Mais d’où vient le bordel qui secoue la fédération camerounaise ?

Éliminé en 8es de finale de la dernière CAN, le Cameroun peine à relever la tête depuis. En cause, un conflit qui oppose le président de la FÉCAFOOT Samuel Eto’o au ministère des Sports, à l’origine de la nomination d’un certain Marc Brys au poste de sélectionneur des Lions indomptables. À la veille d’affronter le Cap-Vert, l’ambiance est glaciale.

  • Pourquoi la fédération et le ministère des Sports se font-ils la guerre ?

Tout commence en février 2024, un peu plus d’un mois après l’élimination du Cameroun en huitièmes de finale de la CAN face au Nigeria (2-0). Le contrat de Rigobert Song, sélectionneur des Lions indomptables depuis deux ans, n’est pas renouvelé et la quête de son successeur commence.

Le 2 avril, le ministre des Sports et de l’Éducation physique (Minsep) Narcisse Mouele Kombi annonce que c’est le Belge Marc Brys qui reprend les rênes de l’équipe nationale, accompagné de deux adjoints. Problème : Samuel Eto’o, président de la fédération camerounaise de football (FÉCAFOOT), estime que cette décision est invalide car c’est à lui que revient de nommer le staff de la sélection et qu’il n’a pas été consulté en ce sens.

Et de justifier son propos en arguant que la FIFA interdit une quelconque ingérence étatique dans les affaires footballistiques.

Pour sa défense, le Minsep sort la carte d’une convention bilatérale signée avec la fédération en 2015, laquelle prévoit que le ministère peut mettre un staff à la disposition de la FÉCAFOOT, au nom du fait qu’au Cameroun, c’est l’État qui paye les salaires de l’encadrement technique national.

  • Qui est Marc Brys ?

L’Anversois de 62 ans, vainqueur de la Coupe nationale avec le défunt Germinal Beerschot en 2005, n’est pas le Belge le plus connu des bancs de touche. Hormis deux ans aux Pays-Bas et trois en Arabie saoudite, Brys n’est jamais sorti du Plat Pays, et le Cameroun constitue sa première expérience en sélection. Selon les informations du Monde Afrique, la raison pour laquelle son profil a séduit le Minsep, c’est que ses prétentions salariales s’élèvent à 40 000 euros mensuels, à se répartir avec les deux adjoints qui l’accompagnent.

Soit une somme bien plus abordable que les émoluments supposément avancés pour les candidats José Peseiro, Fabio Cannavaro et Hervé Renard, tous trois figurant sur la short list transmise par la FÉCAFOOT au ministère.

Après avoir refusé de reconnaître sa nomination, Samuel Eto’o fait finalement volte-face le 8 mai dernier, mais en nommant cependant un staff made in FÉCAFOOT pour le seconder.

Refus catégorique de Marc Brys, lequel avait un plan de travail bien défini avec ses deux adjoints.

Résultat au moment du rassemblement en vue des deux matchs qualificatifs pour le Mondial 2026 face au Cap-Vert (ce samedi) et l’Angola (lundi prochain), les joueurs camerounais ont eu la surprise de découvrir deux staffs qui les attendaient dans le lobby de l’hôtel Hilton de Yaoundé.

Une mauvaise blague à laquelle Samuel Eto’o a rajouté une couche en menaçant Marc Brys d’opérer seul sur son banc face au Cap-Vert si celui-ci s’entêtait à refuser de collaborer avec le staff imposé par la FÉCAFOOT.

Or, les textes de la FIFA disposent qu’un staff doit être obligatoirement validé par une fédération dans le cadre des phases finales de compétitions internationales. Ce qui n’est donc pas le cas des matchs de qualification. Dès lors, en théorie, Marc Brys pourrait bien diriger les rencontres à venir avec ses adjoints et légalement outrepasser les menaces du président de sa fédération.

  • Samuel Eto’o va-t-il trop loin ?

C’est peu dire que l’ancien international tient coûte que coûte à rappeler qui est le patron du football camerounais. Après avoir brièvement remplacé Marc Brys fin mai par Martin Ndtoungou Mpile et deux nouveaux adjoints (lesquels ont démissionné dès le lendemain !), pour finalement rechanger d’avis dans la foulée, Eto’o a créé un (bad) buzz dans une vidéo qui le montre en train d’invectiver le pauvre sélectionneur (dont on soulignera au passage le courage de ne toujours pas avoir fui le panier de crabes dans lequel il a atterri) en lui répétant à maintes reprises qu’il est « le président ». 

Ce à quoi Brys répond qu’il est quant à lui « l’entraîneur ». 

Un entraîneur qui n’a d’ailleurs pas l’habitude qu’on lui dicte sa conduite en matière sportive et entend bien garder ses joueurs à l’abri de la guerre politique qui fait rage en haut lieu, comme l’a récemment confirmé Eric-Maxim Choupo-Moting en conférence de presse : « Tout le monde est au courant de ce qui se passe, mais nous sommes ici pour jouer au football, c’est ça qui compte. Nous sommes là pour jouer, pas pour faire de la politique. »

  • Comment le football camerounais peut-il se relever de ce fiasco ?

Le dernier clou dans le cercueil de ce triste feuilleton est survenu le 3 juin, lorsque le bus contenant le matériel d’entraînement quitte brusquement l’hôtel des joueurs pour faire demi-tour jusqu’au siège de la FÉCAFOOT, obligeant Marc Brys à acheter lui-même des ballons, et les joueurs à s’entraîner dans un gymnase : « On n’a pas de ballons, on n’a pas de matériel, on n’a pas d’équipements. Déjà deux jours que c’est comme ça.

Ça fait 26 ans que je fais ce métier et je n’ai jamais vu ça », s’est emporté le Belge sur RIS Radio.

Le problème, c’est qu’au pays, Samuel Eto’o bénéficie toujours d’une cote de popularité hors du commun, certains lui prédisant même un destin politique à la George Weah, ce qui est bien pratique pour se faire pardonner ses frasques à répétition.

En attendant, le Cameroun n’a plus rien gagné depuis la CAN 2017, et l’État n’a cessé d’investir pour soutenir financièrement la sélection.

Dans un pays où le président Paul Biya fait figure de maître absolu, Samuel Eto’o devra donc faire attention à ne pas trop jouer avec le feu, sous peine de se faire lâcher par l’élite politique et en sachant que son aura d’ancien joueur ne saurait être éternelle, surtout si les Lions indomptables continuent d’enchaîner les contre-performances.

Premiers éléments de réponse face au Cap-Vert et à l’Angola, où l’on verra si les joueurs de Marc Brys arrivent à effectivement rester complètement hermétiques au conflit qui secoue leur fédération depuis maintenant plusieurs mois.

sofoot

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