Grèce : soulagement après la relaxe des neuf Égyptiens poursuivis dans le naufrage de Pylos

Lors d’un procès éclair, la justice grecque a abandonné mardi toutes les charges contre neuf Égyptiens accusés d’être à l’origine de l’un des naufrages de migrants les plus meurtriers jamais survenus en Méditerranée. La cour s’est déclarée incompétente pour juger cette affaire, qui s’est déroulée hors de Grèce, dans les eaux internationales.

Des applaudissements, des manifestations de joie et un cri : « Vive la justice » ! La satisfaction du public présent résonne à travers la salle d’audience en écho au verdict tout juste annoncé. Au même moment, les visages des neuf accusés égyptiens s’éclairent d’un sourire retrouvé. Les neuf jeunes hommes tombent alors dans les bras les uns des autres.

Certains en profitent pour embrasser les rares proches qui ont pu faire le déplacement jusqu’au palais de justice de Kalamata, dans le sud du Péloponnèse.

C’est la fin des poursuites à leur encontre, en Grèce. Ils étaient jugés pour leur rôle dans le naufrage de Pylos, l’une des pires tragédies jamais survenues en Méditerranée, en juin 2023, où environ 500 personnes sont mortes noyées.

Soulagement et embrassades dans la salle d'audience juste apres l'annonce du verdict. Crédit : Joël Bronner pour InfoMigrants

Dans le tribunal, l’heure est à la réjouissance.

« Nous sommes tous ravis du verdict d’aujourd’hui qui va enfin permettre aux accusés d’être libérés », confie l’avocat de la défense Alexis Georgoulis, au nom de l’ensemble de ses collègues. « Nous sommes d’autant plus ravis que ces neuf personnes qui ont passé près d’un an en prison vont retrouver la liberté pour la première fois depuis le naufrage », ajoute-t-il quelques instants après la conclusion du procès.

De la mer à la prison

Presque immédiatement à leur arrivée à terre en juin 2023, Athènes a en effet poursuivi ces neuf hommes, présents à bord de l’Adriana, au motif qu’ils seraient des passeurs d’une part et à l’origine du naufrage du bateau d’autre part. « Je suis directement passé de la mer à la prison », précise l’un d’eux qui, comme l’ensemble des co-accusés, dépasse d’une bonne tête les deux traducteurs qui l’accompagnent à la barre.

Pour la défense, « les neuf de Pylos » ont toujours été des passagers qui ont payé leur place comme les autres pour monter dans ce chalutier funeste à destination des côtes italiennes.

Environ « 150 000 livres égyptiennes » (près de 3 000 euros), détaillent plusieurs d’entre eux face aux juges, à propos du prix du ticket.

Photo de l'Adriana quelques heures avant son naufrage au large de Pylos, en Grèce, en juin 2023. Crédit : Reuters

Si les Égyptiens sont interrogés tour à tour et à la chaîne – environ deux minutes chacun, montre en main – c’est essentiellement pour répéter quelle était la route migratoire empruntée par l’Adriana ce jour-là. Tous confirment ce que les connaisseurs du dossier savent déjà. « Nous sommes partis de Tobrouk en Libye, nous allions en Italie, la Grèce n’était pas notre destination ».

Chrysanthi Kaouni voit dans cette affaire « un cas tout à fait typique de la criminalisation de l’immigration ».

L’avocate basée à Kalamata affirme n’avoir vu dans ce dossier « aucune réelle volonté d’enquêter sur les réseaux de passeurs qui exploitent le besoin de mobilité de ces migrants ». « Seul objectif« , selon elle, de l’incarcération et des poursuites contre les neuf Égyptiens : « Avoir certaines personnes à mettre sous les verrous dès leur arrivée sur la terre ferme pour nourrir le discours selon lequel la Grèce procède à des arrestations ». 

« Le bateau s’est mis à tanguer à gauche… à droite… »

Dans ce dossier, l’accusation qui a conduit au procès des neuf Égyptiens n’a jamais paru très solide. Les avocats de la défense ont ainsi eu beau jeu d’étriller, avant même le début du procès, les lacunes d’une enquête officielle bouclée « en seulement six mois ». Une enquête qui, surtout, rappellent les avocats « n’a mené nulle part » concernant le rôle des garde-côtes grecs dans le naufrage lui-même.

Pourtant, les témoignages de rescapés recueillis par la presse, les ONG et les avocats vont tous dans le même sens.

 En raison d’un problème de moteur, les passagers de l’Adriana se retrouvent en grande difficulté dans les eaux internationales, au large des côtes grecques. Prévenus par l’agence européenne de surveillance des frontières Frontex, les garde-côtes grecs finissent par intervenir. Une intervention dont l’objectif ne semble pas de mener une opération de secours mais de ramener l’Adriana en direction des eaux italiennes, objectif affiché des passagers à bord.

La suite, c’est ce rescapé syrien, garçon réservé et poli d’une vingtaine d’années, qui nous l’a racontée, peu de temps après le naufrage.

« Les garde-côtes ont envoyé une corde sur le bateau pour nous remorquer et nous amener jusque dans les eaux italiennes. Quand ils ont commencé à nous tirer, le bateau s’est mis à tanguer à gauche, puis à droite. On s’est alors mis à crier ‘Stop, stop, stop !’ en direction des garde-côtes grecs, mais personne ne nous a entendus. C’est à ce moment-là que le bateau s’est retourné et que nous avons fait naufrage ». 

« Pour que la justice ne sombre pas »

En plus du nombre élevé de victimes, le rôle trouble joué par les garde-côtes, rôle qu’Athènes n’a jamais reconnu officiellement jusqu’à présent, explique en partie la mobilisation, le matin du procès, de quelques dizaines de militants des droits humains et de représentants de partis ou de syndicats marqués à gauche. Sur une banderole, on pouvait lire le mot « crime ».

« Pour que la justice ne sombre pas« , indiquait, de son côté, un large dessin brandi face au tribunal, mimant le style du Guernica de Picasso, en version marine.

Une poignée de militants syndicalistes tiennent une banderole avec le mot "crime" en face du tribunal de Kalamata, juste avant l'ouverture du procès. Crédit : Joël Bronner pour InfoMigrants

Juste avant l’ouverture du procès, des incidents ont d’ailleurs éclaté entre certains militants arrivés tôt devant le tribunal et la police qui a voulu les en déloger, comme en témoigne le t-shirt d’un syndicaliste, déchiré dans l’altercation.

Avec des camions et plusieurs dizaines de policiers déployés pour limiter l’accès au tribunal, la présence des forces de l’ordre était en tout cas assez massive, à l’échelle d’une petite ville de moins de 60 000 habitants comme Kalamata.

Devant le tribunal de Kalamata, des militants brandissent un poster avec les mots "Pour que la justice ne sombre pas". Crédit : Joël Bronner pour InfoMigrants

La conclusion judiciaire de ce procès, en trois heures à peine, ne met donc pas un terme à l’ensemble des interrogations qui entourent les circonstances du naufrage qui a eu lieu le 14 juin 2023 au large de Pylos, alors que près de 750 personnes se trouvaient, selon les estimations, à bord de l’Adriana. Pakistanais, Égyptiens et Syriens en tête.

Au total, seules 104 personnes ont survécu. Les autres ont rejoint le cimetière marin de la Méditerranée.

En septembre 2023, 40 survivants du naufrage ont porté plainte dans une procédure distincte pour qu’une nouvelle enquête, indépendante cette fois, soit menée sur les circonstances exactes du naufrage. La relaxe des neuf Égyptiens ne marque donc probablement pas encore l’épilogue judiciaire du naufrage de Pylos. 

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