Le célèbre rappeur iranien Toomaj Salehi, soutien du mouvement de contestation contre le pouvoir, a été condamné à mort, selon son avocat. Une décision très inquiétante aux yeux de dix experts indépendants de l’ONU, qui appellent les autorités à respecter « la liberté artistique ».
« L’art doit être autorisé à critiquer ». Dix experts indépendants des Nations unies se sont dit ce jeudi « alarmés » par la condamnation à mort d’un célèbre rappeur iranien, Toomaj Salehi, emprisonné pour son soutien au mouvement de contestation de 2022 déclenché après la mort de Mahsa Amini.
« Aussi dures que soient les chansons de Monsieur Salehi à l’égard du gouvernement, elles sont une manifestation de la liberté artistique et des droits culturels », ont-ils indiqué dans un communiqué, signé par cinq Rapporteurs spéciaux et les cinq membres du Groupe de travail sur la détention arbitraire.
Ils se disent « alarmés par l’imposition de la peine de mort et les mauvais traitements présumés » à son encontre, « qui semblent uniquement liés à l’exercice de son droit à la liberté d’expression artistique et à la créativité ».
Selon les proches du rappeur, ce dernier a subi des tortures physiques et psychologiques en détention. En outre, « les exécutions à l’issue de procès inéquitables constituent une privation arbitraire de la vie », ont ajouté les dix experts.
« Corruption sur Terre »
« La critique de la politique gouvernementale, y compris par le biais de l’expression artistique, est protégée par le droit à la liberté d’expression et le droit de participer à la vie culturelle », ont aussi fait valoir les experts indépendants de l’ONU, nommés par le Conseil des droits de l’homme de l’organisation mais qui ne s’expriment pas en son nom.
« L’art doit être autorisé à critiquer, à provoquer, à repousser les limites dans toute société », ont-ils insisté.
Mercredi, un média local iranien, citant l’avocat du rappeur, a rapporté que le tribunal révolutionnaire d’Ispahan l’avait condamné « à la peine de mort pour corruption sur Terre ». Un scénario redouté par ses nombreux fans, mais aussi des artistes étrangers qui lui avaient apporté leur soutien. Son avocat a annoncé que l’artiste ferait appel, relate la BBC. Il dispose d’un délai de 20 jours pour le faire.
Le rappeur de 33 ans, suivi par plus de 2,4 millions de personnes sur Instagram, avait été arrêté en octobre 2022.
Il avait soutenu via ses chansons et sur les réseaux sociaux le mouvement de contestation déclenché après la mort le 16 septembre 2022 de Mahsa Amini, une jeune Kurde iranienne détenue par la police des mœurs, qui lui reprochait d’avoir enfreint le code vestimentaire strict pour les femmes.
Toomaj Salehi avait été condamné en juillet 2023 à six ans et trois mois de prison, échappant à la peine de mort sur décision de la Cour suprême.
En novembre dernier, il avait été libéré sous caution avant d’être de nouveau emprisonné au début du mois suivant, d’après ses proches. Il a été poursuivi pour de nouvelles charges en janvier dernier, a indiqué son avocat, ajoutant que le tribunal révolutionnaire d’Ispahan a finalement choisi « la peine la plus sévère ».
« Le régime a peur du courage de Toomaj »
L’artiste, qui a signé de nombreux textes contestataires contre le pouvoir, aurait été torturé en prison, selon son entourage. Il serait retenu dans une cellule « dans laquelle la lumière ne s’éteint jamais », avaient indiqué ses proches dans un message publié sur son compte Instagram lors de son retour derrière les barreaux.
« Il devait recevoir un traitement médical pour toutes les blessures que les autorités du régime lui ont infligées », ont-ils également écrit.
« Nous savons que le régime a peur du courage de Toomaj et de l’amour que le peuple lui porte. Nous continuerons à être sa voix et à nous battre pour notre héros et sa liberté », concluait la publication.
Depuis, plusieurs autres messages ont été postés sur le compte, signé du nom du rappeur, qui serait retenu à la prison Dastgerd d’Ispahan, dans le centre du pays.
Dans l’une de ces récentes publications, Toomaj Salehi remerciait ses soutiens d’avoir « gardé (sa) mémoire vivante ». Il disait aussi « espérer un avenir meilleur » et appelait à continuer de célébrer « la glorieuse résistance de la révolution Femme, Vie, Liberté », un slogan scandé par les protestataires pendant la révolte.
Les dix experts de l’ONU indiquent plus largement avoir reçu « des allégations selon lesquelles il est de plus en plus fréquent que des artistes, des activistes et des journalistes soient arrêtés et détenus pour des accusations telles que la publication de fausses nouvelles ou propagande contre l’État ».
Plusieurs centaines de personnes, dont des membres des forces de l’ordre, ont été tuées et des milliers arrêtées au cours des manifestations qui se sont tenues en octobre et novembre 2022 en Iran, avant de refluer. Neuf personnes ont été exécutées en lien avec ce soulèvement, selon des ONG. L’an passé, 834 personnes au total ont été exécutées dans le pays, dont 22 femmes, un bilan record. leparisien