C’est une compétition unique : le Prix Herbert von Karajan des jeunes chefs d’orchestre. Chacun des trois finalistes a eu la chance de diriger son propre concert au Festival de Salzbourg. Musica les a suivis dans leurs préparatifs jusqu’au moment tant attendu de la finale.
Ils mettent tous trois, leur talent en jeu dans une compétition unique : Tobias Wögerer, Hankyeol Yoon et Vitali Alekseenok sont les finalistes du Prix Herbert von Karajan des jeunes chefs d’orchestre 2023. Ils ont été sélectionnés parmi plus de 300 jeunes talents du monde entier et ont la chance de diriger leur propre concert lors du Festival de Salzbourg.
« Je suis heureux et impatient que la finale ait lieu, » souligne le premier. « Un concert dans le cadre du Festival de Salzbourg, c’est un grand privilège, j’ai hâte, » assure le deuxième. « C’est quand même le festival de musique classique le plus célèbre au monde, je ne m’attendais pas du tout à y participer et maintenant, je suis là ! » s’enthousiasme le troisième.
« Il s’agit surtout de réfléchir à ce que l’on veut » selon Tobias Wögerer
Qui remportera cette prestigieuse récompense ? Nous suivons les candidats et leur intense préparation alors que leur exaltation allait croissante à l’approche de la finale.
Nous rencontrons Tobias Wögerer au Volksoper de Vienne où il est chef d’orchestre en résidence.
Le jeune Autrichien consacre chaque minute de son temps libre à la préparation du moment le plus important de sa carrière : la finale de ce prestigieux concours de direction d’orchestre.
« 90% du travail et de la préparation à la direction d’orchestre consiste à lire inlassablement les œuvres, dans l’intimité, dans sa chambre, à son bureau, à réfléchir et à expérimenter, » fait-il remarquer.
« Mais il s’agit surtout de réfléchir à ce que l’on veut, d’essayer vraiment de le visualiser, » souligne-t-il.
Hankyeol Yoon veut « inspirer les musiciens »
Autre finaliste, Hankyeol Yoon, originaire de Corée du Sud. Cet artiste aux multiples facettes est également compositeur. Nous le retrouvons à Salzbourg.
« Inspirer les musiciens et communiquer avec eux, je crois que c’était – et c’est toujours – mon plus grand objectif et c’est ce que j’apprécie le plus, » dit-il en faisant référence à la direction d’orchestre.
« Je pense que la flexibilité est très importante, il faut simplement appréhender l’atmosphère et ensuite, la proposer pour que les musiciens puissent rester spontanés aussi longtemps que possible, » indique-t-il.
Président du jury du Prix Herbert von Karajan cette année, Manfred Honeck précise : » La technique est très importante tout comme la capacité de motiver et d’enthousiasmer cent musiciens qui jouent pour toi. Il ne faut pas non plus oublier que nous ne pouvons pas parler pendant le concert et indiquer qu’il faut faire les choses comme ci ou comme ça, je ne peux pas crier comme un entraîneur de foot à bord du terrain, » dit-il avant d’ajouter : « Tout se passe en silence et on est dépendant des mains, de la gestuelle et du langage corporel. »
Une question de « confiance »
Une semaine riche en défis attend les finalistes avant l’échéance décisive et leur prestation à la direction musicale de leur propre concert.
Pour l’occasion, ils seront accompagnés par le célèbre ensemble Camerata Salzburg.
Et parmi les musiciens, les attentes sont élevées. « Il y a déjà plusieurs choses que j’espère trouver [ndlr : auprès des chefs d’orchestre] : tout d’abord, un concept, une vision de ce que l’on veut faire et une confiance dans l’orchestre, » indique la flûtiste Wally Hase. « C’est un échange et j’apprécie beaucoup cela, » renchérit-elle.
La violoniste Kana Matsui renchérit : « Pour moi, la confiance est aussi le mot-clé, c’est très important pour moi parce que l’orchestre sonne différemment. Une seule personne peut changer totalement le son de l’orchestre et je trouve cela fascinant, » s’enthousiasme-t-elle.
Vitali Alekseenok fait se rencontrer Beethoven et Silvestrov
Le chef d’orchestre biélorusse Vitali Alekseenok a, de son côté, choisi un concept audacieux. Il alterne la Symphonie n°2 de Beethoven avec une pièce du compositeur ukrainien Valentin Silvestrov.
« Entre les mouvements de Beethoven surgit la musique silencieuse de Silvestrov et pour moi, cela consiste à mettre le silence en musique, » explique Vitali Alekseenok.
« Par exemple, le premier mouvement de Silvestrov se termine très doucement et à la fin, il n’y a plus rien ; soudain, Beethoven entre en scène : la tension de Silvestrov prépare Beethoven, comme s’ils s’étaient déjà rencontrés quelque part, » estime-t-il.
« Silvestrov est évidemment un compositeur très célèbre, notamment en Ukraine et dans l’Est de l’Europe, » explique le jeune chef d’orchestre.
« Je l’ai rencontré au début de la guerre, à la frontière entre l’Ukraine et la Pologne, quand je suis allé le chercher là-bas en tant que chauffeur, pendant sa fuite au début de la guerre, » témoigne-t-il.
« C’est la musique qui compte et non la compétition »
Alors que la finale se profile, les finalistes sentent la pression monter. « Pour moi, en tout cas, je n’ai pas du tout l’impression d’être en compétition, » fait remarquer Tobias Wögerer. « Bien sûr, il y a de la tension et de la nervosité, mais il y a surtout cette impatience de pouvoir faire ses débuts au Festival de Salzbourg avec son propre concert, c’est très particulier, » estime-t-il.
Vitali Alekseenok ressent la même chose. « C’est surtout la musique qui compte et non la compétition, » déclare-t-il.
« J’attends également le concert avec impatience et je suis très heureux que nous ayons pu choisir notre propre programme, » poursuit-il.
« Je souhaite que les musiciens en profitent et que nous passions d’excellents moments ensemble, » indique pour sa part, Hankyeol Yoon.
Le conseil que donnerait Karajan à la nouvelle génération : « Toujours aller au-delà de ce qu’ils connaissent déjà »
Le concours porte le nom d’une icône : Herbert von Karajan. À l’Institut Karajan à Salzbourg, son héritage est préservé et les finalistes ont une occasion exceptionnelle de se plonger dans l’univers de ce compositeur visionnaire.
Matthias Röder, directeur général de l’Institut, les invite à découvrir les archives.
« Nous avons ici, de nombreux documents originaux, de la correspondance, des livres, ses partitions d’étude, » décrit-il avant de leur montrer une partition de « Boris Godounov ». « Il s’agit d’un document très important car il témoigne des décennies du travail de Karajan sur ce chef-d’œuvre, » fait-il remarquer.
En voyant les marques inscrites par Karajan sur la partition, Tobias Wögerer interroge son collègue Vitali Alekseenok sur son utilisation des couleurs.
« Je mets du rouge pour un passage dynamique, » explique-t-il avant de lui retourner la question. « J’ai une couleur par catégorie d’instruments : pour moi, le rouge correspond aux cuivres, le bleu, ce sont les bois et le crayon, les cordes, » précise Tobias.
« Je n’utilise que le crayon car je suis trop paresseux pour utiliser différentes couleurs, » indique de son côté, Hankyeol Yoon, en riant.
Matthias Röder indique : « Pour la nouvelle génération, Herbert von Karajan recommanderait de toujours aller au-delà de ce qu’ils connaissent déjà. Apprendre de nouvelles choses dans le domaine de l’innovation, c’était sa grande préoccupation, mais aussi ce qui lui a donné des ailes tout au long de sa vie, » affirme-t-il avant de les inviter à s’asseoir dans le fauteuil du maestro, exposé dans l’Institut.
Les jeunes chefs d’orchestre se prêtent volontiers au jeu en évoquant l’importance de Karajan pour eux.
« J’ai toujours adoré le son qu’il créait, » assure Hankyeol.
« Ce qui me fascine chez lui, c’est qu’il était un tel magicien du son, » ajoute Tobias. « Il est intéressant de noter que Karajan a été l’un des premiers à me montrer le chemin de la musique classique, » souligne pour sa part, Vitali.
"Exciting week at the Karajan Institute! 🎵 Celebrated the Young Conductors Award, interviewed finalists alongside ORF & Euronews, and showcased the Dolby Atmos mix for Karajan's 1977 Beethoven cycle. #Karajan #ClassicalMusic @SbgFestival @DGclassics @ORF @CamerataSBG pic.twitter.com/BR8LapRC74
— Matthias Röder (@matthiasroder) August 12, 2023
« Un tremplin incroyable » selon Maxime Pascal
Le prix Herbert von Karajan pour jeunes chefs d’orchestre ouvre au lauréat, les portes d’une carrière prometteuse.
Maxime Pascal a eu cette chance, le chef d’orchestre français l’a remporté en 2014. « C’est un souvenir un peu comme dans un rêve, » confie-t-il lors de sa venue au Festival de Salzbourg. « J’ai été extrêmement chanceux de gagner ce concours parce que cela a été un point de départ extraordinaire, » reconnaît-il.
Cet été, il a été le premier lauréat à diriger une production d’opéra au Festival de Salzbourg, avec l’orchestre philharmonique de Vienne.
« Très vite, après le concours, j’ai été invité à diriger des orchestres un peu partout dans le monde, mais aussi dans les festivals et les maisons d’opéra, donccela a été un tremplin incroyable, » insiste-t-il.
« On est tellement dans un tunnel positif, » affirme Tobias Wögerer
La finale est enfin là. Les trois jeunes chefs d’orchestre s’apprêtent à faire leurs débuts au Festival de Salzbourg lors du week-end des concerts de remise des prix. Nous interrogeons Tobias sur la pression qu’il ressent à quelques heures du concert qu’il va diriger. « Je pense que les doutes nous accompagnent toujours, mais on est tellement dans un tunnel positif que l’on n’a pas vraiment le temps d’ [en avoir], » lance-t-il dans un sourire.
Alors que le programme de Tobias s’intitule « Des Univers sonores contrastés », Vitali présente « Un Espace pour le silence » et Hankyeol, « Des Maîtres de génie ».
« Pour nous tous qui faisons partie du jury, je pense qu’il est très important de sentir qu’il s’agit de musique et non d’impressionner un public ou – pire encore – un jury, mais véritablement de créer de la musique, » indique Alexander Meraviglia-Crivelli, membre du jury. « On cherche des choses évidentes : une technique, de la musicalité, une personnalité et du charisme, » renchérit son collègue Brian McMaster.
À l’issue des concerts, Manfred Honeck annonce : « Nous devions faire un choix, le gagnant du Prix Karajan des jeunes chefs d’orchestre est Hankyeol Yoon. »
Le plaisir de la musique
Ainsi s’achèvent des mois de préparation intensive. Concourir au prix Herbert von Karajan des jeunes chefs d’orchestre a représenté une expérience unique pour chacun des finalistes.
« C’est un honneur incroyable que d’avoir la chance de partager la même scène que deux autres jeunes chefs d’orchestre talentueux, Tobias et Vitali, » conclut Hankyeol Yoon.
« J’ai pris énormément de plaisir lors du concert, » témoigne pour sa part, Tobias Wögerer, tandis que Vitali Alekseenok conclut : « J’ai expérimenté beaucoup de musique pendant le concert, j’y ai trouvé beaucoup d’inspiration. »
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