Théâtre – 13 pièces pour le Prix Rfi : Les textes présélectionnés de l’édition 2024

Cette année, ce sont 138 textes provenant de 16 pays, pour la grande majorité africains, qui s’offrent à notre découverte. A l’heure où les discours xénophobes, racistes, homophobes et antisociaux se banalisent, il est important d’ouvrir les portes aux artistes du monde entier. Parmi eux, 25% d’autrices, une progression à saluer. Le nom du ou de la lauréat(e) du Prix Rfi Théâtre 2024 sera annoncé le dimanche 29 septembre et le prix remis à Limoges, dans le cadre du festival Zébrures d’automne. 

Au centre de cette nouvelle moisson, une préoccupation propre aux jeunes générations : comment agir pour dépasser la catastrophe, comment changer de récits et se donner la possibilité d’un renouveau, d’horizons désirables. Plus que jamais se voit dénoncé l’héritage du passé colonial dans toutes ses ramifications politiques et économiques, à travers la corruption des régimes, les drames de l’exil, le terrorisme, mais aussi -thème apparaissant avec force- les ravages du dérèglement climatique, avec un appel au sacré pour lire autrement la préservation de nos écosystèmes.

Et toujours : le désir de parler face aux tentations du silence et l’affirmation d’une parole engagée pour évoquer l’évolution des regards sur la condition des femmes et la question de l’homosexualité ou de la transidentité face au poids des traditions. Cette parole plurielle est d’autant plus enthousiasmante qu’elle multiplie les registres et les formes dramatiques, laissant libre cours à la puissance d’un souffle poétique imagé autant qu’à la fantaisie, à l’humour et à l’ironie la plus mordante. Le monde du vivant, tous êtres confondus, y côtoie le monde des fantômes et des objets animés.

Les temps s’y bousculent et s’y télescopent.

Les univers fantasmatiques y percutent la réalité. Beaucoup de pièces enfin s’emparent du travail sur la langue pour promouvoir la diversité et la richesse des parlers fran­çais par le monde et réinterroger les enjeux du multilinguisme : quelle langue choisit-on pour s’exprimer en fonction de son interlocuteur, de ce qu’on a à dire ou à cacher, le français est-il outil de domination ou d’émancipation ?

Ainsi, les auteurs et les autrices francophones ouvrent des horizons pluriels si nécessaires face aux violents replis sur soi auxquels nous assistons partout dans le monde.

Les 13 pièces retenues : 
Mélissa Beralus (Haï­ti) : Pé­­rejil
Alors que Anacaona s’apprête à s’exiler en République Dominicaine pour fuir les massacres perpétrés par les gangs à Port-au-Prince et dans les villes de province à Haïti, sa grand-mère Tifi sort de son mutisme et lui raconte le massacre du Persil (pérejil) qu’elle a connu là-bas dans le pays voisin. Anacaona se questionne sur son droit à vivre, à vivre bien, à partir, à rester. Un dialogue d’une grande sensibilité qui revisite l’histoire d’Haïti dans une langue inspirée.

Gad Bensalem (Mada­gascar) : Enfant
Doda est routier sur la Rn44 à Madagascar. Orphelin élevé par sa grand-mère, il cherche son père depuis des années, au gré de ses tournées, entravé par cette absence. Il s’arrête comme tous les jeudis à l’Epi-bar d’Ankodahoda, au milieu de nulle part, tenu par Claudette, qu’il aime en secret. Or, celle-ci a aperçu un homme qui pourrait être son père.

Et si depuis toutes ces années il avait vécu sans le savoir tout près de celui qui lui manque ? Et si depuis toutes ces années il n’avait vécu qu’à côté de sa vie ? Un théâtre intime fort d’une poésie singulière pour dire les silences et les absences, ce qui s’écrit en creux.

Amadou Bouna Guazong (Cameroun) : En route
Um et Ouandji, deux clowns métaphysiques, essaient tous les costumes du pouvoir, afin de mieux décortiquer les logiques d’accession à la tête de l’Etat. Militaires, diplomates, religieux se succèdent ainsi dans une course effrénée vers le poste suprême. Une comédie décapante portée par une écriture vive et joueuse.

Jocelyn Dango (Con­go) : Ca­­davres dans le bas-ventre
Un vieil homme et une jeune fille tissent en parallèle la mémoire de la guerre au Congo à deux époques différentes. Lui fut soldat de la révolution contre Mobutu dans les années 1970, elle a quitté Beni au Nord-Kivu, après un massacre dans les années 2020 pour rejoindre sa tante à Kinshasa. Deux destins qui finissent par s’entremêler et révéler les liens qui les unissent. Un récit tendu et complexe qui éclaire les différentes facettes, y compris intimes, des conflits congolais.

Sandra Elong (Came­roun) : L’honneur des hommes
Abel est mort au combat, c’est le jour du grand hommage orchestré par le gouvernement. Son frère, un musicien, refuse de s’y rendre et tente d’empêcher leur mère de participer à la cérémonie. Alors qu’il chasse les amis venus accompagner le défunt, un événement bouleverse la situation et ouvre de nouveaux horizons. Une pièce toute en nuances sur l’héroïsation des victimes de guerre. Une mise en cause de l’Etat dans les engrenages des conflits armés. Une ode au pacifisme.

Gaël Thêgoun Houn­kpatin (Bénin) : Louve-garou
Lanoire Blonde chante dans un cabaret. Lebossu, son habilleur homme-à-tout-faire, est amoureux d’elle. Tous les soirs, un étrange admirateur se glisse parmi les clients, Lanoire succombe à son charme et aux promesses qu’il incarne.

Mais le bruit court que Lanoire serait une louve-garou. Trahie par Lebossu, poursuivie par les chasseurs, elle est mise en pièces. Dans un ultime chant, elle se relève pour défier la haine et la norme. Un conte musical cruel, fort d’une théâtralité délirante, pour dénoncer la transphobie.

Nathalie Hounvo Yepke (Bénin) : Agoodjié
Arouba, une jeune influenceuse, adapte à la scène la vie de Tassi Hangbé, la reine des Amazones du Dahomey qui régna au XVIIIe siècle. Endettée par l’échec cuisant du spectacle, elle se retrouve prise dans les filets du pouvoir en place. Comment échappera-t-elle à l’emprise du boss qui veut en faire son bras armé contre l’encombrante ministre Ga­niath ?

Un drame empreint d’ironie sur la corruption politique et le pouvoir des femmes, ou les échos du girlpower à travers trois figures de femmes dont les destins se rejoignent.

Erickson Jeudy (Haï­ti) : Bri­gitte endiablée
En 1790, à Saint-Domingue, une femme, Brigitte, ancienne esclave affranchie et bannie des plantations et aujourd’hui sage-femme, se voit accusée des meurtres de plusieurs enfants. Les gardes coloniaux viennent l’arrêter. En tant qu’affranchie, elle a le privilège de prononcer un discours avant la sentence.  Arrivera-t-elle à justifier ses actes ? Un texte puissant et lumineux sur le prix de la liberté.

Phannuella Lincifort (Haïti) : On ne part pas en guerre avec une vie qui danse
Une femme attend son exécution en prison, elle a tué ses neuf agresseurs et avorté de l’enfant du viol. Elle convoque, grâce au rituel vaudou, cet enfant non-né pour faire connaissance avec lui et revenir sur ce qui l’a amenée à lui refuser la vie, comme un ultime geste de résistance à l’horreur. Une écriture âpre et puissante qui déplie le drame haïtien sous le prisme de la lutte des femmes.

Djo Kazadi Ngeleka (Rdc) : Arbre à pépins
Zoé et Roxane vivent de part et d’autre d’un mur dans lequel pousse un arbre, un arbre à pépins. L’une mange les fruits quand l’autre balaie les feuilles qui tombent dans sa cour. D’autres voix se mêlent aux leurs. Comment faire tomber le mur sans tuer l’arbre ? Comment apprendre à se connaître et à vivre ensemble malgré les injustices ? Une parabole politique à l’écriture audacieuse, poétique et musicale.

Israël Nzila (Rdc) : Si­lence
Silence qui s’impose, silence qu’on désire… Une femme attend son amant qui tarde, elle observe sa voisine, immobile et muette à sa fenêtre. Elle s’imagine sa vie passée, ses drames et ses joies, elle s’imagine lui rendre visite, elle la rencontre… Et si cette femme c’était elle ? Et si l’enfant qu’elle porte devenait enfant-soldat ? Et si ce qu’elle craint se réalisait ? Un récit précis et haletant pour dire l’appréhension face à un futur incertain où le pire est toujours possible, mais où la puissance de vie pourrait l’emporter.

Yélinan Germain Ous­sou (Bénin) : Asphaltage à Bokango
Au Bokango, qui n’est pas sans rappeler le Bénin d’aujourd’hui, un ambitieux projet autoroutier, «Asphaltage», devrait sortir de terre, en lieu et place des vestiges de la route des esclaves, de la forêt sacrée et des plages de pêches traditionnelles. Madame Goudron, ministre de l’Urbanisme originaire du lieu, et Monsieur Yang, l’expert chinois qui dirige les futurs travaux, se heurtent à l’opposition de la population qui, menée par le jeune géologue Boko et par sa mère, la mystérieuse Nan Vaudoun, refuse de céder la place.

Toutes les raisons d’arrêter le projet sont exposées, tous les rêves, même les plus sensuels qui pourraient le remplacer, sont rêvés, mais le monde n’est pas un happy end… Une fable écologique et politique puissante en forme de tragi-comédie, portée par une langue joueuse et des personnages hauts en couleur.

Salimata Togora (Ma­li) : Trois petits sauts
Alti est comédienne. Elle répète le monologue d’une femme qui se sacrifie pour ses deux enfants dans un mariage arrangé et qui choisit finalement de se suicider avec eux. Alti est dans la tourmente : à 35 ans, son mari la délaisse, mais elle n’ose encore divorcer pour ne pas pénaliser son fils. Durant les répétitions, un homme vient assister au travail par simple curiosité.

Petit à petit un lien se tisse, il est auteur et metteur en scène, sa femme l’attend ailleurs. Trois destins tissés de fictions, trois vies en prise avec les contradictions des sentiments, avec au centre un portrait de femme moderne et touchant, qui déjoue les attentes. Un récit féministe tout en nuances.

lequotidien

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