La relation entre le climat et la transmission du paludisme est complexe et fait l’objet d’études approfondies depuis une trentaine d’années.
Les moustiques vecteurs, en nombre suffisant, pour assurer la transmission du paludisme se développent dans une fourchette particulière de températures et d’humidité qui conviennent à leur survie et à leur reproduction. Le parasite a également besoin de températures adéquates pour achever les étapes de sa vie de moustique. Et les moustiques ont besoin d’eau de surface pour se reproduire.
Ces conditions doivent durer suffisamment longtemps pour que les populations de moustiques et de parasites se développent.
Une grande partie de l’Afrique subsaharienne présente précisément ces conditions. Des facteurs tels que les interventions de santé publique, l’utilisation des sols, l’urbanisation et la qualité du logement déterminent également la transmission et la charge de morbidité locale.
Mais un climat approprié est un facteur important pour expliquer les dernières données disponibles (à partir de 2022). Ces données montrent que 94 % des 249 millions de cas de paludisme dans le monde sont enregistrés en Afrique et que la quasi-totalité des 608 000 décès annuels dus au paludisme se produisent sur le continent.
Le changement climatique est susceptible de modifier les conditions de transmission dans certaines régions.
Il est assez simple de modéliser l’effet de l’évolution des températures sur le paludisme en utilisant les données climatiques et les plages thermiques du vecteur et du parasite. Les données relatives aux précipitations sont moins utiles, car les moustiques se reproduisent dans des eaux peu profondes, lentes ou stagnantes, souvent dans de très petites étendues d’eau telles que des flaques. De plus, la pluie ne reste généralement pas là où elle tombe.
C’est là que l’hydrologie – l’étude du mouvement de l’eau et de sa répartition – devient utile à la modélisation.
Nous faisons partie d’une équipe interdisciplinaire qui vient de publier dans la revue Science une nouvelle série d’estimations portant sur la projection des conditions environnementales favorables à la transmission du paludisme sur le continent africain.
Nos travaux intègrent la dynamique des flux et des réserves d’eau qui peuvent influencer les lieux de reproduction. Les résultats donnent une image plus précise qu’auparavant des endroits où la saison de transmission du paludisme pourrait s’allonger ou se raccourcir avec le changement climatique.
Nous avons constaté que les conditions favorables au paludisme diminueront, en particulier en Afrique de l’Ouest.
Mais d’autres zones, en particulier les couloirs fluviaux et les plaines inondables, deviendront plus propices à la transmission du paludisme. Au cours des 25 prochaines années, l’Afrique devrait connaître une croissance démographique massive, souvent à proximité des cours d’eau.
Cela signifie que le nombre de personnes vivant dans des zones potentiellement endémiques pour le paludisme (propices à la transmission plus de neuf mois par an) augmentera d’ici 2100 pour atteindre plus d’un milliard.
En outre, la compréhension des préférences d’habitat de reproduction spécifiques des moustiques et de leurs préférences pour piquer les humains (à l’intérieur ou à l’extérieur, au crépuscule ou la nuit), pourrait permettre de cibler et d’adapter les plans de lutte contre le paludisme.
Suivre l’eau
Dans le prolongement de notre étude pilote antérieure, publiée en 2020, nous avons utilisé dans cette nouvelle étude sept modèles hydrologiques mondiaux. Chacun d’entre eux a été exécuté à l’aide de quatre modèles climatiques. Nous avons examiné différents scénarios futurs, y compris ceux associés à des niveaux d’émissions de gaz à effet de serre faibles, moyens et élevés.
Grâce à cette approche, nous pouvons désormais inclure de nombreux processus hydrologiques tels que l’absorption de l’eau par la terre, l’évaporation de l’eau dans l’atmosphère et l’écoulement de l’eau à travers le paysage dans les grandes rivières.
Nous disposons ainsi de la représentation la plus sophistiquée à ce jour des sites potentiels de reproduction des vecteurs du paludisme en Afrique et de la manière dont ils pourraient évoluer à l’avenir.
Un nouveau profil se dessine
Nos modèles décrivent un schéma complexe et réaliste des conditions propices à la transmission du paludisme aujourd’hui et à l’avenir. Contrairement aux travaux antérieurs, notre modèle met en évidence les voies d’eau et les plaines d’inondation en tant que sites de reproduction des moustiques potentiellement appropriés, souvent en bordure ou à proximité des plans d’eau isolés.
Par exemple, le corridor du Nil en Égypte n’est pas pris en compte dans les modèles thermiques et pluviométriques précédents. Mais lorsque l’hydrologie est prise en compte, comme c’est le cas dans notre étude, la zone est considérée comme très propice à la transmission du paludisme.
L’Égypte est actuellement exempte de paludisme grâce à d’importants efforts de lutte.
Néanmoins, le climat y est toujours propice et les moustiques responsables du paludisme peuvent encore s’y trouver. Nous savons que le paludisme y était présent jusque dans les années 1990 et des traces du parasite du paludisme ont même été trouvées dans d’anciennes momies égyptiennes.
Évolution de l’adéquation à la transmission du paludisme
Dans l’ensemble, nous avons constaté que d’ici 2100, une diminution générale de l’adéquation à la transmission du paludisme est prévue dans la majeure partie de l’Afrique. Les climats futurs seront de plus en plus soit trop chauds, soit trop secs pour permettre la transmission du paludisme tout au long de l’année.
Cette diminution est principalement concentrée en Afrique de l’Ouest, autour de la Gambie.
Elle s’étend sur tout le continent à cette latitude jusqu’au Sud-Soudan. On observe également des diminutions moins importantes de cette adéquation en Afrique australe, autour du Botswana et du Zimbabwe.
Cette réduction de la durée de la saison de transmission est également observée dans des études antérieures utilisant les précipitations pour représenter les eaux de surface.
Mais l’utilisation de modèles hydrologiques révèle des réductions plus concentrées et plus importantes de la durée de la saison. La réduction de ces conditions favorables était la plus prononcée dans le scénario de fortes émissions de gaz à effet de serre.
Mais surtout, les résultats de notre modèle hydrologique sont particulièrement sensibles aux futures émissions de gaz à effet de serre.
Certaines zones, en particulier autour des hauts plateaux d’Éthiopie, voient leur adéquation augmenter d’ici 2100, sous l’effet de l’augmentation de la température dans les montagnes plus fraîches. On observe également une augmentation de l’adéquation au paludisme le long du fleuve Orange en Afrique du Sud, où les plans locaux de lutte contre le paludisme visent à éviter la réintroduction de la transmission le long du fleuve.
Est-ce une bonne nouvelle ?
La réduction des conditions propices à la transmissions du paludisme en Afrique est une bonne chose. Mais lorsque le climat est trop chaud ou trop sec pour que le parasite du paludisme ou le moustique puisse survivre, il y a d’autres conséquences négatives, en particulier pour l’approvisionnement en eau et l’agriculture.
En incluant les flux d’eau dans les estimations de l’aptitude au paludisme, nous pouvons commencer à examiner plus directement les interactions avec ces autres secteurs.
The Conversation Africa.