Lors de la campagne pour les élections européennes, les débats en France se sont essentiellement portés sur les questions migratoires. À cette occasion, RFI vous propose un reportage avec des exilés soudanais à Ouistreham, qui attendent la requalification de leur statut de « dubliné » pour pouvoir commencer leur procédure de demande d’asile en France.
En France comme dans d’autres pays européens, le thème de l’immigration aura dominé les débats des élections européennes, qui ont lieu du 6 au 9 juin. Pourtant, l’Union européenne (UE) n’a de compétence qu’en matière de droit d’asile, et pas sur l’immigration familiale ou professionnelle.
Ces élections auront d’autant moins de poids sur la politique européenne d’immigration que le Parlement vient d’adopter le Pacte asile et migration, après plusieurs années de rudes tractations.
Parmi les points âprement discutés, le règlement de Dublin, sur lequel repose une grande partie du système d’asile européen, mais que certains pays refusent désormais d’appliquer. Illustration dans un campement de migrants de Ouistreham, dans le nord de la France, d’où partent des ferries pour l’Angleterre.
Une grande tente abrite le trésor du campement. Un boîtier électrique qui permet de charger son téléphone.
Ici vivent près de 70 personnes au bord d’un canal, non loin du port. Particularité de ce camp : il ne compte que des jeunes Soudanais de l’ethnie Zaghawa. Ils sont originaires du Darfour du Nord, en proie à une guerre civile.
Moussab a 25 ans.
Il est arrivé en octobre dernier à Ouistreham après un long et dangereux voyage. « Libye, Tunisie, Italie… Là-bas, il n’y a pas de travail ! Ici, en France, ça va aller », espère-t-il.
Moussab a entamé des démarches pour demander l’asile en France, mais comme tous les autres soudanais de Ouistreham, il est ce qu’on appelle un « dubliné », c’est à dire que son dossier d’asile dépend du premier pays d’arrivée en Europe.
« La situation est vraiment dure ici »
Fleur Bertrand-Montembeault, bénévole à l’association la Cimade, les accompagne dans leur parcours administratif. « La première chose que font les demandeurs d’asile en arrivant en France, c’est qu’ils vont se déclarer en préfecture, explique-t-elle. Très souvent, on se rend compte qu’ils ont déjà déposé leurs empreintes dans un pays tiers. Souvent l’Italie, l’Espagne, parfois Malte ou Chypre. Cela retarde l’entrée en procédure normale, en France, de leur demande d’asile. »
Car c’est le pays d’entrée dans l’Union européenne qui est responsable de la demande d’asile. En l’occurrence, l’Italie.
Or, depuis décembre 2022, le gouvernement de Giorgia Meloni refuse systématiquement le retour de ces étrangers sur son sol. Si la procédure est si longue pour Moussab et ses camarades, c’est que la France continue malgré tout d’adresser des demandes de transfert à Rome et d’attendre les réponses qui sont pourtant toujours négatives. « Donc, on se retrouve avec des personnes qui attendent jusqu’à huit mois, neuf dans le cas de Moussab.
Le camp, en plus d’être une zone d’attente, est une zone de transit et une zone d’habitat pour certains », détaille-t-elle.
Un peu plus loin, toujours le long du canal, Moussab nous fait découvrir un ensemble de petites tentes cachées dans les buissons. Il partage une cabane faite de planches de bois avec un autre soudanais. « La situation est vraiment dure ici, dit-il avec gravité. Il y a des gens qui sont là depuis six mois, sept mois, huit mois… La situation est tellement dure que certains décident de partir en Angleterre.
C’est très dangereux, mais il y a quand même plein de gens qui essayent par n’importe quel moyen. Mais moi, j’ai envie de rester ici, pas d’aller en Angleterre. »
Les associations se battent depuis des mois pour que la France accepte d’examiner les demandes d’asile des « dublinés » venant d’Italie dès leur arrivée. En vain, pour l’instant. Pourtant, « la Cour nationale du droit d’asile a reconnu que le Soudan était une zone dans laquelle il se passait des choses extrêmement grave, explique Nathalie Marie, une autre bénévole à la Cimade.
Ce qui est d’autant plus rageant de les faire poireauter alors qu’on sait très bien que, in-fine, ils auront l’asile ici ».
Le Pacte asile et migration adopté par le Parlement européen prévoit une évolution du règlement de Dublin en 2026, avec un système de quota de demandeurs d’asile par État membre. Si un pays s’y refuse, il devra payer 20 000 euros par personne non prise en charge.
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