La tête de liste du Rassemblement national a affirmé dans les médias vouloir rétablir les contrôles aux frontières au sein de l’espace Schengen. Est-ce possible ? Et cette proposition est-elle vraiment innovante ? InfoMigrants fait le point.
Invité dans la matinale de la radio France Inter mercredi 5 juin, le candidat du Rassemblement national (RN) aux élections européennes Jordan Bardella a réitéré une proposition chère à son parti d’extrême-droite : la mise en place de contrôles d’identité aux frontières des pays européens, au sein de l’espace Schengen.
1/Ce que propose Jordan Bardella
« Circuler » au sein de cette zone Schengen « doit être un droit réservé aux citoyens de l’UE », a exigé le candidat.
« Avoir un titre de séjour en Espagne ou en Italie ne doit pas vous donner le droit de circuler dans tous les pays de l’UE ».
"Ces élections sont historiques, la France et l'Europe peuvent disparaître", estime Jordan Bardella. ➡️ https://t.co/BV0h8QShAb
Tête de liste Rassemblement National aux #Européennes2024, @J_Bardella était l'invité du Grand entretien XXL.#Europe #Le710Inter pic.twitter.com/M2xyWGKYfB
— France Inter (@franceinter) June 5, 2024
Pour ce faire, Jordan Bardella envisage donc de « renforcer les contrôles aux points de passages de l’immigration clandestine », « même s’il ne s’agit pas de mettre un douanier par mètre ». « Les points de passage, on les connaît », assure-t-il, donnant pour exemple la frontière franco-italienne, près de la ville de Menton où il s’est rendu il y a quelques semaines.
Le candidat affirme d’ailleurs que « le code Schengen prévoit déjà de renforcer les contrôles quand il y a des dangers particuliers pour la sécurité nationale ». « Je considère que l’absence de contrôles aux frontières est un danger pour la sécurité nationale ».
2/De quoi parle-t-il ?
Le code frontières Schengen (CFS) donne effectivement aux États membres la possibilité de réintroduire le contrôle aux frontières intérieures « en cas de menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure », affirme la Commission européenne sur son site Internet.
À plusieurs reprises, l’institution insiste : la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures doit être appliquée « en dernier recours, dans des situations exceptionnelles ».
Depuis 2015, de nombreux États, dont la France, ont réintroduit des contrôles d’identité à leurs frontières intérieures, en raison de la menace terroriste ou pendant la pandémie de Covid-19 par exemple.
Ces contrôles doivent se faire de manière temporaire, pour « une durée limitée dans le temps », « en fonction de la base juridique invoquée par l’État membre qui introduit ce contrôle aux frontières ».
La réforme du code Schengen, adoptée par le Parlement européen le 24 avril, valide le rétablissement de ces contrôles pour une période de six mois, renouvelables trois ans – contre deux auparavant. Ce code doit être définitivement approuvé ces prochains mois par les ministres des 27 États membres avant sa mise en oeuvre.
3/Ce qu’il en est
Au vu des règles déjà en vigueur et de la réforme du code Schengen à venir, la proposition de Jordan Bardella n’est donc pas, en soi, inédite. Son application telle qu’il l’imagine ne rendrait que pérenne des pratiques déjà en place sur le terrain.
C’est le cas à la frontière franco-italienne, mais aussi ailleurs en Europe.
Depuis le 3 juin, des contrôles sont pratiqués à plusieurs endroits de la frontière entre l’Autriche et la République tchèque. Des effectifs policiers seront aussi déployés aux frontières des États de la route des Balkans, entre la Slovénie et la Croatie à partir du 22 juin, ainsi qu’à certains points de passage avec la Hongrie, d’après un document publié par la Commission européenne.
À partir du 16 juin, les contrôles aux frontières de l’Allemagne avec la Pologne, la Suisse et la République tchèque, en place depuis octobre 2023, seront aussi renouvelés.
Si la Commission peut émettre un avis sur la nécessité de la mesure, elle ne peut pas y opposer son veto.
Reste que cette pratique est régulièrement épinglée par les ONG ou la justice. En septembre 2023, la Cour de justice de l’Union européenne a déclaré que, même si un pays a mis en place des contrôles à ses frontières intérieures, il n’a pas le droit de procéder à des refoulements systématiques, qui vont souvent de pair avec les contrôles policiers.
Les pays concernés doivent respecter la directive européenne dite « retour » qui prévoit qu’un ressortissant non européen puisse « bénéficier d’un certain délai pour quitter volontairement le territoire ».
4/Des lois européennes plus restrictives ?
La réforme du code Schengen va même plus loin que la proposition de Jordan Bardella, en permettant aux États membres de fermer leurs frontières en cas d’ »instrumentalisation » ou de facilitation d’entrée de migrants irréguliers sur le territoire de l’UE.
Les pays de l’Union pourront ainsi fermer leurs frontières (extérieures ou intérieures de l’UE) pour une durée de deux ans, prolongeable pour un an supplémentaire, ou mettre en place des restrictions temporaires.
Ces dernières années, la Biélorussie, le Maroc ou encore la Turquie ont été accusés d’ouvrir – de manière temporaire – leurs frontières aux migrants irréguliers en route vers le sol européen.
À l’été 2021, des milliers de personnes avaient par exemple afflué vers la Pologne depuis la Biélorussie voisine, une route jusque là peu empruntée par les demandeurs d’asile. Bruxelles avait alors dénoncée une « attaque hybride » menée par le dictateur Alexandre Loukachenko, afin de « déstabiliser la frontière extérieure de l’UE ».
Le pacte asile et migration, adopté par le Conseil de l’UE le 14 mai, prévoit également la mise en place d’une procédure de « filtrage » des migrants aux frontières de l’UE pour les identifier et distinguer plus rapidement ceux qui ont des chances d’obtenir l’asile de ceux qui ont vocation à être renvoyés vers leur pays d’origine.
Ceux qui ont statistiquement le moins de chances d’obtenir l’asile seront retenus dans des centres le temps que leur dossier soit examiné, six mois maximum, et potentiellement renvoyés.
Les autres demandeurs d’asile suivront la procédure classique.
Les organisations de défense des droits humains, de même que des élus de gauche et écologistes, n’ont eu de cesse de dénoncer ce pacte, fustigeant la possibilité de placer en détention les familles avec enfants et une « criminalisation » des exilés. À l’inverse, l’extrême droite a dénoncé la « faiblesse » de la réforme.
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