À Port-au-Prince, capitale d’Haïti, près de trois millions de personnes sont prises au piège d’une guerre des gangs sanglante. L’envoi d’une force multinationale et l’arrivée ces dernières semaines du premier contingent de policiers kenyans n’a pour le moment rien changé. Pour les habitants que France 24 a rencontrés, l’espoir d’une solution à long terme est mince. Nos reporters, Catherine Norris-Trent et Roméo Langlois, nous racontent le tournage de ce documentaire exclusif d’une durée de 52 minutes, dans une ville en état de siège.
En mai dernier, nous sommes arrivés à Port-au-Prince par hélicoptère, l’aéroport international étant fermé. Pendant deux semaines, nous avons filmé Port-au-Prince et ses alentours, avec pour objectif de comprendre comment la population haïtienne fait face à la violence et au démantèlement de l’État, et comment, dans ce pays déjà en crise, la situation a pu dégénérer à ce point.
Désormais, les gangs armés contrôlent 80 % de la capitale et sont devenus extrêmement puissants, tant économiquement, que militairement.
Leur porte-parole, Jimmy Chérizier, se fait appeler « Barbecue ». « Nous réclamons une place à la table de négociations, sinon, on va continuer à se battre », nous explique-t-il depuis dans son fief de Bas Delmas. Barbecue est le porte-parole d’une puissante alliance de gangs, « Viv Ansamn » (Vivre ensemble en créole). Les gangs ont décidé de ne plus s’affronter, afin d’unir leurs forces et de défier l’État, forçant ainsi le Premier ministre Ariel Henry à démissionner, alors qu’il était à l’étranger, en mars.
Business et violence
Les gangs contrôlent l’essentiel de la zone côtière de Port-au-Prince et donc les accès aux ports stratégiques du pays. Un élément clé quand on sait qu’Haïti dépend des importations alimentaires pour 50 % de ses besoins, alors que l’île regorge de terres fertiles. Pour beaucoup, ce sont les élites ultra-riches et corrompues qui sont responsables de la situation. Des élites accusées d’avoir construit de véritables empires en prenant le monopole du commerce des produits de première nécessité.
Corruption endémique
Les gangs font désormais partie intégrante du paysage politique haïtien, notamment car ils ont été protégés pendant des années par la classe politique. Depuis l’assassinat de Jovenel Moïse par des hommes armés il y a deux ans, Haïti n’a pas de président. Pour assurer la continuité de l’État, un Conseil présidentiel de transition a été créé. À sa tête, Edgar Leblanc Fils, qui nous reçoit sur les hauteurs de Port-au-Prince.
Il admet la difficulté de travailler dans un univers politique corrompu.
« Il faut reconnaitre que les institutions de l’État se sont effondrées », dit-il. « Il y a toujours eu une certaine connivence entre les autorités étatiques et les bandits, soit pour gagner les élections, soit pour occuper des espaces de pouvoir ». Mais Edgard Leblanc Fils en est persuadé, grâce au nouveau Premier ministre nommé par le Conseil présidentiel de transition, Garry Conille, la police haïtienne va reprendre la situation en main.
Il espère aussi qu’avec l’aide de la force multinationale, la police pourra acculer et démanteler les gangs, même s’il admet qu’à l’heure actuelle, l’objectif est de réussir à les contenir.
Les civils pris au piège
Dans les rues jonchées de débris et de voitures brulées, les policiers sont épuisés, mais déterminés. Ils assurent qu’ils veulent rendre leur pays fier, mais nous avons constaté combien leur tâche est difficile. Les membres des gangs sont partout, cachés dans les ruines des bâtiments détruits, dans cette ville devenue un véritable champ de bataille.
Lors de la patrouille que nous avons suivie avec les forces anti-gangs de la police, le char des forces de l’ordre, déjà criblé de balles, a été attaqué à plusieurs reprises. Les policiers tentent désespérément de localiser les tireurs. Ils nous confient ne pouvoir que très rarement sortir du véhicule pour patrouiller à pied car ils ne sont pas assez nombreux.
Alors qu’un officier repère un suspect dans une maison, il reçoit l’ordre de tirer immédiatement, ce qu’il fait sans hésiter. Un autre policier nous dit qu’ils tirent dès qu’ils identifient une cible suspecte. Selon lui, plus aucun civil ne réside dans la zone, ils tirent à vue : « Pas besoin de voir s’ils sont armés ou pas… On frappe, tout simplement. »
Le monde dans tous ses États Les gangs se disputent le pouvoir à Haïti
Les rares civils encore présents dans les ruines du centre-ville se retrouvent pris au piège. Les habitants nous expliquent qu’ils refusent de livrer leur maison aux gangs et aux pillards. Ils se sont habitués aux tirs des chars de la police et aux bandits qui pillent les bâtiments alentours.
Dans les bidonvilles de Port-au-Prince, fiefs des gangs, des milliers de personnes vivent encore sur place. Impossible de fuir, ils n’ont nulle part où aller. Les gangs se présentent comme « des révolutionnaires », des défenseurs des Haïtiens pauvres face à l’élite corrompue. Parfois, ils distribuent même des repas donnés par les ONG et les organismes internationaux.
Mais selon Rosy Auguste Ducéna, avocate pour le Réseau national des droits humains, ce n’est qu’un affichage de façade : « Les bandes armées sont impliquées dans la perpétration de crimes de droit commun, dans des assassinats, dans des enlèvements suivis de séquestrations contre rançons.
Elles sont impliquées dans des viols, des viols collectifs, des incendies de maisons, de résidences privées, d’entreprises, de banques, de tribunaux, de commissariats… ». Quant à Jimmy Chérizier, alias Barbecue, l’avocate est catégorique : « Barbecue n’est pas révolutionnaire. C’est un bandit armé ».
Pendant ces quinze jours de tournage dans la capitale haïtienne et ses alentours, nous avons rencontré une population prise en otage dans un conflit qui, pour l’heure, ne semble pas avoir d’issue.