endocrinology.
Les résultats sont fondés sur l’analyse des données françaises de 104 139 adultes (âge moyen 43 ans ; 79 % de femmes) qui ont participé à l’étude de cohorte NutriNet-Santé (voir encadré ci-dessous) entre 2009 et 2023.
Les participants ont renseigné en ligne tous les aliments et boissons consommés et leur marque (pour les produits industriels), sur au moins deux journées d’enregistrements alimentaires. Ils étaient régulièrement réinterrogés sur leurs consommations alimentaires, tous les 6 mois sur 14 ans.
Ces enregistrements ont été mis en relation avec des bases de données afin d’identifier la présence et la dose des additifs alimentaires (dont les émulsifiants) dans les produits consommés. Des dosages en laboratoire ont également été effectués pour fournir des données quantitatives. Cela a permis de calculer l’exposition chronique au fil du temps à ces émulsifiants.
Potentiels effets néfastes sur le microbiote intestinal
Au cours du suivi, les participants ont déclaré la survenue de diabète (1 056 cas diagnostiqués), et les déclarations ont été validées grâce à une stratégie multi-sources (incluant la déclaration et le remboursement d’anti-diabétiques).
Plusieurs facteurs de risque bien connus pour le diabète, notamment l’âge, le sexe, le poids (IMC), le niveau d’éducation, les antécédents familiaux, le tabagisme, l’alcool et les niveaux d’activité physique, ainsi que la qualité nutritionnelle globale de l’alimentation (dont les apports en sucre) ont été pris en compte dans l’analyse.
Après un suivi moyen de 7 ans, les chercheurs ont observé que l’exposition chronique — évaluée par des données répétées — aux émulsifiants suivants était associée à un risque accru de diabète de type 2 :
- _phosphate tripotassique (E340 ; augmentation de risque de 15 % par incrément de 500 mg par jour) ;
- _esters d’acide acétyltartrique de monoglycérides et de diglycérides d’acides gras (E472e ; augmentation de risque de 4 % par incrément de 100 mg par jour) ;
- _citrate de sodium (E331 ; augmentation de risque de 4 % par incrément de 500 mg par jour) ;
- _gomme-guar (E412 ; augmentation de risque de 11 % par incrément de 500 mg par jour) ;
- _gomme arabique (E414 ; augmentation de risque de 3 % par incrément de 1 000 mg par jour) ;
- _gomme xanthane (E415, augmentation de risque de 8 % par incrément de 500 mg par jour).
Les limites de l’étude
Cette étude constitue une première exploration de ces relations mais d’autres investigations sont désormais nécessaires pour établir des liens de causalité. Les chercheurs ont évoqué plusieurs limites de leur étude, telles que la prédominance des femmes dans l’échantillon, un niveau d’éducation plus élevé que la population générale, ainsi que des comportements généralement plus favorables à la santé parmi les participants de l’étude NutriNet-Santé.
Il s’agit donc d’être prudents quant à la généralisation des conclusions à l’ensemble de la population française.
[Les analyses de sensibilité en épidémiologie visent à tester la robustesse des modèles statistiques en faisant varier certains paramètres, hypothèses ou variables dans le modèle pour évaluer la stabilité des associations observées.
Par exemple, dans cette étude, une prise en compte additionnelle de la consommation d’édulcorants a été réalisée, ainsi que de la prise de poids au cours du suivi et d’autres maladies métaboliques]
« Ces résultats sont issus d’une seule étude observationnelle pour le moment, et ne permettent pas à eux seuls d’établir un lien de cause à effet.
Ils doivent être reproduits dans d’autres études épidémiologiques à travers le monde, et complétés par des études expérimentales toxicologiques et interventionnelles, pour éclairer davantage les mécanismes liant ces additifs émulsifiants et la survenue du diabète de type 2.
Ils donnent des éléments clés pour enrichir le débat sur la réévaluation de la réglementation relative à l’utilisation des additifs dans l’industrie alimentaire, afin de mieux protéger les consommateurs », expliquent Mathilde Touvier, directrice de recherche à l’Inserm, et Bernard Srour, professeur junior à Inrae, principaux auteurs de l’étude.
Quid de l’impact du mélange des additifs alimentaires ?
Parmi les prochaines étapes, l’équipe de recherche va s’intéresser aux variations de certains marqueurs sanguins et du microbiote intestinal en lien avec la consommation de ces additifs, pour mieux comprendre les mécanismes sous-jacents.
Elle va également s’intéresser aux impacts sur la santé des mélanges d’additifs et de leurs potentiels « effets cocktails ». Des travaux en collaboration avec des toxicologues vont également permettre de tester l’impact de ces expositions dans le cadre d’expérimentations in vitro et in vivo, pour rassembler plus d’arguments en faveur d’un lien causal.
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