Présidentielle en Iran : le classique face à face réformateur-conservateur

Les deux finalistes du second tour de la présidentielle du 5 juillet incarnent deux courants de la vie politique iranienne : le camp ultraconservateur et le camp réformateur. Mais Said Jalili et Massoud Pezeshkian ont adopté un discours policé. Fidèles au guide suprême et aux fondements de la République islamique, les deux candidats ont cependant une approche différente sur la question du dialogue avec les États-Unis.

Peu auraient parié il y a quelques mois sur Massoud Pezeshkian. Pourtant, ce réformateur peu connu du grand public affrontera, vendredi 5 juillet, l’ultraconservateur Saïd Jalili au second tour de la présidentielle en Iran. Deux hommes que tout oppose en apparence.

Massoud Pezeshkian, arrivé en tête du premier tour avec 42,5 % des suffrages vendredi 28 juin, a profité de la dispersion des voix dans le camp conservateur qui a présenté plusieurs candidats.

Chirurgien de formation, le candidat de 69 ans a été ministre de la Santé sous la présidence du réformateur Mohammad Khatami, de 2001 à 2005, et député de Tabriz, dans le nord-ouest de l’Iran, entre 2016 et 2020.

Son adversaire, Saïd Jalili, a lui occupé des postes clés au sein de la République islamique avec la confiance du guide suprême, l’ayatollah Khamenei. Le candidat ultraconservateur est actuellement l’un de ses deux représentants au Conseil suprême de sécurité nationale, la plus haute instance sécuritaire du pays.

Des lignes rouges
Face aux tenants de la ligne dure du régime, Massoud Pezeshkian, est apparu comme le seul représentant du camp modéré. « Il a une légitimité en tant que réformateur à tel point que (l’ancien président) Mohammad Khatami a appelé à voter pour lui et Mohammad Javad Zarif, l’ancien ministre des Affaires étrangères de Hassan Rohani a participé à sa campagne », a rappelé sur France 24 Thierry Coville, spécialiste de l’Iran à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Pourtant, souligne Jonathan Piron, historien spécialiste de l’Iran pour le centre de recherche Etopia à Bruxelles, même si Massoud Pezeshkian se présente « sous l’héritage des réformateurs », il peine à rassembler autour de lui. Pour cela il faudrait « qu’il parvienne à remobiliser politiquement une base électorale réformatrice.

Or celle-ci ne croit plus du tout à la capacité de changement à l’intérieur du régime ».

Certaines figures connues du camp réformateur ont même décidé de boycotter le scrutin, à l’image de Mir Hossein Moussavi, l’un des leaders du mouvement vert de 2009, qui avait dénoncé la réélection contestée du conservateur Mahmoud Ahmadinejad.

De même, la prix Nobel de la paix Narges Mohammadi, actuellement en prison, a elle aussi fait part de son scepticisme à l’égard d’une élection qualifiée de « trompeuse et mensongère ».

Par le passé, Massoud Pezeshkian s’est fait connaître pour son franc-parler, n’ayant pas hésité à critiquer le pouvoir lors du mouvement de protestation provoqué par la mort de Mahsa Amini en septembre 2022. Mais durant cette campagne électorale, il n’a pas véritablement franchi de lignes rouges.

Il s’est pourtant démarqué des autres candidats – tous conservateurs – grâce à son positionnement d’ouverture sur le dialogue avec l’Occident. « Pendant la campagne, tout en affichant son respect à l’égard du guide suprême, il a eu un discours qui détonnait par rapport à celui de ses concurrents conservateurs, notamment sur la nécessité d’un dialogue avec les États-Unis. Sur les questions de liberté individuelles, il a semblé à l’écoute », expliquait ainsi Karim Yahiaoui, envoyé spécial de France 24 à Téhéran au premier tour de l’élection.

Au cours du premier débat télévisé organisé dans le cadre de l’élection présidentielle le 17 juin, Massoud Pezeshkian a même osé aborder la corruption de certains proches du régime, par le biais d’allusions. « Contourner les sanctions est possible, mais certains s’enrichissent en faisant cela », a-t-il alors lancé, au sujet de ceux qui s’enrichissent en continuant de commercer avec l’étranger.

« C’est osé mais on reste dans un discours. Osera-t-il aller plus loin et mettre des mesures en place quand il sera élu ? », questionne Jonathan Piron.

Pour Thierry Coville, Massoud Pezeshkian joue sur la marge de manœuvre réduite dont dispose celui qui occupe le fauteuil de président iranien par rapport au guide suprême iranien, qui reste le premier personnage de l’État.

Massoud Pezeshkian critiqué par le guide suprême
En Iran, le président a des pouvoirs restreints : il est chargé d’appliquer, à la tête du gouvernement, les grandes lignes politiques fixées par le guide suprême, qui est le véritable chef de l’État, y compris sur la question du dialogue avec les États-Unis. La décision de signer ou non un accord international, tel que l’accord sur le nucléaire par exemple, relève du guide de la révolution. Celui-ci autorise alors le président et son gouvernement à négocier le cas échéant.

Or Ali Khamenei n’a pas attendu la fin de la campagne pour prendre la parole et critiquer indirectement la position de Massoud Pezeshkian, qui disait qu’il fallait négocier avec les Américains, afin d’obtenir la levée des sanctions et relancer l’économie.

Favori du guide, Saïd Jalili incarne au contraire une ligne très dure vis-à-vis de l’Occident. Ce vétéran de la guerre Iran-Irak (1980-1988) a perdu une partie de sa jambe droite durant le conflit. Une marque de sacrifice que ses partisans avaient mis en avant lors de sa campagne pour la présidentielle de 2013, durant laquelle il est sorti de l’anonymat.

Le candidat des ultraconservateurs est bien connu des diplomates étrangers pour son intransigeance dans les négociations sur le nucléaire iranien. Représentant d’Ali Khamenei dans ce dossier, il a été le chef des négociateurs iraniens sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad en 2007. « Son crédo, c’est qu’il y a autre chose que la négociation pour faire plier les ‘ennemis de l’Iran' », explique Karim Yahiaoui.

À 58 ans, Saïd Jalili reste un proche du guide suprême, davantage encore que ne l’était le défunt président Ebrahim Raïssi.

Comme lui, il veut incarner la fermeté sur les questions de société, comme celle du port du voile pour les femmes. Tandis que Massoud Pezeshkian souhaite plutôt une ouverture sur la question du port du foulard islamique.

Diatribes ultranationalistes et radicales

Si Saïd Jalili l’emporte, il deviendra le nouveau visage de l’Iran, car le président iranien est celui qui effectue la plupart des déplacement à l’étranger. « Il est la façade du régime iranien », indique Jonathan Piron. « Avec Jalili, on retrouverait peut-être un peu ce que l’on avait connu sur sous Ahmadinejad avec toutes ces diatribes ultranationalistes et radicales, alors que le discours de Ebrahim Raïssi était plus effacé ».

Bien que sur des lignes politiques très différentes, Saïd Jalili et Massoud Pezeshkian ont des points communs.

« Tous deux défendent la légitimité du régime en participant au processus électoral », rappelle Jonathan Piron. « Pezeshkian n’est pas hostile aux gardiens de la révolution, il a parfois adopté pendant cette campagne des prises de positions presque conservatrices dans une volonté d’élargir sa base électorale. Et il ne souhaite pas de bouleversement de l’ordre établi, même s’il pose des questions sur le port du voile ».

Une partie de la population, celle qui a boycotté le premier tour de cette élection, ne croit plus aux réformes de l’intérieur du régime. « Les jeunes Iraniens qu’on a rencontrés dans la capitale nous expliquaient souvent qu’ils n’iraient pas voter parce que ça ne changera rien à leur vie. L’essentiel du pouvoir reste entre les mains du guide suprême », témoignait Karim Yahiaoui au lendemain du scrutin.

Dimanche, l’abstention a frôlé les 60 %, en hausse par rapport à la présidentielle de 2021 et aux législatives de mars. Et ce, bien que les autorités aient prolongé de six heures l’ouverture des bureaux de votes jusqu’à minuit afin d’inciter les Iraniens à aller voter.

france24

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