Le succès électoral du Rassemblement national lors du premier tour des législatives en France, dimanche, n’a pas suscité un élan de ferveur dans les pays européens déjà dirigés par des formations d’extrême droite. Pourtant, ce serait une opportunité pour la Hongrie de Viktor Orban ou l’Italie de Giorgia Meloni d’avoir un allié de poids. Mais c’est sans compter la potentielle guerre des chefs d’extrême droite à venir au niveau européen.
Elle a pris du temps à réagir. La présidente du conseil italien Giorgia Meloni s’est d’abord montrée « prudente » après le succès électoral du Rassemblement national au premier tour des législatives françaises, dimanche 30 juin. Puis, la dirigeante du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia (Frère d’Italie) s’est tout de même réjoui, lundi 1er juillet, que « la diabolisation » du mouvement de Marine Le Pen « ne fonctionne plus ».
Et du côté de Viktor Orban, le très droitier Premier ministre hongrois ? Il n’a même pas commenté la percée du RN en France. Alors même que si le parti prenait les rênes du gouvernement, cela pourrait offrir à la Hongrie un nouvel « ami » en Europe.
Une percée électorale qui tombe à pic ?
Étonnant ? Les deux seuls pays européens à être dirigés par des formations d’extrême droite devraient pourtant être aux anges à la perspective de voir Jordan Bardella prendre la tête d’un gouvernement de cohabitation en France. « L’ascension du Rassemblement national en France a de quoi les satisfaire, car avec un peu d’organisation et de discussion, ces trois pays peuvent créer un super groupe d’extrême droite au sein de l’Union européenne », note Georgios Samaras, spécialiste de l’extrême droite européenne au King’s College de Londres.
Une telle alliance des extrêmes aurait d’autant plus de poids que deux de ses membres – la France et l’Italie – sont des pays fondateurs de l’Union européenne. Ce sont aussi les deuxième et troisième économie du bloc européen derrière l’Allemagne.
Cette percée électorale en France tombe aussi à un moment qui peut sembler particulièrement propice.
Elle confirme les bons résultats de l’extrême droite française aux élections européennes de début juin – où elle était arrivée en première position – et donne l’impression d’une vague extrémiste française prête à déferler sur l’UE.
Union européenne dont la présidence est assurée par… la Hongrie depuis le 1er juillet. Viktor Orban a profité de cette dynamique politique pour lancer un nouveau groupe au parlement – les « Patriotes pour l’Europe » – avec le FPÖ (extrême droite autrichienne) et le mouvement centriste ANO de l’ancien Premier ministre tchèque Andrej Babiš.
Une initiative qui a été saluée par Matteo Salvini, le vice-Président du Conseil des ministres italien et allié de Giorgia Meloni au gouvernement.
Ce nouveau groupe pourra-t-il aussi séduire le RN français, dont les eurodéputés siègent actuellement au sein du groupe de droite radicale Identité et Démocratie (ID) ? « Politiquement, le RN, le Fidesz de Viktor Orban et Matteo Salvini sont tout à fait compatibles », confirme Daniele Albertazzi, professeur de politique à l’université de Surrey qui a travaillé sur les mouvements d’extrême droite au sein de l’Union européenne.
Même Giorgia Meloni, dont le parti Frères d’Italie est à la tête du groupe très à droite des Conservateurs et réformistes européens (ECR – European Conservatives and Reformists), pourrait être intéressée par un super-bloc des extrêmes. « Elle vient d’être exclue des négociations pour les postes clés au sein de l’Union européenne et, ambitieuse comme elle est, elle fera tout pour avoir davantage d’influence au sein de l’Europe », estime Georgios Samaras.
Le RN plus « Orbano-compatible »
Cependant, si Giorgia Meloni a attendu que tous les médias italiens et quelques journaux internationaux soulignent son peu d’enthousiasme pour le bon score du RN avant de se « réjouir », c’est que ce « rêve » d’un nouvel axe des extrêmes européens bute sur certaines considérations très terre à terre, d’après les experts interrogés par France 24. « Malgré les apparences, les partis d’extrême droite européens ne se rejoignent pas sur beaucoup de sujets au-delà d’un même socle idéologique d’exclusion », estime George Newth, politologue spécialiste des populismes en Europe à l’université de Bath.
« Une différence importante, par exemple, concerne leur position par rapport à la Russie et la guerre en Ukraine. La Hongrie est davantage pro-Russe, comme semble l’être le RN, alors que Giorgia Meloni se rapproche davantage de la ligne officielle européenne de soutien à l’Ukraine », souligne George Newth.
Avec un Rassemblement national aux portes du pouvoir en France, c’est aussi une extrême droite beaucoup plus eurosceptique que celle de Giorgia Meloni qui triomphe, d’après les experts interrogés par France 24. Marine Le Pen est beaucoup plus en phase avec Viktor Orban sur ces questions.
« Giorgia Meloni essaie depuis deux ans de démontrer à Bruxelles que l’extrême droite peut avoir un impact constructif sur les institutions européennes. Si un gouvernement français dirigé par le RN impose un discours beaucoup plus anti-européen au camp d’extrême droite, ce serait un sacré revers pour les efforts de normalisation de Giorgia Meloni », résume Daniele Albertazzi.
« Deux reines pour une même ruche »
Ce ne sont pas que des questions de 50 nuances de bruns. Il en va aussi des ambitions personnelles. Avant la percée électorale du RN – aux européennes puis au premier tour des législatives – Giorgia Meloni représentait la chef de file de l’extrême droite en Europe. « L’Italie était bien sûr plus puissante que la Hongrie au niveau européen. Il est beaucoup plus facile d’isoler Viktor Orban que d’ignorer Giorgia Meloni », note Daniele Albertazzi. Pour lui, la dirigeante italienne était en train de s’imposer comme la dirigeante capable de créer des ponts entre la droite dite traditionnelle et les forces plus radicales qui ont le vent en poupe dans plusieurs pays européens.
Une victoire massive du RN au second tour des législatives pourrait changer cette dynamique.
« S’il y avait un groupe rassemblant tous les partis d’extrême droite, il faudrait forcément trouver un ou une leader, et je ne sais pas qui accepterait de céder sa place à l’autre », s’interroge Georgios Samaras. « Il y aurait deux reines pour une seule ruche d’abeille, et je ne vois pas Giorgia Meloni se contenter des seconds rôles », confirme Daniele Albertazzi.
La dirigeante italienne pourrait-elle ainsi devenir un rempart improbable à l’influence sur la politique européenne d’un gouvernement français dirigé par le RN ? Pas forcément, estiment les experts interrogés par France 24. Il y aura toujours des grands thèmes comme la lutte contre l’immigration, ou ralentir l’agenda vert européen qui devraient permettre à ce nouveau front d’extrême droite de mettre des sérieux bâtons dans les roues européennes.
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