Badanam Patoki Président de l’Amf-Umoa : « Une stratégie de promotion du marché des capitaux durables a été élaborée pour stimuler son développement »

En 2022, le Crepmf est devenu l’Autorité des marchés financiers de l’Union monétaire ouest africaine (Amf-Umoa). Cette structure est dans une logique de progrès, selon son président Badanam Patoki. Dans un interview exclusive accordée au « Journal de l’économie sénégalaise » (Lejecos), M. Patoki a révélé que l’institution, qui célèbre cette année ses 28 ans d’existence, a été le catalyseur d’une mobilisation totale de 20 249 milliards de FCFA au 31 décembre 2023.

Les principales mutations et innovations de cette importante institution de l’Union ; la Conférence sur la Finance durable dans l’Union organisée en 2023 ; la réforme sur la cartographie des risques ; les obligations vertes, sociales ainsi que les instruments financiers islamiques (Sukuk) ont été les principales questions abordées au cours de cet entretien.

Le patron de l’Amf-Umoa est revenu, par ailleurs, sur les chantiers à court et moyen terme. Il s’agit notamment de la poursuite des missions régaliennes de règlementation, d’habilitation et de veille, d’une part, la finalisation des textes de base du marché financier régional, la mise en place du Fonds de protection des épargnants d’autre part.

Badanam Patoki Président de l’Amf-Umoa

Monsieur le Président, l’Autorité des marchés financiers de l’Union monétaire ouest africaine (Amf-Umoa) assure le bon fonctionnement et la régulation du marché financier régional. Pouvez-vous revenir sur les principales mutations et innovations opérées par votre auguste institution, plus particulièrement au cours de ces deux dernières années ?

Je suis honoré de l’occasion qui m’est ainsi offerte de pouvoir m’exprimer aujourd’hui au nom de l’Amf-Umoa dans ce numéro de votre journal. Je tiens tout d’abord, à rappeler que notre mission principale consiste à protéger l’épargne investie en valeurs mobilières et autres véhicules de placement, tout en assurant une information transparente aux investisseurs et en veillant au bon fonctionnement du marché financier régional.

A ce titre, on peut dire qu’au cours des dernières années, nous avons consolidé nos progrès dans la mise en œuvre de notre cadre d’action de référence dénommé « Nouvelles priorités de développement du marché financier régional ».

En effet, nous avons mis le focus sur les aspects institutionnels, l’attractivité du marché, la diversification des produits financiers, la gouvernance et la protection des épargnants.

Le changement de dénomination du Crepmf devenu Amf-Umoa, entériné en 2022, marque de ce point de vue, une étape importante dans notre évolution. Nous avons également initié des réflexions sur de nouveaux produits financiers, notamment la finance durable et la finance islamique, dont les premières mesures ont été adoptées en 2023. Ces efforts témoignent de notre engagement pour l’innovation et la diversification du marché financier régional.

 D’ailleurs, nous avons organisé des événements tels que le Colloque international sur la finance et l’investissement durables en 2023, qui a réuni des acteurs clés pour discuter des enjeux et des opportunités dans ce domaine.

En plus de la promotion de la finance durable, nous avons pris des mesures pour diversifier la base des investisseurs et faciliter l’accès au marché financier, notamment à travers le déploiement de la bourse en ligne et le développement de la titrisation.

La gouvernance du marché financier, qui fait partie de notre mission, a également été récemment renforcée, tant au niveau des infrastructures de marché, que des intermédiaires agrées. Enfin, l’intégration des marchés boursiers africains reste un objectif majeur, offrant des avantages significatifs pour les investisseurs.

En matière de protection des épargnants, nous avons récemment révisé notre dispositif de sanctions pécuniaires pour le rendre plus efficace et cohérent avec les normes internationales. Ces actions sont de nature à renforcer l’intégrité, la transparence et la stabilité du marché financier régional de l’Umoa.
 
Votre institution a organisé en 2023 une première Conférence sur la Finance durable dans l’Union dénommée « West Africa sustainable finance and investment Forum, Wasfif», c’est-à-dire, faire la promotion de la finance et de l’investissement durables sur le marché régional de l’Umoa. Quelles sont   les retombées et les perspectives pour les pays membres ?

Dans le cadre de la mise en œuvre des actions visant à accroître l’attractivité et la diversification du marché financier de l’Umoa, l’Amf-Umoa a organisé, les 14 et 15 septembre 2023, en collaboration avec les Partenaires techniques et financiers, tels que la Banque mondiale, le Pidg, l’Iefa et Fsd Africa, la toute première édition du Colloque international de l’Afrique de l’Ouest sur la finance et l’investissement durables.

Cet événement, qui entre en droite ligne de  l’Axe stratégique n°3 des Nouvelles Priorités de Développement du marché 2020-2024, a rassemblé plus de trois cents (300) participants, comprenant des représentants des Ministères en charge des Finances et de l’Environnement des États membres de l’Union, des organes de l’Union tels que la Commission de l’Uemoa, la Bceao et la Boad, des régulateurs de marchés financiers, des acteurs du marché financier régional ainsi que des experts en finance durable.

Les objectifs de ce colloque étaient multiples, car il s’agissait d’abord, de promouvoir la finance et l’investissement durable dans la zone Uemoa, de discuter ensuite des moyens de mobiliser des ressources pour le développement durable, et enfin de fournir une plateforme d’échange pour les investisseurs, les décideurs politiques, les émetteurs et autres parties prenantes.

Les discussions approfondies ont porté sur des sujets cruciaux comme, le changement climatique, les obligations vertes, sociales et durables, le financement des transitions, les énergies renouvelables et l’agriculture durable.

Ce forum a été de mon point de vue, un succès retentissant, car il a démontré que la finance durable offre des alternatives crédibles aux mécanismes traditionnels de financement, tout en préservant la stabilité financière.

Le Colloque a, par ailleurs, révélé le potentiel de notre zone et de notre marché pour attirer les investisseurs internationaux, en mettant en lumière les projets de mitigation et d’atténuation du changement climatique. De plus, il a permis de présenter la taxonomie des projets verts, sociaux et durables, renforçant ainsi l’alignement du marché financier régional sur les normes internationales.

L’autre fait marquant est que, le Colloque a permis de mettre en évidence l’importance d’une impulsion des plus Hautes Autorités, d’une coordination des actions des Organes et Institutions de l’Union, ainsi que de la créativité des acteurs de l’écosystème pour positionner la zone Uemoa comme un hub attractif pour ces financements innovants.

En perspective, il a été retenu que le Wasfif deviendra une conférence biennale, offrant ainsi aux acteurs de l’écosystème l’opportunité d’approfondir leurs réflexions sur la promotion des marchés des capitaux durables dans l’Uemoa. Des conférences seront également organisées dans les États membres pour préparer les porteurs de projets verts, sociaux et durables à présenter leurs initiatives aux investisseurs nationaux, régionaux et internationaux lors de la prochaine conférence.
 
Dans le cadre de la réalisation des chantiers de réformes visant à faire de notre place financière un espace sûr, dynamique et sécurisé, I‘Autorité des marchés financiers a entrepris de doter le marché de l’Umoa d’une cartographie des risques et d’un système de gestion des risques. Quels sont les enjeux et motivations de cette réforme ? Y a-t-il des écueils identifiés dans sa mise en œuvre ?
 
En vue d’assurer la stabilité du système financier, les États membres de l’Union monétaire ouest africaine ont mis en place un Comité de stabilité financière (Csf) chargé de surveiller macroprudentiellement les risques susceptibles de menacer la stabilité financière de notre zone.

Afin d’améliorer la capacité de ce comité à appréhender les risques globaux et systémiques affectant l’ensemble du système financier et les économies de l’Union, le Csf a opté pour l’élaboration d’une cartographie des risques couvrant toutes ses composantes.

Dans ce cadre, l’Amf-Umoa a développé une cartographie des risques spécifiquement dédiée au marché financier régional de l’Umoa. Dans cette optique cette initiative vise à renforcer la stabilité du marché financier régional, en identifiant et en traitant les risques susceptibles de compromettre son développement.

En outre, s’appuyant sur cette cartographie des risques et les recommandations de l’Organisation internationale des Commissions de valeurs (Oicv), l’action de l’Amf-Umoa permet de réduire les risques systémiques ; l’un des objectifs clés de la régulation des marchés financiers.

Afin de concrétiser cette vision, l’Amf-Umoa envisage de réorienter son approche de supervision vers une approche fondée sur les risques. Ceci nécessite ainsi le développement et la mise en place d’outils adaptés à la gestion des risques. Cette réforme majeure, incluant la cartographie des risques et la mise en place d’un système de management des risques pour le marché financier régional de l’Umoa, justifie une attention particulière.

Cependant, la mise en œuvre d’une réforme d’une telle envergure n’est pas exempte de défis.

Ces défis incluent notamment l’obsolescence du dispositif actuel de surveillance et de maîtrise des risques. Des investissements seront nécessaires en termes de renforcement des capacités humaines et des équipements pour assurer une surveillance efficace du marché.

De plus, l’absence d’outils technologiques appropriés et celle d’un cadre de gouvernance adapté, constitue également un obstacle à surmonter. Enfin, pour conclure sur ce point, il ya la nécessité d’une réglementation pertinente pour la gestion des risques et le développement du marché financier afin d’assurer une supervision efficace. Cela constitue, à mes yeux   un défi à adresser pour garantir le succès de cette réforme.
 
Les obligations vertes, sociales ainsi que les instruments financiers islamiques (Sukuk), constituent des outils innovants devant permettre de mobiliser davantage de ressources. Quelles sont les opportunités induites par ces véhicules de financement pour les pays de l’Union ? Existe-t-il une régulation spécifique appliquée à cette catégorie de titres ?
 
L’Afrique est confrontée à un défi majeur de son développement lié aux effets imprévisibles du changement climatique et à l’épuisement de ses ressources naturelles. Il devient ainsi impératif d’adopter des modèles de développement plus durables pour relever ce défi.

Vous conviendrez avec moi que le financement des actions de développement de nos pays demeure une problématique forte.

Consciente de cet enjeu, l’Amf-Umoa, avec le soutien de la Banque mondiale, a publié en mars 2020 un guide pédagogique pour les émissions d’obligations vertes, sociales et durables sur le marché financier régional de l’Umoa. Ce cadre règlementaire, aligné sur les normes internationales, vise d’une part, à diversifier les instruments financiers disponibles, et d’autre part, à élargir la base des investisseurs et favoriser une mobilisation accrue des ressources.

Au-delà de l’objectif d’élargir la base des investisseurs, ce nouvel instrument vise à améliorer les conditions de financement pour des projets novateurs à des coûts compétitifs.

Mais entre autres objectifs, il vise à accélérer la réalisation des objectifs de développement durable et à diversifier les instruments financiers régionaux. À ce jour, il a permis au secteur privé de mobiliser 10 milliards de FCFA. Nous espérons que d’autres levées de fonds de cette nature suivront.

Face à la nécessité de mieux identifier les projets éligibles à ces financements, l’Amf-Umoa a élaboré une taxonomie des projets verts, sociaux et durables. De plus, une stratégie de promotion du marché des capitaux durables 2024-2026 a été élaborée pour stimuler le développement de ce marché.

La finance islamique a enregistré des progrès depuis son introduction sur le marché financier régional en 2011.

Huit émissions de Sukuk ont été réalisées par quatre États membres et par la Société de gestion de participations aéronautiques (Sogepa), pour un montant total mobilisé de plus de 1 400 milliards de FCFA. Ces fonds ont été principalement destinés au financement de projets sociaux, d’électricité et d’infrastructures.

Au regard des opportunités offertes par la finance islamique pour un financement à long terme des économies de l’Union, l’Amf-Umoa a mis en place un cadre réglementaire dédié au marché de capitaux islamiques en 2022.

Ces textes fournissent les outils nécessaires à son encadrement et à sa supervision.

Pour conclure sur cette question, je dirai que la promotion de la finance islamique et du marché des capitaux durables revêt une importance cruciale pour le développement durable de nos économies. Il est essentiel d’encourager une collaboration étroite entre les acteurs du secteur privé et du marché financier pour tirer pleinement parti de ces opportunités, tout en surmontant les défis persistants liés à la sensibilisation et à l’intégration des parties prenantes.
 
Pouvez-vous revenir sur les chiffres clés du marché en 2023 ? Les jalons pour un marché financier plus liquide et plus profond sont-ils posés pour rependre vos propos tenus lors de la cinquième édition des Rencontres du Marché des titres publics (Remtp) à Dakar ?

Le marché financier régional de l’Umoa, fruit de la collaboration entre huit (8) pays partageant le FCFA comme monnaie commune, célèbre ses 28 années d’existence cette année. Sur la période, il a été le catalyseur d’une mobilisation totale de 20 249 milliards de FCFA jusqu’au 31 décembre 2023.

Sur le marché primaire, les émissions de titres souverains ont joué un rôle dominant, totalisant 23 opérations effectuées par six (6) États membres pour un montant global de 1 806,04 milliards de FCFA en 2023. Près de 70 % de ces fonds ont été alloués au financement d’infrastructures bénéficiant à la population de l’Union.

Le marché secondaire affiche une capitalisation boursière d’environ 18 269 milliards de FCFA à fin 2023, avec cent-trente-trois (133) lignes obligataires cotées et 46 sociétés cotées. La capitalisation totale du marché a progressé de 10,81 % pour atteindre 18 269,23 milliards de FCFA, stimulée par la hausse de 5,38 % du marché des actions et de 15,41 % de la capitalisation du marché obligataire.

Les transactions ont, quant à elles, totalisé 122,26 millions de titres échangés pour une valeur de 294,27 milliards de FCFA.

Le nombre d’acteurs agréés sur le marché financier régional s’est également accru, en passant de 261 en 2022 à 282 au 31 décembre 2023, témoignant ainsi de la vitalité et de la croissance du marché.

Ces performances sont le fruit d’une transformation structurelle initiée par notre marché, et mise en œuvre à travers le plan de réformes adopté en mars 2016 par le Conseil des Ministres de l’Union. Cependant, la problématique de la profondeur et de la liquidité de notre marché, qui est encore jeune reconnaissons-le, demeure et constitue un défi à relever.
 
Monsieur le Président, quels sont vos chantiers à court et moyen terme ?

L’Amf-Umoa entend poursuivre, outre ses missions régaliennes de règlementation, d’habilitation et de veille, la mise en œuvre des chantiers découlant des Nouvelles priorités de développement du Marché, dont la vision est de « Faire du marché financier régional de l’Umoa, une place financière africaine attractive et sécurisée pour un financement durable des économies de l’Union ».

L’année 2024 sera marquée par plusieurs chantiers importants, notamment, la finalisation des textes de base du marché financier régional, et la mise en place du Fonds de protection des épargnants, sans oublier la mise en place des règles comptables spécifiques applicables aux intervenants agréés du marché financier régional, et celle du cadre réglementaire de l’activité de capital-investissement.

Enfin 2024 portera la marque de la révision de l’actionnariat des structures centrales, la revue de la tarification du marché financier régional, ainsi que la cartographie des risques.

Au demeurant, les actions de l’Amf-Umoa continueront de viser :

  • _la protection des investisseurs ;
  • _l’amélioration de l’attractivité et de la diversification du marché financier régional ;
  • _le renforcement des capacités ;
  • _le renforcement de la coopération régionale et internationale.

Lejecos Magazine

You may like