Élections européennes : Giorgia Meloni face à son bilan sur la question migratoire

Depuis 2015, près de 850 000 migrants ont débarqué sur les côtes italiennes. Un flux que l’extrême droite italienne, au pouvoir depuis 2022, promettait de stopper lorsqu’elle était encore dans l’opposition. Mais les arrivées se poursuivent, empêchant Giorgia Meloni de surfer sur le thème de l’immigration à l’occasion de la campagne pour les élections européennes.

À Marsala, dans l’ouest de la Sicile, les familles siciliennes se baladent sur la piazza della Repubblica dans la douceur printanière. Dans la foule, il n’est pas rare d’apercevoir des groupes de jeunes d’origine africaine.

Et pour cause : la Sicile compte près de 10 300 demandeurs d’asile. L’île vit depuis des années au rythme des débarquements de migrants qui fuient l’Afrique en traversant la Méditerranée.

Avant son arrivée au pouvoir en octobre 2022, Giorgia Meloni, la cheffe de la droite ultranationaliste italienne, avait promis de stopper ce flux migratoire. Désormais présidente du Conseil, elle n’est pas parvenue à l’endiguer.

Sur la place de Marsala, Nino Chipinti se souvient bien de ses discours d’opposante, quand elle plaidait pour un « blocus naval » des côtes nord-africaines. « En disant cela, Meloni faisait des déclarations de guerre à l’humanité tout entière. Un blocus naval, c’est quelque chose qu’on peut faire seulement en cas de guerre », estime-t-il.

« Aujourd’hui, on voit bien qu’elle a échoué sur ce thème, car elle n’a pas tenu ses promesses », conclut le Sicilien. Un constat confirmé par les statistiques annuelles officielles des arrivées par mer dans la péninsule : en 2023, près de 158 000 migrants ont débarqué en Italie. Soit 50 % de plus que l’année précédente.

La droite nationaliste dans l’embarras

La poursuite des arrivées de migrants met dans l’embarras la droite nationaliste au pouvoir, incapable de faire valoir des résultats statistiques sur le front migratoire qui pourraient satisfaire ses électeurs dans le cadre de la campagne pour les européennes.

Lors de la présentation, au nord de Rome, d’un groupe de candidats de Fratelli d’Italia (Frères d’Italie, le parti de droite ultranationaliste de Giorgia Meloni), c’est l’agitation des grands jours.

Meeting du parti Fratelli d'Italia à Rome pendant la campagne pour les élections européennes.

Dans la salle louée pour l’occasion, les barons du parti ont fait le déplacement pour soutenir les colistiers de Giorgia Meloni.

Son visage est sur toutes les affiches. La cheffe du gouvernement est tête de liste dans les cinq circonscriptions italiennes. Favorite des sondages, elle se présente avec un visage souriant sous le slogan : « Avec Giorgia, l’Italie change l’Europe ».

À la tribune défilent les élus du parti et les candidats aux élections européennes avec des discours centrés sur des thèmes économiques – et évitant toute allusion à l’épineux dossier de l’immigration.

Rien de surprenant pour Lorenzo De Sio, directeur du Centre italien d’études électorales (Cise) de l’université romaine Luiss Guido Carli : « L’immigration est un thème que Meloni tente de ne pas aborder dans cette campagne car il n’y a pas eu de changements substantiels depuis qu’elle est au pouvoir.

Donc, même si c’est un thème cher à la droite, dans cette campagne, elle n’investit pas vraiment dessus », nous confie-t-il.

Après son passage à la tribune, Nicola Procaccini, eurodéputé sortant de Fratelli d’Italia et candidat à un nouveau mandat, nous explique la stratégie d’externalisation de la gestion migratoire que défendra son parti au prochain Parlement européen : « Giorgia Meloni a ouvert une nouvelle page de collaboration avec les nations africaines dont sont originaires et par où transitent les migrants. Ce sera bénéfique à l’Europe. »

« Il faut bloquer les départs là-bas », poursuit-il. « Il faut gérer les migrants avant qu’ils arrivent sur le sol européen.

Il faut sélectionner avant leur départ ceux qui ont le droit à l’asile ou ceux qui peuvent être utiles à nos économies en travaillant dans des secteurs spécifiques », estime-t-il, avant d’ajouter que « cela permettra aux nations européennes d’intégrer plus facilement ces personnes ».

Un projet que les futurs élus de Fratelli d’Italia comptent défendre à Strasbourg avec les autres membres du groupe Conservateurs et réformistes européens (ECR, auquel est affilié le parti de Giorgia Meloni au Parlement européen).

Un docteur de Lampedusa en campagne pour la gauche

S’il y a une personne qui connaît de près le phénomène migratoire en Italie, c’est bien le docteur Pietro Bartolo. L’homme a dirigé pendant 30 ans le dispensaire de Lampedusa, l’île italienne régulièrement confrontée au flux d’arrivées de candidats à l’asile.

Pendant ces années, il a inlassablement soigné les migrants qui débarquaient sur cette terre située à moins de 300 kilomètres de la Tunisie et de la Libye. En 2019, il s’est engagé en politique et a été élu député au Parlement européen.

Cette année, il tente à nouveau l’aventure avec le Parti démocrate – de centre gauche –, deuxième force politique du pays, qui plaide pour l’accueil des migrants en Europe.

Le docteur Pietro Bartolo a dirigé pendant 30 ans le dispensaire de Lampedusa en Sicile.

En campagne, Pietro Bartolo déplore le vent d’intolérance marqué à droite qui souffle en Europe, et son impact sur les candidats à l’exil qui arrivent dans la péninsule.

« L’Europe est en train de tout faire pour bloquer et repousser les migrants à cause de cette volonté des gouvernements souverainistes de l’Union européenne de s’opposer à l’immigration pour des questions d’opportunisme électoral », s’insurge-t-il.

« Ils ont créé des boucs émissaires responsables de tous les problèmes, pour pouvoir se faire passer pour les sauveurs de l’Europe et de ses citoyens. L’Europe doit au contraire mettre en place des canaux de migration légale pour éviter que ces personnes prennent des risques, les accueillir et les intégrer », affirme-t-il.

Pietro Bartolo ne cache pas sa déception après un mandat passé au Parlement européen, mais entend continuer à se battre pour défendre les droits des migrants.

Parmi les Siciliens et Siciliennes venues l’entendre, Valentina Villanova partage sa vision. « Ces personnes sont une ressource qui arrive par la mer », dit-elle. « Elles devraient être vues comme quelque chose de positif. La propagande politique souverainiste nous fait croire qu’elles sont un problème. Mais c’est le contraire : elles peuvent être le moteur de la croissance de notre pays. »

La Ligue joue la surenchère

Dans un paysage politique polarisé autour des enjeux migratoires, la Ligue tente de se démarquer. Le parti de droite souverainiste de Matteo Salvini apparaît en perte de vitesse par rapport à la formation de sa rivale de droite Giorgia Meloni, avec laquelle il est allié au sein de la coalition des droites gouvernant actuellement le pays.

Lors des dernières élections européennes, la Ligue était arrivée en tête du scrutin en Italie avec 34,26 % des suffrages.

Cette année, les sondages oscillent entre 8 et 10 % des intentions de vote – une dégringolade spectaculaire pour le parti de Matteo Salvini.

Pour tenter de récupérer l’électorat perdu, le patron de la Ligue fait dans la surenchère antimigrants. En déplacement dans la ville de Pescara, dans l’est de l’Italie, il fustige Bruxelles, avec une référence au président français Emmanuel Macron et à son hypothèse d’un déploiement de soldats européens en Ukraine.

« Ce que l’Europe doit faire, c’est défendre les frontières italiennes et européennes contre l’immigration clandestine. On n’a pas besoin d’aller en Ukraine pour défendre l’Europe. Il suffit d’aller à Lampedusa, à Vintimille, dans les Pouilles ou à Trieste.

On ne peut plus être laissés seuls. »

Matteo Salvini, secrétaire fédéral de la Ligue et vice-président du Conseil des ministres dans le gouvernement Meloni.

Matteo Villa, analyste senior de l’Institut pour les études de politique internationale (Ispi) à Milan, résume ainsi la situation : « Il est évident que Salvini, tout en étant membre de la majorité au pouvoir, a le champ libre pour critiquer Meloni. Comme s’il était encore dans l’opposition, il fait passer le message qu’elle n’en fait pas assez pour freiner l’immigration, que ses politiques sont trop molles et qu’il faut plus de fermeté en Europe. »

Cette stratégie sera-t-elle payante dans les urnes ?

Réponse le 9 juin avec le nombre d’eurodéputés que la Ligue parviendra à envoyer à Strasbourg pour rejoindre le groupe Identité et démocratie (ID) auquel elle appartient.

Sur les 720 sièges du Parlement européen, 76 seront occupés par des députés italiens.

france24

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