depuis Dakar au Sénégal – En Côte d’Ivoire, si la bataille électorale pour la présidentielle de 2025 n’est pas encore officiellement ouverte, les candidats commencent à montrer leurs visages. Le terrain politique est déjà en ébullition.
« 2025 ne se fera pas sans nous », clame Charles Blé Goudé, leader du COJEP, devant ses militants, le 12 mai à Yamoussoukro, dans une ambiance électrique. Deux jours plus tôt, c’est l’ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo, investi à Abidjan, qui déclarait devant les siens : « J’accepte d’être votre candidat ». En Côte d’Ivoire, la campagne pour l’élection présidentielle de 2025 est bel et bien lancée. Les candidats se bousculent pour succéder à Alassane Ouattara dont on ignore toujours s’il briguera un quatrième mandat.
Selon nos informations, le président ivoirien s’est confié au mois de février à deux visiteurs du soir – un diplomate et un homme politique. Il aurait exprimé un vœu, celui de se « reposer » et de « se consacrer » à d’autres projets qui ne vont pas accaparer tout son temps.
Sa pensée a-t-elle évolué depuis ? Petite indication : comme s’il renforçait le camp de ses alliés politiques dans la perspective de la présidentielle, le 3 mai, Alassane Ouattara a nommé par décret Jeannot Kouadio Ahoussou, ancien président du Sénat et membre du RHDP (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, parti présidentiel), au poste de ministre d’État et conseiller spécial à la présidence de la République. L’intéressé fut pendant une dizaine d’années un responsable influent du PDCI, un important parti politique ivoirien qui devrait avoir son propre candidat à la prochaine présidentielle.
Autres nominations destinées à grossir le rang de ses alliés dans la perspective de la présidentielle ?
L’ancien ministre d’État, Albert Toikeusse Mabri, leader de l’UDPCI, un parti ayant récemment adhéré au RHDP, a été nommé au poste de ministre conseiller à la présidence de la République. L’ex-ministre de la Construction et de l’Urbanisme, Mamadou Sanogo, expert en matière électorale au sein du parti au pouvoir, a été également nommé ministre conseiller à la présidence. Le chef de l’État a par ailleurs procédé à la nomination des vice-gouverneurs du district autonome d’Abidjan.
« Il faut probablement intégrer dans l’analyse de ces nominations la présidentielle de 2025 », soupire un diplomate en poste à Abidjan. C’est le côté pile de la pièce.
Côté face, une fusée à deux étages – au moins – se met en place pour que le président Alassane Ouattara soit l’unique candidat du RHDP. Au premier étage, l’Union des leaders pour la candidature d’ADO en 2025 (ULC-ADO 2025) a déjà entamé la promotion. Selon le président de l’ULC-ADO, Serge Sanogo Kakou, l’objectif est de « promouvoir la candidature d’Alassane Ouattara en 2025 pour qu’il parachève son œuvre ».
Il attend 4 millions de signatures à sa pétition.
Au second étage de la fusée, celui qui pourrait lancer la candidature du président ivoirien, nous assistons à « un vaste mouvement en gestation », en réalité une trouvaille des caciques du RHDP : mobiliser les électeurs dans toutes les régions de la Côte d’Ivoire et demander au président Ouattara de prononcer le fameux « Je vous ai compris », comme de Gaulle.
Alassane Ouattara « est le seul capable de rassembler au sein du RHDP. S’il n’est pas candidat, ça va partir en vrille chez nous », reconnaît une huile du parti présidentiel.
Les thèmes de la précampagne fleurissent
Si un « duel des papys » est envisageable, celui-ci pourrait opposer « papy Alassane Ouattara », 82 ans, et l’ex-président ivoirien, « papy Laurent Gbagbo », 78 ans.
« Une fois de plus, une fois encore, j’accepte d’être votre candidat pour aller à la bataille.
Parce qu’il s’agit de la Côte d’Ivoire et il s’agit de l’Afrique », a déclaré ce dernier lors de sa cérémonie d’investiture. Un brin nationaliste, il n’a pas oublié d’ajouter : « La Côte d’Ivoire, c’est chez nous ! Et nous ne pouvons pas laisser les autres se battre pour nous. Nous devons nous battre pour nous-mêmes.
Je vous le dis, en vérité : sans combats, nos pays n’auront rien. Vous croyez que, quand nous nous battons à longueur d’années, quand nous allons en prison, c’est parce que nous aimons la prison ? C’est parce qu’il y a des combats à mener ».
Et comme s’il fallait déjà se préparer à balayer les éventuelles critiques sur son âge, Laurent Gbagbo, devant ses partisans, ajoute : « Je suis candidat pour 2025 et je pense que je vais faire un seul mandat seulement pour fixer les clous. Ils ont tellement mal géré qu’il faut fixer les clous ».
Dans son intervention, Laurent Gbagbo a par ailleurs jeté des piques à ses principaux adversaires, sans les nommer.
« Les gens pensent que gérer un pays, c’est une histoire d’économie. Je ne sais pas où ils ont appris ça, il ne faut pas qu’on se trompe. Il faut qu’en Côte d’Ivoire, les gens cessent de confondre la pensée, la décision et l’applicabilité qu’on fait. C’est l’homme politique qui décide de la politique économique ».
Et un porte-parole du PPA-CI de rendre publics les « piliers » de son programme : « La santé, l’éducation, le logement, la sécurité et la défense, la décentralisation, la diplomatie, la lutte contre le chômage, le sport, la culture et le tourisme, l’économie et les infrastructures, l’État de droit et la démocratie, la lutte contre la corruption ».
2025 pourrait bien également accueillir dans le chaudron politique ivoirien Tidjane Thiam, banquier de renom et nouveau leader du PDCI-RDA depuis la mort de l’ex-président du parti Henri Konan Bédié… Secret de polichinelle : l’homme de 62 ans est candidat après vingt ans passés hors du pays.
S’il reconnaît une croissance « incontestable » de l’économie de son pays, il estime nécessaire de mieux investir dans les domaines de l’éducation, de la santé et de l’agriculture.
Benjamin d’une famille de sept enfants, l’homme aux lunettes rectangulaires est aujourd’hui le chef de l’opposition ivoirienne, compte tenu du poids de son parti. Certains s’interrogent sur la durée de son état de grâce à la tête de la formation fondée en 1946 et qui a compté parmi ses dirigeants le père de la nation ivoirienne, Félix Houphouët Boigny.
« Je pense que jusqu’aux obsèques du président du PDCI – Henri Konan Bédié, décédé en août dernier –, le calme va régner pour respecter le moment de deuil. Mais après, on verra bien », murmure une tête connue du PDCI qui ne souhaite pas être nommément citée. La bataille entre les héritiers politiques présomptifs et présomptueux du père de l’indépendance de la Côte d’Ivoire n’est peut-être pas terminée.
Rendez-vous donc début juin pour voir si le navire PDCI-RDA va tanguer ou non. Dans la perspective de la présidentielle de 2025, Tidjane Thiam a cependant des atouts. Bardé de diplômes, avec des compétences reconnues en tant que banquier, il a forgé son expérience à l’étranger avant de rentrer dans son pays. Il pourrait se placer dans le tiercé gagnant de la prochaine présidentielle. L’intéressé lui-même rêve du grand soir.
Le RHDP, le parti présidentiel, a pour le moment deux slogans : « Le Président Ouattara a un bilan » et « Avec lui, l’avenir est plus sûr ». Ses thuriféraires enfoncent le clou : « En 2025, victoire dès le premier tour ».
D’après nos informations, un livre relatant l’itinéraire du président ivoirien devrait paraître cet été ou à l’automne.
L’ouvrage annoncera-t-il la candidature de celui que les Ivoiriens appellent aussi par ses initiales ADO ? En attendant d’avoir la réponse claire et nette, le président de l’Assemblée nationale Adama Bictogo, important membre du parti présidentiel, lâche : « Alassane Ouattara est notre candidat naturel ».
D’autres candidats songent à 2025
2025 intéresse un autre Ivoirien qui vit à l’étranger, actuellement dans un pays du Sahel : Guillaume Soro, ex-Premier ministre, ex-président de l’Assemblée nationale et ancien chef de la rébellion ivoirienne. À l’auteur de ces lignes qui l’interrogeait en 2005 pour les besoins d’un livre d’entretiens, il avait déclaré : « Chacun lit l’Évangile avec ses blessures ».
Après un silence, il avait ajouté : « Avec aussi ses illusions et ses désillusions ».
Exilé depuis 2019 après une rupture avec le président ivoirien Alassane Ouattara, Soro a confirmé sur les réseaux sociaux, début avril, avoir eu des entretiens téléphoniques avec celui dont il fut le Premier ministre. Sur le réseau X, il a précisé que le premier appel téléphonique saluait « le début de la décrispation politique en Côte d’Ivoire ».
« La prochaine fois, ça sera en Côte d’Ivoire.
L’élection présidentielle de 2025 n’est pas loin. Il faut s’activer », a-t-il poursuivi sur le même canal. Pour des partisans du leader du mouvement politique Générations et Peuples solidaires (GPS), « il faut compter avec leur potentiel candidat, Guillaume Soro, qui un programme bien élaboré pour la Côte d’Ivoire ».
« Le chef de l’État ivoirien a toujours de l’affection pour Guillaume, confie à France 24 un interlocuteur qui connaît bien les deux hommes. « Guillaume, de son côté, n’ayant pas pu tuer le père, revient à la maison. Il y aura une période de méfiance. Après, on verra ».
Deux autres Ivoiriens convoitent le fauteuil présidentiel. Ils déroulent ce qu’on peut appeler « un programme de précampagne électorale ». Le premier, Pascal Affi N’Guessan, ancien Premier ministre et président du Front populaire ivoirien (FPI), a dévoilé sa vision pour une « nation démocratique ».
« Nous porterons, en 2025, la voix du peuple de Côte d’Ivoire, ce peuple qui se sent peu respecté, peu considéré.
Nous porterons son combat pour la justice et la dignité. Face aux héritiers d’un système à bout de souffle, l’alternance sera une rupture et un nouveau départ », a-t-il martelé le 4 avril 2024 face à la presse. Au passage, il s’est dit « déçu » par la nouvelle candidature de Laurent Gbagbo dont il fut le Premier ministre.
L’un des plus jeunes candidats à cette élection pourrait bien être Charles Blé Goudé, leader du COJEP. Il fera probablement sa déclaration officielle de candidature lors d’une future convention du parti. Mais, d’ores et déjà, l’ex-leader estudiantin décline ce qu’on peut appeler un « programme de campagne ».
Le sort des jeunes Ivoiriens est sa priorité. Tribun, il compte de nombreux partisans.
Mais tout comme Laurent Gbagbo, déjà mis en cause, Guillaume Soro et Charles Blé Goudé pourraient voir leur candidature rejetée, pour leurs démêlés avec la justice. Laurent Gbagbo a été condamné dans l’affaire du braquage de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et il a été déchu de ses droits civiques. Il n’est, à l’heure actuelle, ni éligible ni électeur. Il a été gracié, mais pas amnistié.
En 2020, Guillaume Soro a été condamné à vingt ans de prison pour « recel de détournement de deniers publics » et « blanchiment de capitaux » par le tribunal correctionnel d’Abidjan, au terme d’un procès boycotté par ses avocats.
Charles Blé Goudé, de son côté, a été condamné à vingt ans de prison, également pour des faits liés à la crise post-électorale de 2011. Devant la presse, il plaide sa cause en martelant : « Tous ceux avec lesquels j’ai été condamné sont soit graciés, soit amnistiés, sauf moi. Je suis en train de demander qu’une solution politique soit trouvée à cette question-là. Je ne vais pas brûler la Côte d’Ivoire parce que je veux être candidat. J’en appelle à ceux qui ont la possibilité de décider, de faire en sorte que cette élection soit calme, apaisée et surtout inclusive. »
Les deux premiers ne diront pas « non » à cette « solution politique ». Les regards sont désormais tournés vers le président Alassane Ouattara.
Reste les rumeurs persistantes sur l’état de santé d’au moins un des candidats. Un diplomate à Abidjan commente : « Même avec un casier judiciaire à nouveau vierge, il faut souhaiter à certains candidats d’avoir une très bonne santé et d’avoir de la chance ».
france24