« Si le Rwanda était un pays sûr, j’y serais allé » : à Dunkerque, des migrants perplexes face à la loi britannique

James est assis sur un caddie renversé, le dos courbé, entre deux tentes Quechua abîmées par le temps.

Il est 11h du matin, ce mardi 30 avril, et le campement dans lequel il vit, dans une zone déboisée de Loon-Plage, caché derrière les rails de la ligne Calais-Dunkerque, n’est qu’une succession de bâches et de toiles tendues déchirées. Entre ses jambes, un sac, en parfait état, qui détonne avec ses baskets Nike esquintées – et portées façon pantoufles en écrasant les talons. « Elles sont trop petites », confesse-t-il.

« J’en achèterai d’autres quand je serai en Angleterre ».

Depuis qu’il a fui son pays, le Sud-Soudan, quelques mois plus tôt, le jeune homme garde tous ses documents importants dans sa besace intacte. « C’est pour défendre mon dossier au Royaume-Uni », explique-t-il, en serrant la anse.

« Face au plan Rwanda, je vais devoir être convaincant ».

James, comme la majorité des migrants rencontrés dans les différents petits campements disséminés de Loon-plage ce jour-là, est « évidemment » inquiet par le plan Rwanda – qui prévoit l’expulsion vers Kigali de tout migrant entré illégalement sur le sol anglais.

D’une part, parce que cet accord réduit à néant les efforts de exilés qui ont souvent marché des milliers de kilomètres pour fouler le sol britannique, d’autre part parce que le Rwanda fait peur. « Si Kigali était une option, un pays sûr, j’y serais allé. C’est un pays voisin pour moi ! J’aurais pas traversé le continent pour venir en Europe, j’aurais marché quelques heures et voilà », assène le Sud-Soudanais qui a quitté Juba en 2022.

« Dernier espoir »

Puis James marque une pause. « C’est pas un pays sûr », répète-t-il. « Ce n’est pas un bon régime. Maintenant que je suis là, j’irai en Angleterre. J’aimerais étudier. Rester en France n’a pas de sens, je ne parle pas cette langue ». A ses côtés, Noah, un Darfouri de 16 ans qui vient de sortir de sa tente, acquiesce. « Moi aussi, je tenterai quand même la traversée…

De toute façon, il n’y a rien d’autre à faire pour moi ». 

Noah, 16 ans, est Soudanais. Il souhaite traverser la Manche malgré la loi britannique. Crédit : Dana Alboz / InfoMigrants

Un peu plus loin, un groupe de Sud-Soudanais marche le long de la voie ferrée – désormais protégée de part et d’autres par des grillages et des barbelés.

Parmi eux, Racho, 18 ans, pour qui l’Angleterre n’est pas non plus une option, mais « le dernier espoir ». « Je suis ici depuis 8 mois, dit-il en se cachant le visage, inquiet à l’idée d’être filmé ou pris en photo. « J’ai fui le Sud-Soudan, traversé la Libye, la Tunisie, la Méditerranée, l’Italie… J’ai déjà essayé de passer la Manche au moins 20 fois », affirme-t-il. « A chaque fois, la police nous a arrêtés, en perçant le canot ou en jetant des gaz lacrymogène. Et vous pensez qu’une loi va m’arrêter ? ».

« Peut-être », lui répond-t-on. « Non. Je veux étudier…C’est pas un crime. Juste étudier, ce que je n’ai jamais pu faire dans mon pays ».

Beaucoup de migrants ne semblent pas prendre la mesure de la loi. Certains espèrent « s’échapper » une fois sur le sol anglais – sans réaliser que les passagers des canots ramenés dans le port de Douvres seront systématiquement envoyés dans des centres fermés. « Je vais prendre la mer, et une fois sur place, je m’enfuirai, affirme ainsi Naheb, un Afghan qui est arrivé à Loon-Plage 48 heures auparavant.

« Je m’enfuirai ou je me suiciderai ».

Un groupe d'exilés sur une voie ferrée près de Dunkerque. Crédits : Dana Alboz / InfoMigrants

Beaucoup pensent aussi qu’ils ne sont pas concernés par cette loi. Islam a 18 ans, il est Irakien.

Arrivé lundi 29 avril en France depuis la Suède avec ses parents et ses frères et sœurs, il est certain que traverser la Manche « en famille » l’exemptera d’une expulsion vers Kigali. « Nous sommes au courant de la loi, mais nous sommes avec des enfants, le plus jeune a 7 ans, ils vont pas nous envoyer là-bas », affirme-t-il. 

« Rumeur »

Pourtant Rishi Sunak, le premier ministre britannique ne compte pas faire d’exception. Il ne souhaite plus accueillir de migrants – ni de son ancienne colonie soudanaise, ni d’ailleurs. Sa loi ne protège pas non plus les publics fragiles, les femmes ou les enfants.

A Loon-Plage, il y a aussi ceux, plus rares, qui n’ont jamais entendu parler de cette loi –

« Quel plan Rwanda ? Je suis ici depuis 6 mois, je ne sais pas de quoi vous parlez », lance au loin Ali, un Afghan de 28 ans, le long des rails – et ceux qui refusent d’y croire. « J’ai des amis qui ont réussi la traversée et qui sont maintenant en Angleterre, ils m’ont dit que ce n’était pas vrai, la preuve, ils sont toujours là-bas », affirme Wahid, un jeune Afghan de 15 ans, venu seul en Europe sans ses parents.

« C’est une rumeur pour nous faire peur ». 

Islam, 18 ans, du Kurdistan d'Irak. Loon Plage. Crédits : Dana Alboz / InfoMigrants

Ce mardi, seul un exilé a reconnu l’effet dissuasif de la loi.

« Si je vois que les expulsions commencent, que des avions décollent vers le Rwanda, je changerai de parcours, j’irais tenter ma chance aux Pays-Bas », affirme Mohamed, un Soudanais diplômé en ingénierie. 

Mohamed devrait attendre quelques semaines avant d’être fixé : Londres a promis que les premières expulsions se tiendraient cet été et que 5 700 migrants fouleraient le sol rwandais avant la fin de l’année. 

7 200 migrants ont traversé la Manche depuis le début de l’année

Pour l’heure, la loi n’a pas encore eu d’effet sur les départs vers le Royaume-Uni depuis les plages françaises. Plus de 7 200 personnes ont traversé clandestinement la Manche à bord de canots de fortune depuis le début de l’année, un record historique pour les quatre premiers mois de l’année.

« Non seulement, les migrants continueront de partir mais ils le feront en prenant toujours plus de risques », se désole Fabien Touchard, coordinateur de l’association Utopia 56 à Grande-Synthe.

« Les départs sur les plages sont de plus en plus chaotiques, les migrants ne gonflent pas assez leur canot pour aller vite et échapper à la police. Ils ne prennent plus le temps de mettre le sol rigide dans les bateaux pour les stabiliser », énumère-t-il. « Ils sont aussi de plus en plus nombreux à embarquer. De plus en plus de personnes tombent à l’eau » et les risques de bousculades et de noyades sont élevées.

Déjà 15 personnes sont mortes dans la Manche en 2024.

Parmi elles, Sara, une enfant de 7 ans, décédée le 23 avril dans le Pas-de-Calais. Peu après 6h du matin, le bateau sur lequel elle avait embarqué avec ses parents, était surchargé. Il a pris l’eau. Plusieurs personnes sont passées par dessus bord. Dans un mouvement de panique, Sara a été écrasée. Elle est morte asphyxiée par les autres passagers.

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