Dans un rapport publié ce jeudi, l’ONG Amnesty International dénonce le placement abusif de migrants en centres de rétention fermés, appelés CPR, en Italie. L’enquête insiste notamment sur le sort des migrants tunisiens régulièrement envoyés dans ces lieux de privation de liberté, en vue de leur expulsion, malgré le dépôt d’un dossier d’asile.
C’est un nouveau coup de canif dans la politique migratoire italienne. Dans un rapport publié jeudi 4 juillet, l’ONG de défense des droits humains, Amnesty International, épingle les abus de placements de migrants en centres de rétention italiens, appelés CPR. Leur conclusion est claire :
« Certains demandeurs d’asile et migrants ont été soumis à une détention administrative sans que cette détention soit légitime ou nécessaire, dans des conditions qui ne respectaient pas le droit et les normes internationales », lit-on dans le rapport.
Pour son enquête, l’ONG a visité trois centres : deux CPR, celui de Ponte Galeria (près de Rome) et Pian del Lago (en Sicile), dont le but est l’expulsion des migrants qui y sont enfermés vers leur pays d’origine. Amnesty a également pu entrer dans le hotspot de Pozzallo, en Sicile aussi, un lieu fermé chargé d’identifier, d’enregistrer et d’orienter les migrants dès leur entrée sur le sol italien.
Si de nombreuses nationalités se retrouvent entre les murs des CPR (Amnesty a rencontré des Iraniens, des Georgiens, des Iraniens, des Egyptiens…), les inquiétudes de l’ONG concernent particulièrement les ressortissants tunisiens. Depuis le début de l’année, sur les 26 000 migrants arrivés sur les côtes italiennes, 3 200 étaient tunisiens. C’est la troisième nationalité d’arrivée derrière les Bangladais et les Syriens.
Envoi « automatique » en rétention
Et cette population est particulièrement visée par les rétentions « abusives », estime l’ONG. Pourquoi ? Parce que les Tunisiens viennent d’un pays jugé « sûr », par Rome. Une « sûreté » actée après la promulgation en novembre 2023 du décret Cutro 2, qui compile une liste de mesures pour enrayer les arrivées en Italie.
Dans ce décret se trouve une liste révisée des pays que les autorités italiennes considèrent ”sûrs”, à savoir la Tunisie, le Nigeria, l’Algérie, le Sénégal, le Maroc, la Côte d’Ivoire ou encore la Gambie.
Rome a même demandé que ces demandeurs d’asile originaires des pays « sûrs » soient envoyés « automatiquement en détention ».
Une mesure suspendue par la justice italienne. Pour rappel, selon la Convention de Genève, une procédure d’asile doit faire l’objet d’un examen propre à chaque demandeur, en tenant compte de son histoire personnelle, quel que soit son pays d’origine.
Pourtant, malgré le veto des juges italiens, ces « détentions automatiques » continuent : « Des ressortissants tunisiens, notamment, ont été transférés dans des CPR immédiatement après leur débarquement en Italie, après un passage rapide dans les hotspots […] qui ont abouti à ce qu’ils ne soient pas considérés comme des demandeurs d’asile, même s’ils avaient l’intention de demander protection », lit-on dans le rapport.
« On m’a dit que je serai expulsé »
Parmi les Tunisiens rencontrés par Amnesty, certains ont affirmé être en danger dans leur pays en raison de leur orientation sexuelle ou de leurs opinions politiques.
« On m’a dit que je pouvais demander l’asile, mais en tant que Tunisien, je serai quand même expulsé », a déclaré un homme de 30 ans.
Plusieurs détenus tunisiens ont déclaré avoir signé des documents, sous pression policière, sans avoir eu la possibilité d’en lire le contenu : « Les policiers auraient simplement soulevé un coin de chaque feuille, dans la partie à signer, sans donner la possibilité aux gens de lire son texte », écrit Amnesty. Certaines personnes ont aussi déclaré qu’elles avaient lu les documents signés dans les bus qui les conduisaient dans les CPR. C’est à ce moment-là qu’elles ont compris qu’il s’agissait d’un ordre d’expulsion, sur la base duquel leur détention a été ordonnée.
Contacté par Amnesty, le ministère de l’Intérieur italien a plaidé la bonne foi, insistant sur le fait que « les autorités envoient régulièrement des instructions claires aux policiers, soulignant la nécessité de procéder à une évaluation minutieuse de chaque situation individuelle ».
Depuis plusieurs mois, les conditions de vie dans les CPR italiens sont dénoncées par les associations de défense de migrants.
Le CPR de via Corelli, à Milan, a par exemple été pointé du doigt pour son système de santé « gravement déficient ». Des étrangers souffrant de problèmes psychiatriques, atteints de maladies graves, comme des tumeurs au cerveau, ou sujets à des crises d’épilepsie n’ont jamais été soumis à des examens médicaux.
Dans le CPR de Ponte Galeria, visité par Amnesty, un Guinéen de 22 ans, avait été retrouvé pendu en février par ses compagnons d’infortune. Sur le mur de sa cellule, le jeune garçon avait écrit ces quelques mots en français : « Je n’en peux plus, je veux rentrer chez moi ».
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