Ces pays de l’UE, réputés accueillants en 2015, qui ont durci leur politique migratoire

Ils veulent rendre leur pays moins attractif. Réputés accueillants avec les étrangers, de nombreux pays européens sont revenus sur leur politique d’ouverture post-2015, au moment du pic d’arrivées de migrants en Europe. L’Allemagne, la Suède ou encore le Portugal, préfèrent désormais limiter les aides et durcir les conditions d’accès à la régularisation. Tour d’horizon.

Allemagne
En août 2015, Angela Merkel, l’ancienne chancelière allemande, faisait preuve d’une solidarité inédite à l’égard des réfugiés. L’Allemagne était alors brandi en exemple pour ses voisins européens. « Nous pouvons le faire », avait lancé la chancelière. En deux ans, 1,1 million de demandes d’asile seront déposées dans le pays. Les demandes émanent de Syriens (430 000) majoritairement, suivis par les Afghans (154 000) et les Irakiens (121 000).

Quelques années plus tard, en 2022, l’accueil d’un million de réfugiés ukrainiens au déclenchement de l’invasion russe, a mis à l’épreuve les capacités des collectivités locales allemandes qui ont tiré la sonnette d’alarme.

Moins ouverte, plus axée sur le durcissement des aides aux étrangers, la politique allemande a changé ces 10 dernières années. Dernier exemple en date : en juin 2024, les dirigeants des 16 régions fédérées allemandes sont tombés d’accord pour limiter les versements en espèces aux demandeurs d’asile à 50 euros par mois.

Depuis cette année 2024, les exilés ne reçoivent plus leurs allocations en espèces mais via une carte de paiement.

Le but des autorités : empêcher les transferts d’argent à l’étranger.

Dans certaines régions en Allemagne, le travail obligatoire est rétabli : les demandeurs d’asile sont contraints d’effectuer des travaux dans leur centre d’accueil pour ne pas perdre une partie de leurs aides sociales.

Le gouvernement entend aussi augmenter les expulsions. Pour ce faire, les députés allemands ont approuvé le rallongement de la durée maximale de détention des étrangers en situation irrégulière.

Désormais, les sans-papiers pourront être retenus 28 jours, contre 10 avant la loi, dans le but de donner plus de temps aux autorités pour organiser les expulsions.

En 2015, des milliers de migrants majoritairement syriens sont arrivés en Allemagne. Crédit : Joerg Koch/AA/picture alliance

Pays-Bas
En 2015, les Pays-Bas avaient enregistré plus de 40 000 demandeurs d’asile – majoritairement originaires de Syrie -, un chiffre moins important que son voisin allemand mais relativement élevé pour un pays qui n’avait jamais fait face à un afflux de réfugiés à ses portes. Puis, avec le déclenchement de la guerre en Ukraine en 2022, les Pays-Bas ont accueilli 108 000 ressortissants ukrainiens, selon les chiffres du gouvernement néerlandais.

Mais le pays peine à héberger tous ces nouveaux arrivants.

Faute de place, durant l’été 2022 le seul centre d’enregistrement de Ter Appel a été complétement débordé. Plus de 700 personnes avaient dû dormir à l’extérieur de la structure, à même le sol. Un nourrisson est décédé, provoquant l’émoi de la population.

Pour nombre d’experts néerlandais, la crise de l’hébergement n’est pas due au nombre plus élevé d’étrangers qui arrivent aux Pays-Bas mais plutôt à une pénurie de logements dans le pays (400 000 logements manquants pour 17 millions d’habitants).

En novembre 2023, nouveau tour de vis : le parti néerlandais d’extrême droite (PVV) arrive largement en tête des élections législatives. Et le leader du mouvement, Geert Wilders, ne cache pas son islamophobie et sa xénophobie.

Les ressortissants marocains sont d’ailleurs régulièrement sa cible. Le chef du PVV n’hésite pas à les traiter de « racailles ». Des propos qui lui avaient valu d’aller en justice.

Près de six mois après cette victoire de l’extrême-droite, Geert Wilders a annoncé au mois de mai 2024, qu’un accord de gouvernement avait été trouvé. Le PVV – qui fait pour la première fois partie d’un gouvernement – entend donc restreindre l’immigration. « Des dispositions concrètes seront prises pour aller vers les règles les plus strictes jamais adoptées en matière d’asile, et un paquet de mesures le plus large jamais pris pour contrôler les migrations », stipule l’accord de coalition.

Le nouveau gouvernement entend par ailleurs « durcir » les règles en vigueur pour le regroupement familial.

Le titre de séjour sans limitation dans le temps (appelé « Asiel Onbepaalde Tijd ») serait quant à lui supprimé. Le refus d’obtempérer à une expulsion en cas de perte ou de non-obtention de titre de séjour aux Pays-Bas deviendrait punissable pénalement.

En outre, Geert Wilders propose aussi le gel de l’asile, le rétablissement des contrôles aux frontières néerlandaises, la détention et l’expulsion des immigrants illégaux, le renvoi des demandeurs d’asile syriens. Son programme dit également que « les Pays-Bas ne sont pas un pays islamique.

Pas d’écoles coraniques, de Corans et de mosquées ».

Des demandeurs d'asile dorment à l'extérieur du centre de Ter Apel, aux Pays-Bas. Crédit : Vincent Jannink/ANP/IMAGO

Suède
En 2015, le pays du nord de l’Europe ouvrait largement ses portes et accueillait plus de 150 000 demandes d’asile. Lorsque l’on rapporte le nombre de demandes d’asile accordées (35 000) à la population des pays d’accueil, la Suède figure en première place, en ayant donné asile à l’équivalent de 0,7 % de sa population, soit un réfugié pour 141 résidents en Suède.

Ce n’est pas la première fois que la Suède fait preuve d’ouverture.

Le pays a accueilli un grand nombre d’étrangers depuis les années 1990, principalement en provenance de régions en proie à des conflits – notamment l’ex-Yougoslavie, la Syrie, l’Afghanistan, la Somalie, l’Iran et l’Irak.

Mais en 2022, le bloc composé de la droite libérale conservatrice et de l’extrême droite l’emporte aux législatives. C’est une nouvelle ère anti-migrants qui s’ouvre. « Il est temps de faire passer la Suède d’abord », déclare alors Jimmie Akesson, le leader des Démocrates de Suède (extrême-droite) qui veut réduire drastiquement l’immigration et la criminalité.

Les premières mesures d’un durcissement migratoire tombent. Les travailleurs non-européens devront désormais démontrer qu’ils gagnent plus de 34 200 couronnes (3 000 euros) pour obtenir un visa de travail et rester dans le pays. Auparavant, le montant demandé était de 27 360 couronnes (2 400 euros).

La Suède annonce aussi son intention de durcir considérablement les règles de regroupement familial, jugés « trop généreuses », par le gouvernement.

En octobre 2023, le gouvernement, dirigé par le chef du parti conservateur des Modérés, Ulf Kristersson, annonce une mesure symbolique : restreindre l’accès des prestations sociales aux migrants non originaires d’un pays de l’Union européenne (UE). La coalition veut imposer un délai – encore non précisé – entre l’arrivée de ces migrants en Suède et le moment où ils pourront toucher des aides.

Le mois suivant, en novembre, le gouvernement suédois a annoncé vouloir imposer aux migrants de s’engager à vivre de « façon honnête ». Il ouvre ainsi la voie à des expulsions d’étrangers pour association avec des groupes criminels ou menaces « aux valeurs démocratiques suédoises ».

Le gouvernement suédois veut aussi mettre en place une loi contraignant les fonctionnaires à dénoncer les personnes sans-papiers qu’ils pourraient rencontrer dans l’exercice de leurs fonctions.

C’est ce qu’envisage une proposition de loi qui veut à tout prix accélérer l’expulsion des migrants en situation irrégulière. Mais ce texte se heurte à une très forte opposition.

Un groupe de migrants arrivent en train à Malmo, en Suède, en novembre 2015. Crédit : picture alliance

Danemark
En 1952, le Danemark a été le premier pays au monde à ratifier la convention de Genève sur les réfugiés.

Le pays a reçu 21 000 demandes d’asile en 2015, au pic de la crise migratoire, majoritairement des Syriens fuyant la guerre. Un chiffre qui a chuté l’année suivante pour tomber à 6 000 demandes enregistrées.

Mais depuis la crise, Copenhague a serré la vis, le parti de la Première ministre de centre-gauche Mette Frederiksen argue qu’en soutenant une politique d’accueil généreuse, le pays a trahi les classes populaires.

Le Monde détaille les mesures restrictives : « Depuis 2015, il faut avoir vécu neuf ans dans le pays et y avoir travaillé au moins deux ans et demi pour toucher les minima sociaux […] L’asile n’est accordé que de façon temporaire, pour un ou deux ans renouvelables. Copenhague a créé, en 2015, une catégorie réservée aux personnes fuyant des violences généralisées.

Elles peuvent obtenir l’asile mais n’ont droit au regroupement familial qu’au bout de trois ans, et leur titre de séjour peut être révoqué à tout moment.

En 2023, les députés ont aussi durci les conditions d’accès au regroupement familial et à la nationalité danoise, soumis à une très longue liste d’exigences : emploi, maîtrise de la langue, connaissance du pays, attachement au Danemark. Demander la naturalisation suppose neuf années de séjour (contre cinq en France) ».

En février 2022, la commission danoise pour l’asile a décidé que les ressortissants afghans déboutés du droit d’asile pourraient être renvoyés dans leur pays.

Même sentence pour les Syriens. Les services de l’immigration estiment depuis 2019 que la situation sécuritaire en Syrie, notamment dans la région de Damas s’est suffisamment améliorée pour que les réfugiés syriens rentrent chez eux. C’est le premier État de l’UE qui a estimé que la Syrie était un « pays sûr ».

Le Danemark souhaite aussi réduire à zéro le nombre de nouveaux demandeurs d’asile, selon les mots de Mette Frederiksen.

En juin, le Parlement a adopté la possibilité de sous-traiter les demandes d’asile dans des pays tiers, à l’étranger, malgré les critiques de la Commission européenne. Des pourparlers sont en cours avec le Rwanda, qui a eu un accord du même type avec le Royaume-Uni – aujourd’hui annulé par le nouveau gouvernement travailliste élu en juillet 2024.

Cette politique stricte s’est aussi accompagnée de plusieurs polémiques. En décembre 2021, l’ancienne ministre danoise Inger Støjberg de l’Immigration avait été condamnée pour avoir volontairement séparé des couples de réfugiés mariés – pour lutter, défendait-elle, contre les mariages forcés.

Dans le pays, une « loi ghettos » a par ailleurs été adoptée en 2018.

Selon ce texte, la part des « non-Occidentaux » est limitée à 50% dans les quartiers de plus de 1 000 habitants dont les résidents répondent à deux des quatre critères relatifs à l’emploi, l’éducation, les revenus et la criminalité.

Des réfugiés arrivent au Danemark depuis l'Allemagne en septembre 2015. Crédit : EPA/Jens Noergaard Larsen

Portugal
Avec une politique migratoire parmi les plus ouvertes d’Europe, le Portugal a vu sa population étrangère doubler ces dernières années, notamment dans les domaines de la restauration, de la pêche et de l’agriculture. Le nombre d’étrangers (Indiens, Népalais, et Bangladais notamment) a aujourd’hui atteint le million, soit un dixième de la population du pays ibérique, selon des données provisoires fournies à l’AFP par l’Agence gouvernementale pour l’intégration, les migrations et l’asile (Aima).

L’année dernière encore, quelque 180 000 migrants ont été régularisés, selon des données du gouvernement.

Et pourtant, le pays du sud opère lui aussi un tour de vis dans sa politique migratoire. Le gouvernement portugais de droite modérée, arrivé au pouvoir en mars 2024, a décidé d’abroger une loi de 2018 permettant aux immigrés de demander leur régularisation s’ils travaillaient depuis au moins un an dans le pays.

Actuellement, 400 000 dossiers de régularisation sont en attente.

Le parti d’extrême droite Chega, qui a réalisé une percée aux élections de mars avec 18% des voix, a réclamé la suspension de l’émission de nouveaux titres de séjour tant que l’agence Aima n’aura pas traité toutes les demandes déjà formulées.

Pendant de nombreuses années, les migrants, qu’ils soient entrés de manière régulière ou non, pouvaient obtenir un statut légal au Portugal en travaillant, en créant une entreprise ou en travaillant en freelance. En 2018, l’ancien gouvernement socialiste a même étendu cette possibilité aux personnes entrant sur le territoire sans visa valide. C’est désormais la fin de cette politique.

Un avocat spécialisé en immigration, Gabriel Klemez Klock, interrogé par InfoMigrants, a expliqué que cette loi a été promulguée avec une « rapidité incroyable ».

Il a regretté qu’aucun délai ou « période de transition » n’ait été accordé aux migrants en situation irrégulière qui attendent de demander un permis de séjour.

le pays du sud opère lui aussi un tour de vis dans sa politique migratoire. Photo de la rue Atalaia à Lisbonne. Crédit : picture alliance / Edson De Souza

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