Agriculture : l’Assemblée s’empare du projet de loi pour répondre à la colère

L’Assemblée nationale entame en commission mardi l’examen au fond du projet de loi d’orientation agricole, réponse de l’exécutif à la colère paysanne censée rassurer les générations à venir d’agriculteurs, mais dont certaines dispositions inquiètent à gauche et chez des défenseurs de l’environnement.

« Compte tenu du défi que l’on a de trouver 200.000 chefs d’exploitation d’ici 10 à 15 ans, il faut que l’on fasse venir des gens qui ne sont pas issus du monde agricole », a souligné le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau devant des journalistes mardi.

Réécrit sous la pression des manifestations, le texte mêle des mesures sur la formation, les transmissions d’exploitations, ou encore l' »accélération des contentieux » en cas de recours contre des projets de stockage d’eau ou de construction de bâtiments d’élevage, en dépit d’alertes du Conseil d’Etat sur des « risques de constitutionnalité ».

Les débats devraient durer jusqu’à samedi ou dimanche.

Plus de 3.000 amendements ont été déposés, dont près de la moitié par Les Républicains. Un tiers des propositions, notamment sur les produits phytosanitaires ou la fiscalité ont toutefois été jugées irrecevables, car trop éloignées des articles ou créant une charge financière pour l’Etat.

Le texte doit arriver dans l’hémicycle le 14 mai pour un vote solennel le 28. « Dans sa version initiale, il est déjà très utile pour l’agriculture », a argué le ministre, se disant ouvert à débattre de fiscalité lors de l’examen du prochain budget à l’automne. Un texte de loi sur les phytosanitaires devrait aussi être présenté d’ici l’été.

– « Intérêt général majeur » –

En présence de Marc Fesneau, les députés commenceront par le plus gros morceau: l’article qui consacre « l’agriculture, la pêche et l’aquaculture » comme étant « d’intérêt général majeur ».

Simple article incantatoire ?

Pas seulement juge le cabinet du ministre, qui espère qu’il va « nourrir la réflexion du juge administratif » pour trancher un litige autour d’un projet agricole, lorsqu’il est en balance avec un impératif écologique.

« La hiérarchie des normes ne serait pas modifiée: la protection de l’environnement a une valeur constitutionnelle alors que, même +majeur+, l’intérêt général agricole n’aurait que valeur législative », pondère Didier Truchet, professeur émérite de Paris-Panthéon-Assas, dans une analyse pour Le club des juristes.

« Si vous voulez faire du panneau photovoltaïque mais que ça vient dégrader la souveraineté alimentaire, c’est quand même pas mal de se poser la question », estime une source gouvernementale, selon qui « c’est la jurisprudence » qui tranchera.

« Soit on remet en cause la Constitution et la Charte de l’environnement, soit on se moque du monde paysan », critique le socialiste Dominique Potier, pour qui le texte « réussit l’exploit de ne traiter aucun sujet majeur ou à la marge ».

Pour Antoine Villedieu (RN), il « ne répond en rien aux attentes des agriculteurs ». Les mesures ne « vont pas du tout répondre aux enjeux de la crise », juge David Taupiac (Liot).

– Quelle majorité ? –

« Il fait tout sauf répondre à l’enjeu de renouveler les générations », dénonce aussi Aurélie Trouvé (LFI). Outre l’accélération des contentieux, elle s’oppose à un article prévoyant des conditions d’investissements de capitaux fonciers dans des terres agricoles. « Ca vise à ouvrir à la finance l’accaparement des terres », dénonce-t-elle.

Fait rare, toute les oppositions et même quelques macronistes ont déposé des amendements de suppression. « On ne veut pas en faire une financiarisation. On va tâcher de mettre des balises pour expliquer que ce sont par exemple des collectivités qui peuvent entrer dans le financement », a souligné M. Fesneau mardi.

« Nous voulons un texte, mais pas petits bras », a prévenu le LR Julien Dive, alors que le gouvernement compte les voix à droite, voire au PS ou chez Liot (indépendants) pour une adoption.

Une source gouvernementale craint en revanche un scénario similaire au projet de loi immigration, avec une motion de rejet votée par LR dans l’hémicycle, et appelle à « passer un certain nombre de deals dès la commission ».

Côté syndicats, la FNSEA est favorable à l’esprit du texte mais attend d’autres mesures sur la fiscalité et les pesticides, demandes également formulées à droite.

La Confédération paysanne, troisième syndicat, critique le projet de loi qui « profite aux tenants de l’agro-industrie, en renforçant leur permis à polluer plus » et en « simplifiant l’agrandissement des fermes ». Emmanuel Macron recevra les syndicats jeudi à l’Elysée.

afp

You may like