« Audience historique », « décrispation au sommet », « belles retrouvailles »: la presse ivoirienne saluait unanimement mercredi la rencontre de la veille entre Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, les deux protagonistes de la crise post-électorale de 2010-2011, en attendant la traduction politique concrète de cette réconciliation.
« Une ambiance bon enfant et émouvante qui augure certainement des lendemains heureux pour le pays », espérait le quotidien Soir Info.
« Des images fortes pour dire qu’il n’y a que le pardon et la tolérance pour sortir d’une crise quelle qu’en soit la gravité », voulait de son côté croire le journal d’opposition le Nouveau Réveil.
Entre les accolades et les échanges d’amabilité, il était difficile d’imaginer mardi que la rivalité entre les deux hommes a un jour occasionné une crise qui a fait plus de 3.000 morts dans le pays.
En Côte d’Ivoire, certains ont d’ailleurs accueilli avec sceptiscime ces effusions.
« Est-ce une rencontre sincère ? N’est-ce pas l’une de leur comédie pour nous distraire encore? Je n’y crois pas du tout », lâche Hervé Konan, un professeur de mathématiques à Bouaké (centre), la deuxième ville du pays.
« Pour une fois, qu’ils nous prouvent qu’ils sont des hommes de parole car nous sommes fatigués de leurs querelles personnelles » ajoute Didier Sery, un étudiant en droit de cette ville.
Mardi, Alassane Ouattara a salué son « jeune frère, un ami depuis des décennies », tandis que Laurent Gbagbo s’est réjoui d’avoir parlé « fraternellement, amicalement », avec celui qu’il appelle désormais « Monsieur le Président ».
Un détail sémantique qui prend un sens politique puisque la crise était née du refus de M. Gbagbo de reconnaître sa défaite à la présidentielle de 2010 face à son rival.
« Pour Ouattara tout se passe comme ce qu’il attendait avec cette reconnaissance de son pouvoir (de Président de la république) », souligne l’analyste politique Jean Alabro, interrogé par l’AFP.
– Message politique –
Mais plus de dix ans ont passé depuis cet épisode dramatique dans l’histoire de la Côte d’Ivoire, une période pendant laquelle Laurent Gbagbo a été poursuivi pour crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale, emprisonné à la Haye, puis acquitté avant de pouvoir faire son retour en juin dernier, avec l’aval de M. Ouattara.
« C’est une rencontre importante dans l’histoire politique de la Côte d’Ivoire. Pour Gbagbo il s’agit de solder le passé, de peser sur le présent et de préparer l’avenir », note Jean Alabro.
Car après les accolades et les éclats de rire, les conséquences politiques de cette rencontre vont être scrutées.
« C’est maintenant que le plus dur commence. Eux qui donnent ainsi un grand espoir aux populations et aux amis de la Côte d’Ivoire n’ont plus droit à l’erreur. Ce que les Ivoiriens attendent ce sont des actes concrets », vers la réconciliation, estimait le Nouveau Réveil dans ses colonnes de mercredi.
Laurent Gbagbo n’a d’ailleurs pas manqué de faire passer un message politique lors de la rencontre de mardi en demandant à Alassane Ouattara de libérer les prisonniers de la crise de 2010-2011 encore en détention.
Et depuis son retour, il se pose toujours comme opposant de premier plan au chef de l’Etat, dont il a notamment critiqué la réélection en 2020 pour un troisième mandat, jugé inconstitutionnel par une partie de l’opposition.
Les deux hommes qui ont promis de se revoir bientôt pourraient inviter Henri Konan Bédié, un autre poids lourd de l’opposition et ancien président, lors de leur prochaine réunion.
Les trois figures de la politique ivoirienne depuis des décennies ne semblent pas encore prêtes à passer la main.
Source: slateafrique
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