Sierra Leone : Les gardiens de la forêt tropicale de Kambui livrent un combat inégal contre les chercheurs d’or et la déforestation

Chaque patrouille dans la forêt tropicale de Kambui qui fait partie du couvert sauvage, toujours important mais déclinant à grande vitesse, confronte les gardes-forestiers de Sierra Leone à la destruction du milieu par les chercheurs d’or, rappel cruel de l’oblitération végétale en cours dans le pays et de l’insuffisance de leurs moyens.

« Les ravages empirent tous les jours », s’est désolé Sheku Jusu, 36 ans, un responsable local de l’Autorité nationale des aires protégées (NPAA). « Il n’y a pas une patrouille en forêt où nous ne tombions pas sur un nouveau site de prospection ».

À peine un groupe de quelques « rangers » en tenue kaki s’est-il mis en marche depuis une demi-heure, par 27°C et 96% d’humidité sur un terrain exténuant, que la réalité confirme les propos de Sheku Jusu : un tas de sable humide indique qu’on a creusé là, au bord de la rivière.

« C’est très récent, ça date d’une heure ou deux », a expertisé Bockarie Kowa, 48 ans, un autre responsable de la NPAA. « Ils viennent pendant qu’on dort ».

« Ils », ce sont les clandestins de la mine mais aussi du bûcheronnage, avec lesquels un maigre contingent de 62 gardes-forestiers placés sous l’autorité de la NPAA se livrent à un jeu du chat et de la souris quotidien pour protéger les 14.000 hectares de la réserve forestière des monts Kambui, dans l’est de la Sierra Leone.

Or, diamants, rutile

La forêt tropicale de Kambui fait partie du couvert sauvage, toujours important mais déclinant à grande vitesse, de la Sierra Leone. Elle abrite une grande diversité de mammifères : le chimpanzé, le singe colobe noir et blanc, le porc-épic à queue en brosse et le céphalophe de Maxwell, une petite antilope. Elle offre un habitat à des oiseaux menacés comme le bécasseau à cou blanc.

Le sol de la Province de l’Est, aux confins de la Guinée et du Liberia, recèle de l’or, des diamants et du rutile. Sur les berges rocheuses des cours d’eau qui irriguent la réserve de Kambui, c’est surtout le métal jaune qu’on cherche.

Les traces de fouilles sont partout visibles. Ici, les excavations ont déraciné quelques arbres, là elles en ont arraché beaucoup plus, qui recouvrent à présent le sol. Les bûcherons passent communément derrière pour récupérer le bois.

La Sierra Leone a l’un des taux de déforestation les plus élevés au monde, selon l’Indice de performance environnementale des universités américaines de Yale et Columbia. Elle a perdu depuis le début du siècle plus de 35% de sa couverture forestière totale et 14% de ses forêts primaires humides, réserves de biodiversité et régulateurs du climat, selon Global Forest Watch, plateforme de surveillance des forêts en temps réel.

Ces 15 dernières années, le gouvernement sierra-léonais a intensifié les efforts pour protéger les ressources naturelles. Il a créé la NPAA en 2012 et le ministère de l’Environnement et du Changement climatique en 2018.

Une source diplomatique s’exprimant sous le couvert de l’anonymat pour ne pas paraître s’ingérer dans les affaires du pays explique que la Sierra Leone, un des pays les plus pauvres au monde, trouve un intérêt à la conservation : elle favorise l’essor de l’écotourisme et génère des financements internationaux destinés à combattre le changement climatique.

Nécessité fait loi

Cependant, cette entreprise se heurte à la difficulté de mettre en œuvre les politiques de conservation sur le terrain, à coordonner l’action des ministères concernés et à impliquer les communautés locales, déplore la même source.

Une des missions de la NPAA consiste à sensibiliser les populations locales.

Une tâche difficile, sinon dangereuse. Contrairement aux gardes, certains des clandestins sont armés, dit Sheku Jusu. « Ils ont des haches, des machettes. Si vous essayez de les arrêter, ils vous courent après », rapporte-t-il.

Quelques instants après avoir repéré le chantier en bord de rivière, les « rangers » surprennent deux jeunes mineurs qui se laissent menotter sans résistance et reconduire au pied de la montagne. En général, ils sont remis à la police et encourent la prison, dit Bockarie Kowa, l’autre responsable de la NPAA.

L’un des jeunes pris en flagrant délit, Mohamed, étudiant en sciences de 23 ans, explique qu’il a commencé il y a deux ans et n’avait pas le choix.

« C’est un travail vraiment dangereux », dit-il en faisant référence à la multitude d’accidents mortels que provoque cette activité. « Mais il faut bien trouver de l’argent pour subvenir à nos besoins ».

Sheku Jusu mesure l’immensité du défi. « Certains de ces arbres sont très importants, mais (les mineurs) ne le savent pas. Ils ruinent tout ça sur leur passage ».

 yenisafak

You may like