Chasser les pauvres: pour les JO 2024, le mobilier urbain anti-SDF se multiplie en France

L’association La Cloche et la Fondation Abbé Pierre craignent une volonté, à l’approche des Jeux olympiques, de chasser les personnes sans domicile des centres-villes.

Aux abords du Musée du Louvre à Paris, les rebords de fenêtre où Mike, 26 ans, posait son sac de couchage, la nuit venue, ont été recouverts de pics métalliques du jour au lendemain. « C’était un espace abrité, il y avait des caméras de surveillance et un sentiment de sécurité », explique le jeune homme qui avait pris l’habitude de dormir dans ce quartier très touristique, l’une des vitrines de la capitale.

Depuis 2023, de plus en plus de recoins comme celui-ci sont affublés de dispositifs urbains excluants. « Maintenant, je tourne parfois pendant 1h30-2h pour trouver un endroit où dormir, alors qu’avant, je mettais 10 minutes », déplore-t-il.

L’installation de mobilier anti-SDF n’est pas nouveau.

« On n’a pas attendu les Jeux olympiques pour faire des trucs dégueulasses dans ce pays, lâche Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé Pierre. Ça existait avant Paris 2024, ça existera encore après. Mais depuis quelques années, ces dispositifs sont en augmentation et se renforcent à l’approche des saisons touristiques ou des méga-événements ».

L’exemple le plus flagrant se trouve sous le pont Charles de Gaulle, qui relie la gare de Lyon et la gare d’Austerlitz, zones stratégiques de la capitale. Sur les quais en contrebas, des dizaines de tentes de personnes sans abri se sont retrouvées remplacées du jour au lendemain par des dizaines de rochers et de grilles métalliques.

L’objectif : éviter une réinstallation du camp, à sept mois de la cérémonie d’ouverture des Jeux qui se déroulera en partie à cet endroit.

Des bancs soudainement flanqués d’accoudoirs au beau de milieu de l’assise, d’énormes pots de fleurs sans fleur, des grilles qui entourent un espace vide, des poteaux qui poussent dans les renfoncements abrités des commerces. L’inventivité de certains aménagements urbains est si surprenante que la Fondation Abbé Pierre récompensera cyniquement en novembre 2024 le meilleur dispositif anti-sdf lors de la cérémonie des Pics d’or.

Les acteurs qui organisent l’exclusion urbaine
En 2020, la Mairie de Paris s’est engagée à ne plus installer ce type de mobilier excluant et a fait désinstaller l’un des dispositifs médiatisés à l’époque par Christian Page, qui se fait appeler sur les réseaux le « SDF 2.0 »: une bouche d’aération de métro entourée de grillage, empêchant les sans domicile de s’y allonger pour avoir un peu d’air chaud l’hiver.

Mais la ville doit aller encore plus loin.

« On veut qu’elle s’implique auprès des autres acteurs, publics ou privés, qui continuent d’installer ce type de mobilier. Les commerces, les copropriétés, les grandes enseignes », explique Manuel Domergue. Une multitude d’acteurs privés qui ont un intérêt économique au moment des JO 2024.

La fondation est tout particulièrement vigilante envers les sociétés qui possèdent les abribus ou les sièges dans les transports en commun,« où les bancs sont supprimés au profit de sièges individuels et espacés, d’assis-debout, ou parfois par rien du tout, liste le chercheur, rendant la ville inhospitalière envers tous les publics, y compris les personnes handicapées, les femmes enceintes, les personnes âgées ou les enfants ».

Mike en a fait les frais lui aussi.

« Avant, je pouvais m’allonger dans le métro, dormir au chaud. Mais les bancs sont systématiquement remplacés depuis plusieurs années par des chaises et impossible de dormir là ». Aujourd’hui, c’est à l’Aéroport d’Orly qu’il se pose en fin de journée, à 20 km au sud de Paris. « Les agents de sécurité nous laisse tranquilles, et si on a un problème, on sait qu’on peut s’adresser à eux », raconte-t-il. « Mais ils nous ont déjà prévenus que cet été, avec l’arrivée des touristes pour les JO, ça va être compliqué de venir ici ».

Où aller, alors que les rues sont devenues inhospitalières ?

Mike n’en a encore aucune idée, mais rester à Paris lui paraît impossible. « Les agents de la mairie nous ont déjà prévenus qu’il allait falloir qu’on dégage. Ils nous ont dit que si on restait, ils nous mettraient des amendes. Je leur ai dit ‘allez-y, verbalisez-moi si vous le souhaitez, je ne pourrai de toute façon pas la payer votre amende !’ », ironise-t-il.

L’arrêté, future arme administrative des JO ?
En avril 2024, la mairie d’Amiens, préfecture de la Picardie, au nord de Paris, a interdit aux personnes à la rue de faire la manche dans certains quartiers de la ville, en prévision des Jeux Olympiques, alors que la ville n’accueille aucune épreuve. « On voit que les JO ont le dos large, commente Manuel Domergue de la Fondation Abbé Pierre.

La maire a pris cet arrêté par crainte que les SDF parisiens, incités à quitter la capitale, ne se retrouve en masse chez elle ».

La décision municipale n’a pas fait long feu. Plusieurs associations, y compris la Ligue des droits de l’homme, sont parvenues à la faire suspendre par le tribunal administratif quelques semaines plus tard. Mais l’arrêté municipal ou préfectoral reste un outil privilégié des pouvoirs publics pour évincer des centres-villes les personnes indésirables. « Chaque été, il y a des villes qui savent prendre des arrêtés très bien écrits, limités dans le temps et dans l’espace.

C’est le cas notamment de la ville de Nice, championne de l’inhospitalité ».

À l’approche des Jeux olympiques, événement non pas déclencheur, mais accélérateur d’exclusion urbaine, l’association La Cloche, qui crée du lien social entre personnes sans domicile et riverains, lance une campagne d’affichage pour alerter sur le mobilier excluant, pour que la France tienne sa promesse d’organiser des Jeux olympiques inclusifs et vertueux.

Riverains, usagers des transports ou visiteurs sont appelés à dénoncer les dispositifs anti-SDF sur les réseaux sociaux à l’aide du hashtag #StopMobilierExcluant ou sur la plateforme des Pics d’or pour compléter la cartographie déjà existante.

RFI

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