Les Géorgiens ont à nouveau envahi samedi les rues de Tbilissi pour protester contre la volonté du gouvernement prorusse de faire voter par le Parlement – où il détient la majorité – un projet de loi sur « l’influence étrangère ». À la veille d’une semaine cruciale qui pourrait voir l’adoption définitive du texte, les manifestants ont à nouveau exprimé leur détermination que la Géorgie se tourne vers l’Europe et non vers Moscou.
Après la semaine sainte de la Pâque orthodoxe, synonyme de vacances scolaires en Géorgie, les manifestations reprennent à Tbilissi. Après les mobilisations spectaculaires qui se sont succédé en avril et les violentes confrontations avec la police début mai, les manifestants sont au rendez-vous samedi 11 mai, une fois de plus, malgré la pluie.
Selon les nombreux journalistes géorgiens présents, au moins 100 000 personnes sont descendues dans les rues de la capitale – 50 000 selon des chiffres de Reuters.
🇬🇪 World, are you still watching? Tonight might have just been the biggest gathering of Georgians marching in Tbilisi against the russian violations and law infiltrating the Georgian government! Please watch, share, stand with the brave people of Georgia!🇬🇪 #NoToRussianlaw https://t.co/D7P98pOqfM pic.twitter.com/BD9Q3XMWyd
— Їne Back Їversen (@IneBackIversen) May 11, 2024
« Ça fait deux semaines que je viens aux manifestations », nous dit-elle. « Je ne veux pas que le Parlement adopte la loi russe parce que ce sera plus difficile pour nous de rejoindre l’Europe.
Même si elle passe, les Géorgiens continueront à s’y opposer. »
En quelques mots, Natalia résume ce qui a jeté des milliers de manifestants dans la rue depuis maintenant près d’un mois et demi.
La « loi russe » dont elle parle désigne ce qui est officiellement un projet de loi sur « l’influence étrangère ». Au nom de la « transparence » de la vie publique, le texte qualifierait toute ONG obtenant plus de 20 % de son financement de l’étranger d' »organisation poursuivant les intérêts d’une puissance étrangère ». « Je n’ai pas peur », assure Natalia.
« Je reviendrai tant que la loi russe ne sera pas rejetée. »
Les Géorgiens qui battent le pavé en sont convaincus : l’adoption de cette loi restreindrait les libertés publiques, éloignant ainsi la Géorgie de l’adhésion à l’Union européenne. Au bout du compte, elle ferait revenir le pays dans l’orbite de la Russie, 33 ans après avoir acquis son indépendance de l’URSS.
« Pas d’avenir en Russie »
Nicolas, 22 ans, est venu lui aussi défendre « la démocratie pour ce pays, pour mon avenir, pour l’avenir de ma génération ». Avec ses amis, ils estiment que « le gouvernement essaie de nous faire entrer dans la Fédération de Russie. Et c’est horrible parce qu’il n’y a pas d’avenir en Russie.
Nous avons besoin du monde occidental où il y a beaucoup d’opportunités pour nous, pour avancer dans nos carrières. »
Quelques mètres plus loin, au milieu de la foule qui converge vers les berges du fleuve Koura, Lela, une psychologue qui n’a plus 20 ans, est épatée par la mobilisation des jeunes de son pays.
« Cette génération est extraordinaire », explique-t-elle. « Elle n’a pas subi les traumatismes de ma génération, qui a connu la guerre civile, les pénuries d’électricité ou la vie sous la coupe de gangs criminels. »
« Il y a une grande énergie, une sorte d’optimisme tragique aussi et la conviction que nous allons nous en sortir… Nous savons ce que la Russie fait à ses citoyens. Nous savons ce que la Russie fait en Ukraine. Et nous savons ce que la Russie a fait à la Géorgie à plusieurs reprises dans son histoire », ajoute-t-elle.
La guerre en Ukraine dans toutes les têtes
Dans la foule, les drapeaux géorgiens côtoient immanquablement les drapeaux de l’Union européenne et aussi de nombreux drapeaux ukrainiens, jaune et bleu. Au milieu de la foule, une jeune Ukrainienne, radieuse, accepte de nous répondre mais sans donner son nom.
« Je viens du Donbass. Les terroristes russes occupent ma ville, Donetsk. Je comprends les Géorgiens, ils ne veulent pas de russification de leur pays », confie-t-elle.
Hébergée depuis un mois par une amie géorgienne, elle rentrera bientôt à Kharkiv, plus que jamais sous les bombes russes.
« Nous nous battons pour notre liberté », estime Nicolas, un grand gaillard barbu de 27 ans. « Je suis certain que nous allons gagner cette bataille parce qu’il n’y a pas d’autre scénario possible. Notre gouvernement est dirigé par un oligarque qui a fait sa fortune en Russie.
Mais ici, c’est l’Europe, et nous voulons rejoindre l’UE. »
Sur la scène vers où convergent les cortèges, un concert s’interrompt pour laisser place à Lasha Bugadze, un écrivain de 46 ans qui, depuis des semaines, est présent sur les plateaux de télévision et s’est imposé comme l’une des voix fédératrices de toutes celles et ceux qui refusent le projet de loi que veut à tout prix faire passer le Rêve géorgien, le parti au pouvoir.
Veillée d’armes
Devant la foule rassemblée sous la pluie fine, il demande aux manifestants « de ne pas avoir peur. Nous sommes là, ne nous laissons pas intimider. » Rencontré quelques heures plus tôt, cet auteur, dont les pièces sont jouées autant en Russie qu’au Royaume-Uni, affirme qu’une guerre des nerfs s’est engagée. « Depuis des années, Bidzina Ivanichvili [ancien Premier ministre, milliardaire et fondateur du Rêve géorgien, NDLR] et son système ont cultivé la peur, sur laquelle ils bâtissent leur pouvoir.
L’une des peurs qu’ils agitent, c’est que le front ukrainien se déplace en Géorgie. Mais en fait, ils craignent de perdre le pouvoir. »
Lundi, le Parlement géorgien doit entamer les débats pour adopter définitivement le projet de loi sur « l’influence étrangère ». À la foule, l’écrivain lance un nouveau mot d’ordre. « Demain [dimanche], je vous demande de passer la nuit devant le Parlement, à partir de 22 h, pour les empêcher d’adopter la loi.
Restez debout toute la nuit pour votre pays. »
france24