François Ruffin, un insoumis en pleine rupture qui refuse le « gloubi-boulga »

Le député de la Somme François Ruffin est l’une des figures emblématiques du Nouveau Front populaire. Trublion au sein de LFI, cet ancien journaliste revendique sa voix singulière et acte sa rupture avec Jean-Luc Mélenchon à quelques jours du second tour des législatives. Une image d’électron libre qui lui attire la sympathie à gauche.

Alors que le second tour des législatives approche, François Ruffin a affirmé, jeudi 4 juillet, que sa « place ne sera pas dans le groupe de La France insoumise » à l’Assemblée s’il est réélu à l’issue du vote de dimanche.

« J’en suis parti et j’ai refusé l’investiture de La France insoumise il y a quinze jours.

Mes désaccords avec Jean-Luc Mélenchon sont connus, ils sont profonds sur la démocratie, sur le bruit et la fureur plutôt que la force tranquille et donc ma place ne sera pas dans le groupe La France Insoumise, si jamais je suis élu », a-t-il déclaré sur RTL.

Volontiers présenté comme un successeur potentiel de Jean-Luc Mélenchon, il avait acté sa rupture avec le leader insoumis lors de la « purge » des « frondeurs » qui n’ont pas été réinvestis pour ces législatives anticipées malgré leur appartenance historique au mouvement.

« Je suis à vos côtés »
Avant d’être un électron libre de la gauche radicale, le leader du micro-parti Picardie debout a surtout soigné son image d’homme proche de ses concitoyens, notamment depuis son arrivée sur les bancs de l’Assemblée nationale en 2017.

« Auxiliaires de vie, assistantes maternelles, caristes, ouvriers, retraités, artisans, soignants enseignants. Vous savez que je me bats pour vous depuis longtemps, avec acharnement. Que je suis à vos côtés, ici, entre Amiens et Abbeville, à Longueau, Camon, Flixecourt. Que je porte votre voix à Paris, pour y défendre nos vies », peut-on lire sur son dernier tract de campagne en vue du scrutin du 7 juillet.

Agé de 48 ans, François Ruffin est resté attaché à sa région d’origine.

Il grandit à Amiens où il est scolarisé au lycée catholique La Providence, un établissement également fréquenté par le président Emmanuel Macron. Lors de ses études de lettres à l’université de Picardie, il décide de créer un journal local appelé Fakir en réaction au manque de médiatisation autour de la délocalisation d’une usine Yoplait et de la mise au chômage de ses 99 salariés.

En 2000, il quitte la Somme pour Paris où il intègre le Centre de formation des journalistes (CFJ).

De cette expérience, il tire un premier livre intitulé « Les petits soldats du journalisme » qui se veut très critique vis-à-vis de l’enseignement délivré dans cet établissement ». « Recopier l’AFP, produire vite et mal, imiter les concurrents, critiquer les livres sans les lire, ne surtout plus penser, trembler devant sa hiérarchie », avait-il résumé sur le site d’Acrimed.

Malgré ses réticences vis-à-vis du métier, François Ruffin poursuit sa carrière de journaliste en écrivant pour Le Monde diplomatique, en réalisant des reportages pour l’émission de France Inter « Là-bas si j’y suis » et en développant au niveau national le journal Fakir qui tire jusqu’à 90 000 exemplaires en 2018.

Mais c’est un film qui le fait connaître au plus grand nombre.

En 2015, il réalise « Merci Patron ! », un documentaire militant et grinçant dans lequel il se fait le porte-voix d’un couple licencié par une filiale du groupe français LVMH auprès de son PDG Bernard Arnault. Cette œuvre dans la veine de Michael Moore rassemble 500 000 spectateurs et lui permet de décrocher le César du meilleur film documentaire qu’il remet symboliquement à des ouvriers d’une usine Whirlpool menacée de délocalisation.

Populaire sur les réseaux sociaux et invité fréquent des médias, le député de la Somme aime « la lumière », comme le résume le journaliste de Libération Rachid Laïreche qui lui a consacré une biographie intitulée « La revanche des bouseux »: « François Ruffin aime se retrouver au centre du jeu ; voir son nom écrit en gros sur les affiches ou les écrans ; devancer, initier la tendance ».

Lors de la crise des Gilets jaunes, il se positionne ainsi en première ligne.

Dans une tribune publiée dans Libération, il se range aux côtés de ceux qui se sentent déclassés et s’attaque frontalement au président Emmanuel Macron : « Vous êtes massivement haï. (…) Ce que les instituts [de sondages] ne mesurent pas, c’est le dégoût puissant, virulent, que vous suscitez (…). Samedi dernier qu’est-ce qui rassemblait les “gilets jaunes” ? (…) Vous. L’aversion que vous provoquez. (…) Vous êtes fou. Je vous écoute et je me dis : Il est fou. »

Ses coups de gueule lui apportent la sympathie d’une partie de l’opinion et de ses camarades de gauche.

« François a un style, une manière de se faire entendre. Il travaille, vient à toutes nos réunions de groupe. Il apporte beaucoup. Et il est très sympa. Il a un côté Mr Smith au Sénat [film américain de Frank Capra de 1939] où l’on voyait un gars du peuple un peu naïf qui découvre le monde cruel des institutions et s’en indigne.

C’est bien », résumait ainsi auprès du journal Le Monde, son collègue LFI Alexis Corbière.

Mais ce recours à la mise en scène peut aussi en agacer certains. « Il peut parfois avoir un glissement entre le député populaire et le député populiste. Il faut qu’il reste le député populaire », avait ainsi averti Elsa Faucillon, députée communiste (PCF) des Hauts-de-Seine, toujours auprès du Monde.

La rupture avec LFI
En 2022, François Ruffin est réélu avec 61 % des voix dans sa circonscription de la Somme dans le cadre de la Nupes face à la candidate du RN Nathalie Ribeiro-Billet. Dans les mois qui suivent, il prend de plus en plus ses distances vis-à-vis de LFI et remet en cause la stratégie de Jean-Luc Mélenchon, affirmant ne plus vouloir « hurler sur les bancs de l’Assemblée ». Il entend plutôt partir à la conquête des campagnes populaires où le vote pour l’extrême droite est important.

Dans son dernier livre, « Je vous écris du front de la Somme », il raconte ses échanges avec des électeurs de terres ouvrières qui ne veulent plus voter pour la gauche.

La rupture avec LFI est finalement consommée après les attaques du Hamas en Israël, le 7 octobre 2023.

« Notre parole n’est pas à la hauteur de la gravité des événements », affirme-t-il dans Le Monde avant de se rendre, quelques semaines après, à une marche contre l’antisémitisme à Strasbourg, quand la majorité des troupes insoumises refusent de s’y rendre.

À la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale prononcée par Emmanuel Macron le 9 juin 2024, il se positionne une nouvelle fois aux avant-postes. Sur les réseaux sociaux, il encourage à la formation de la coalition du Nouveau Front populaire pour fédérer la gauche.

Candidat à sa réélection, il affirme même se sentir « capable d’être Premier ministre » sur l’antenne de France Bleu Picardie.

Mais dans les urnes, il se retrouve en difficultés lors du premier tour.

Le député sortant arrive en deuxième position avec 33,92 %, devancé par sa rivale du RN Nathalie Ribeiro-Billet (40,69 %). Dans l’optique du second tour, il a toutefois reçu le soutien très clair d’Albane Branlant, candidate macroniste qui s’est désistée en sa faveur.

Comme à son habitude à quelques jours de l’échéance, François Ruffin bat la campagne pour obtenir les derniers soutiens, l’occasion de tirer à boulets rouges sur le leader insoumis : « On a vécu trois semaines dures parce qu’on a un boulet. Vous l’avez entendu. C’est Mélenchon, Mélenchon, Mélenchon, Mélenchon comme obstacle au vote », a-t-il dit à l’AFP qui l’a suivi dans la Somme.

« Dans des terres comme ici, dans des terres populaires de province, ça bloque. »

Quant aux abstentionnistes et autres électeurs macronistes, « il faut aller chercher dans les deux pour gratter les sept points » de retard, a-t-il également souligné. Plus que jamais, François Ruffin espère créer des traits d’union entre les différentes forces de gauche dans la prochaine Assemblée. « Il y a beaucoup de gens bien, il n’y a pas de doute, chez les Insoumis » mais, a-t-il expliqué, « il y a moyen de faire autre chose avec des amis communistes, écologistes, Générations et ainsi de suite ».

Il exclut en revanche toute participation à une grande coalition allant des communistes jusqu’aux députés LR.

« Je ne participerai pas à un gouvernement qui serait une coalition hétéroclite et improvisée », un « gloubi boulga » sous « les nominations d’Emmanuel Macron », a-t-il prévenu.

Sans s’avancer sur la création d’un nouveau mouvement et sans se positionner comme l’un de ses possibles dirigeants, le candidat reste fidèle à son positionnement. Il appelle à « faire l’inverse de ce qu’a fait Emmanuel Macron depuis deux ans », c’est-à-dire à « gouverner sans brutalité, en tenant compte des avis différents » et « avec une forme de tendresse et avec beaucoup de dialogue ».

france24

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