Nos vies numériques aussi ont une empreinte carbone : les 100 sites web français les plus visités consomment autant d’électricité que 3000 foyers.
Le monde dit virtuel a un impact bien réel sur la planète : les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) consomment environ 10% de l’électricité mondiale et produisent autant de gaz à effet de serre que l’aviation. C’est peu par rapport aux énergies fossiles, mais suffisamment important pour représenter un enjeu écologique sérieux. D’autant plus que, pour l’instant, seuls 42% de la population mondiale ont accès à Internet.
L’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) a ainsi soutenu l’étude Web Energy Archive : menée en 2014, elle s’est penchée durant un an sur la consommation en énergie de 600 sites web représentatifs de nos usages. Avec une conclusion étonnante : les 100 sites français les plus visités consomment autant que 3077 foyers !
Laurent Lefèvre est chercheur Inria au Laboratoire d’Informatique du Parallélisme (ENS/Université Claude Bernard Lyon 1/CNRS/INRIA). Il travaille depuis 2007 sur l’efficacité énergétique des grandes infrastructures que sont les réseaux, les centres de calcul et le cloud. Il est également membre d’EcoInfo, une équipe de chercheurs volontaires (ou groupement de service) travaillant à l’impact des TIC sur l’environnement et la société : énergie, biodiversité, droit à la déconnexion… Un numérique écologique, c’est possible ? Laurent Lefevre le croit.
Comment le numérique laisse-t-il une empreinte sur l’environnement ?
Toutes les étapes du cycle de vie du numérique ont un impact sur l’environnement et la société : l’extraction des ressources nécessaires à la fabrication de nos équipements (dans des pays souvent peu respectueux des droits humains), leur conception industrielle, leur transport, les usages que nous en avons et enfin leur fin de vie. Si on veut apporter des solutions précises, il faut prendre en compte ces cinq étapes du cycle de vie, comme le fait EcoInfo qui réunit des chercheurs de spécialités diverses. Sinon on arrive à des bizarreries, comme cet ordinateur ultra fin qui consomme peu d’énergie mais est très difficile à recycler (il ne se démonte pas!), ou à des effets rebonds : par exemple les écrans LCD consomment moins que les écrans cathodiques, mais les gens achètent des écrans trois ou quatre fois plus grands, d’où une consommation accrue !
Votre travail porte justement sur les économies d’énergie : quelles sont les pistes pour y arriver ?
Nous proposons des modèles, des algorithmes et des logiciels pour améliorer la consommation d’énergie de grandes infrastructures : réseaux, centres de calcul, cloud… Il y a deux types de consommation d’énergie. La consommation statique d’abord, quand votre appareil est allumé mais que vous ne vous en servez pas. Pour la “box” que vous avez à la maison, cela peut être jusqu’à 95% du temps. La solution dans ce cas est de faire s’endormir les composants qui ne sont pas utilisés (c’est le shut-down). La consommation dynamique, elle, est liée à l’usage de l’appareil : 80% de la consommation d’un téléphone portable est dynamique. On va alors plutôt chercher à adapter la puissance aux besoins réels (c’est le slow-down) : par exemple, votre traitement de texte n’a pas besoin de la même puissance que regarder une vidéo sur Internet. Nous explorons ces deux méthodes.
Vous évoquez l’impact écologique du matériel informatique : est-il possible de chiffrer celui d’Internet ?
C’est difficile d’obtenir des chiffres précis. Pour se donner un ordre d’idée, on peut résumer en disant qu’Internet fait appel à trois types d’équipements : les équipements terminaux (ordinateurs, mobiles…), les réseaux (fibre, ADSL, réseaux mobiles…) et les centres de données, ou data centers, qui forment la colonne vertébrale du cloud. Chacune de ces familles d’équipements consomme environ 40 GWh en continu. Donc Internet consomme aux alentours de 120 GWh en continu à l’échelle de la planète, soit l’équivalent d’environ 120 tranches de centrales nucléaires. A titre de comparaison, la France compte actuellement 58 réacteurs nucléaires en activité !
Est-ce que cette consommation d’énergie pourrait être un frein au développement d’Internet ?
Des chercheurs Anglais ont fait beaucoup de bruit récemment avec une étude qui annonçait la fin d’Internet pour 2023. D’après eux, deux menaces pèsent sur le réseau : un effondrement face à une demande qui explose, et des besoins en énergie qui deviendraient impossibles à satisfaire. Personnellement je n’y crois pas. J’ai participé à un projet international de recherche appelé GreenTouch : notre objectif était de montrer que les équipements réseaux peuvent être conçus avec une réduction de la consommation d’énergie d’un facteur 1000 pour une même qualité de service. Et nous y sommes arrivé ! Ce projet a revu certains protocoles qui avaient plus de 30 ans et avaient été conçus pour un réseau moins fiable qu’aujourd’hui, développé des architectures plus “plates” et éco-efficace, et nous nous sommes aussi efforcé de concevoir des logiciels moins gourmands en énergie. Cela s’appelle le “green programming” (programmation verte) et cela commence à être enseigné dans les formations en informatique. Nous avons mis au point des prototypes et nous laissons à présent les industriels passer à la phase de mise sur le marché.
Vu ces améliorations, est-ce une bonne idée d’acheter du matériel plus récent donc moins gourmand ?
Il est sans doute moins polluant de faire durer du vieux matériel que de le mettre au rebut alors qu’il fonctionne ! L’obsolescence programmée dans le numérique est un vrai problème. Les constructeurs n’en ont même pas besoin : les effets de mode et l’envie d’avoir la dernière nouveauté suffiraient ! Heureusement on voit des initiatives comme le Fairphone en Hollande : un smartphone abordable, fabriqué avec des pièces interchangeables et des métaux extraits dans des conditions humainement convenables.
Les consommateurs ont donc un rôle important à jouer…
Nos habitudes de consommation ont évidemment un impact important, mais aussi nos usages. Sur ce second point les usagers sont encore assez peu informés, sur l’impact environnemental du cloud notamment, qui est transparent pour eux.
Quel est l’impact du cloud sur l’environnement ?
Le cloud a des bons côtés : il permet de partager des centres de données distants entre de très nombreux utilisateurs, et de proposer des services (stockage de photos par exemple) à partir d’appareils mobiles qui ont eux-mêmes des ressources limitées. Mais cette virtualisation des services provoque une explosion du trafic Internet et peut faire craindre que le système finisse par saturer. Les utilisateurs imposent une pression très forte sur les services en réseau et donc une consommation énergétique forte. Si vous accédez à un site Internet depuis la barre de favoris de votre navigateur, vous consommez moins d’énergie : vous utilisez les ressources de votre ordinateur. Par contre, si vous tapez en haut à droite, vous générez en fait une recherche vers Google : ces échanges de données et l’utilisation de serveurs distants induisent une consommation d’énergie conséquente.
Quelles sont les pistes pour limiter la consommation liée à nos usages ?
Dans le cadre de GreenTouch, nous avons par exemple travaillé sur la disparition des “box” que nous louent les fournisseurs d’accès à Internet. Comme je le disais, elles consomment sans travailler pendant près de 90% du temps : entre 15 et 30 watt en continu, et il y en a des millions dans le monde ! On pourrait les remplacer par une prise statique dans le mur, qui ne consommerait moins d’un watt, et tous les services qu’elles proposent seraient virtualisés à travers un cloud géré par l’opérateur. Comme l’usage réel est moins coûteux que la consommation statique, cela permettrait de réduire la dépense d’énergie collective d’un facteur 300 ! Bien sûr cela pose d’autres questions, sécurité, refroidissement des data centers, etc, que nous devons maintenant examiner.
Et quelles sont les pistes en ce qui concerne les data centers ?
Du point de vue écologique, les centres de données (data centers en Anglais) sont un peu les usines du XXIe siècle ! Leur principal problème est qu’ils produisent beaucoup de chaleur et qu’il faut les refroidir. Les premières pistes concernent donc le refroidissement : avec de l’eau, de l’air naturel ou des bains d’huile minérale, par exemple. Une autre piste est le recyclage de la chaleur générée, par exemple pour chauffer les bureaux dans les entreprises (ou les universités !) qui utilisent des centres de calcul. Des solutions pour les particuliers commencent aussi à arriver : des radiateurs numériques, des chaudières numériques, des chauffe-eaux numériques… Le principe est toujours le même : l’équipement contient des coeurs de calcul dont on recycle la chaleur lors des phases d’usage. Pour le chercheur en informatique que je suis, le défi est de concevoir comment distribuer les bons calculs aux bons endroits pour répondre à la fois aux besoins en eau chaude et aux besoins en calcul de clients donnés.
Pensez-vous que le grand public a conscience de l’impact du numérique sur l’environnement ?
Il me semble que les gens y sont de plus en plus sensibles. Et de nombreuses entreprises veulent réellement améliorer leur consommation d’énergie, ne serait-ce que pour faire des économies ! Le problème est qu’il n’existe pas, pour le moment, d’ordinateur propre… Et que les états sont parfois un peu hypocrites. En France, on ne fabrique pas d’ordinateurs et ceux que l’on achète ne sont pas comptabilisés dans notre empreinte carbone. Un site comme Omission de Co2 permet de mieux réaliser le rôle caché de notre consommation, pour commencer à réagir !
Source: sciencespourtous
1 Commentaire