Comme à Calais, le port de Dunkerque repousse les exilés à coups de barbelés

Dans le nord de la France, les autorités poursuivent leur politique visant à éviter les points de fixation de campements d’exilés. À Loon-Plage, près de Dunkerque, aux habituels déboisements et labourages de terrain s’ajoutent désormais l’installation de clôtures barbelées autour du port et la fermeture de leur principal lieu de distribution alimentaire.

Le 18 avril, entre Grande-Synthe et Loon-Plage (Nord), un véhicule a mortellement percuté un exilé qui traversait la chaussée. Cette route, celle du Pont-à-Roseaux, surplombe un vaste domaine du grand port maritime de Dunkerque (GPMD) où se nichent depuis la fin 2021 plusieurs camps informels de candidats à l’exil vers l’Angleterre, malgré la politique du  »zéro point de fixation » menée sur place par les autorités locales.

Il y a encore quelques semaines, ces migrants pouvaient longer le canal ou les abords d’une voie ferrée, sous le pont, pour rejoindre un point d’eau ou une distribution alimentaire.

C’était avant la fermeture de ces accès par des blocs en béton et la mise en place de plusieurs kilomètres de clôtures aux pieds barbelés, conduisant aujourd’hui nombre d’entre eux à traverser directement la route du Pont-à-Roseaux.

À leurs risques et périls.

Des dispositifs anti-intrusion, généralement utilisés contre les animaux, recouvrent certains passages à niveau ferroviaires du grand port maritime de Dunkerque. Ils sont censés stopper les exilés, qui marchent désormais en équilibre sur les rails pour les franchir. Crédit. A. Stoerkler

Des dispositifs anti-intrusion, généralement utilisés contre les animaux, recouvrent certains passages à niveau ferroviaires du grand port maritime de Dunkerque. Ils sont censés stopper les exilés, qui marchent désormais en équilibre sur les rails pour les franchir. 

Des dispositifs anti-intrusion, généralement utilisés contre les animaux, recouvrent certains passages à niveau ferroviaires du grand port maritime de Dunkerque. Ils sont censés stopper les exilés, qui marchent désormais en équilibre sur les rails pour les franchir. Crédit. A. Stoerkler

« Cette route est dangereuse.

Les voitures et les camions vont très vite », observe un Afghan, arrivé il y a un mois. Lui continue d’utiliser la voie ferrée en dépit de sa peur de « l’électricité », pour effectuer cet aller-retour redouté mais nécessaire : le principal lieu de distribution des associations, situé près de son camp, a été condamné le 22 avril.

Dix-huit blocs en béton ont été déposés ce jour-là devant le jeune Afghan et d’autres migrants, médusés, à l’aide d’un engin de chantier encadré par des policiers.

Cette stratégie n’est pas nouvelle à Loon-Plage. Voilà plus de deux ans que les migrants, comme les membres associatifs, voient leurs lieux de vie et de distribution régulièrement évacués, avant d’être rendus impraticables par la pose de barrières, le labourage ou le déboisement des sols.

Attribué aux associations par la préfecture du Nord, le principal lieu de distribution destiné aux exilés a été bloqué le 22 avril sur "décision du port de Dunkerque", d'après les policiers présents sur place ce jour-là. La préfecture et le port n'ont pas souhaité réagir à cette opération. Crédit. A. Stoerkler

Attribué aux associations par la préfecture du Nord, le principal lieu de distribution destiné aux exilés a été bloqué le 22 avril sur « décision du port de Dunkerque », d’après les policiers présents sur place ce jour-là. La préfecture et le port n’ont pas souhaité réagir à cette opération.

Attribué aux associations par la préfecture du Nord, le principal lieu de distribution destiné aux exilés a été bloqué le 22 avril sur « décision du port de Dunkerque », d’après les policiers présents sur place ce jour-là. La préfecture et le port n’ont pas souhaité réagir à cette opération. Crédit. A. Stoerkler

« Écologiquement, c’est un désastre. L’illustration d’une politique de non-accueil qui ne se cache plus pour agir », déplore Yasmine, membre de l’association Human Rights Observers (HRO).

« Ces grilles entravent la circulation des personnes et l’action des associations »
Depuis l’hiver, ces mesures de dissuasion se durcissent : des grillages barbelés sont installés le long de voies ferrées, d’entreprises et de terrains inoccupés, repoussant toujours plus loin les exilés. La route du Port-Fluvial, prisée des populations des camps et bordée de sociétés privées, a aussi été définitivement fermée par le GPMD le 11 avril.

Le groupe Saniez a évoqué sur les réseaux sociaux le 20 décembre la pose de « six kilomètres de clôtures hautes de trois mètres » pour « la sécurisation du port de Dunkerque ».

SNCF Réseau, de son côté, confirme avoir installé « 3 000 mètres » de barrières sur la ligne Dunkerque-Calais afin de « protéger les migrants des risques ferroviaires » et d’éviter « la dégradation » de ses installations.

Le GPMD, lui, n’a pas souhaité commenter ce vaste chantier, dont le montant total pourrait s’élever à plus de cinq millions d’euros, d’après le bulletin officiel des annonces des marchés publics. Cet encerclement rappelle en tout cas la  »bunkerisation » du Port de Calais et semble servir la stratégie de l’État – qui juge les campements de migrants « illicites » – tout en permettant la sécurisation d’une zone en pleine expansion économique.

Des migrants rescapés d'un naufrage en août 2021, au port de Dunkerque. Crédit : Utopia 56

« Le port de Dunkerque semble agir pour protéger ses entreprises, plutôt que les êtres humains.

C’est déshumanisant et très violent » constate Célestin, un coordinateur de l’association Utopia 56, qui rêverait de voir « cet argent investi dans un véritable lieu d’accueil pour les exilés ». « Ces grilles entravent la circulation des personnes et l’action des associations ». Or, sans ces bénévoles qui « font ce que l’État ne fait pas », 400 à 600 femmes, hommes et enfants « n’auraient plus rien », rappelle Sarah, de l’association Roots, achemineuse de l’eau potable sur les camps de Loon-Plage.

« Ce n’est pas une grille qui va les stopper »
« Cette sécurisation ne freine pas leur venue. Elle les pousse juste à prendre plus de risques », observe Célestin à l’évocation de ces exilés fuyant la misère ou les guerres, non désirés en Angleterre et souvent repoussés de France par le règlement européen de Dublin. « S’ils ferment tout, on devra assurer nos activités au bord de la route, ce qui est extrêmement dangereux », abonde Claire Millot, de l’association Salam.

« Certains d’entre eux ont failli mourir en traversant la Méditerranée, ce n’est pas une grille qui va les stopper », ajoutent Guillaume Grisolet et Olivier Lefebvre, responsables d’une fédération locale CGT de cheminots, qui défend depuis 2021 une « limitation de la vitesse des trains à 30 km/h » sur certaines portions ferroviaires plutôt que leur clôture.

« Ils continuent d’emprunter les voies ferrées pour aller au plus court et fuir la boue lorsqu’il pleut, en coupant une grille ou en rejoignant un passage à niveau. Mais une fois à l’intérieur, c’est un couloir de la mort, avec une faible possibilité de dégagement en cas de circulation d’un train », alertent-ils.

Exactement ce que devait fuir l’exilé mort le 18 avril, percuté par un automobiliste sur le Pont-à-Roseaux entre Grande-Synthe et Loon-Plage.

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