Naufrages dans la Manche : la France et le Royaume-Uni comptent renforcer leur coopération

Pour la première fois, un navire britannique participant à une opération de sauvetage conjointe dans la Manche a débarqué les naufragés dans un port français. Cette nouvelle pratique, si elle répond à des circonstances précises de sauvetage en mer, pourrait bien se reproduire à l’heure où les deux pays ouvrent la discussion sur un nouveau cadre de coopération.

C’est une première : mercredi, un navire anglais a participé à une opération de sauvetage dans les eaux françaises et ramené les rescapés… vers un port français. En l’occurrence, celui de Calais.

Un catamaran Ranger de la Border Force et un canot de sauvetage de la RNLI ont été dépêchés, depuis Douvres, après un appel à l’aide lancé par le CROSS Gris-Nez côté français. « Les garde-côtes ont été informés qu’un petit bateau était en difficulté dans les eaux françaises près de Calais vers 14h40 », a détaillé un porte-parole de la Maritime and Coastguard Agency à The Independent.

D’après les autorités, 72 personnes étaient à bord de l’embarcation en détresse.

Le navire français PSP Cormoran a recueilli 59 personnes lors de l’opération : l’une d’entre elles, retrouvée inconsciente, n’a pu être réanimée par les secours français. Le navire britannique, aidé du canot de la RNLI, en a secouru 13 autres. Ce dernier a ensuite fait route jusqu’au port de Calais, où l’ensemble des naufragés ont été débarqués.

« Ce n’est pas la première fois qu’un moyen britannique intervient en eaux françaises.

Mais c’est la première fois que, pour des raisons opérationnelles, le CROSS lui demande de débarquer dans un port français », confirme Véronique Magnin, ex porte-parole de la Préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord (Premar), qui a suivi les opérations ce jour-là.

« On va dans le port sûr le plus proche »
« C’est la règle dans le sauvetage : on va dans le port sûr le plus proche, que ce soit un port français ou britannique », soutient Véronique Magnin. Sauf que jusqu’ici, lorsque des moyens britanniques et français participaient à une même opération de sauvetage, ce cas de figure ne s’était jamais présenté.

« On faisait plutôt des transferts de personnes, de bord à bord, d’un moyen britannique à un moyen français, et vice-versa.

Dans le jargon, on appelle cela des « situations tactiques » : on avise en fonction du bateau qui a le plus de places à bord, ou bien de familles séparées qu’il faut réunir… », indique-t-elle. Ce sont les centres opérationnels, MRCC Douvres côté britannique et CROSS côté français, qui décident en direct des meilleurs choix à faire et coordonnent les équipes.

Or, mercredi, « comme il y avait une personne inanimée sur le Cormoran, avec l’hélitreuillage d’une équipe de secours, il y avait déjà beaucoup de manœuvres en cours à bord du moyen français. Pour que la prise en charge des autres naufragés soit plus rapide, et aussi pour que l’on puisse récupérer plus vite des moyens en mer puisqu’il y avait d’autres tentatives de traversées en même temps, le CROSS a demandé aux Britanniques de débarquer à Calais », retrace Véronique Magnin.

Le signe d’une nouvelle forme de coopération ?
Faut-il voir dans cette nouvelle pratique le signe d’une évolution du travail conjoint entre Britanniques et Français dans la Manche ? « Il n’y a aucune raison qu’il y ait un nouveau cadre de coopération franco-britannique, ce sont les règles de sauvetage en mer qui s’appliquent. C’est vraiment à l’appréciation des centres opérationnels », tempère, côté français, Véronique Magnin.

Le Home Office (équivalent britannique de l’Intérieur) a également réfuté, auprès de The Telegraph, l’idée d’un changement de politique. Ceci étant, des sources internes voient tout de même, dans cette opération, le signal d’une plus grande coopération entre le Royaume-Uni et la France face aux traversées, relate The Telegraph.

Jeudi soir, alors qu’un nouveau naufrage était en cours dans la Manche provoquant le sixième décès de la semaine, sir Keir Starmer a échangé avec le président de la République Emmanuel Macron autour d’un plan de répression des traversées de small boats.

« Ils se sont engagés à renforcer leur coopération en matière d’immigration clandestine et de lutte contre les filières criminelles responsables de ces pertes tragiques de vies humaines lors des traversées en small boats », a déclaré un porte-parole du Premier ministre à la presse britannique.

Le nouveau dirigeant travailliste étudie aussi la possibilité de renvoyer les migrants interceptés dans la Manche sur le continent, dans d’autres pays de l’UE, pour que leurs demandes d’asile y soient examinées. D’après la presse britannique, Emmanuel Macron a cependant exclu la possibilité d’un accord direct avec la France pour ce type de retours, jugeant que tout accord devait être conclu entre le Royaume-Uni et l’UE.

Jusqu’à « 80 voire 90 » personnes sur les embarcations
Depuis des années, Paris et Londres multiplient les mesures destinées à endiguer les traversées. Sans grand succès. Depuis le 1er janvier 2024, plus de 14 000 personnes ont atteint le Royaume-Uni, soit une hausse de 18% par rapport à la même période l’an dernier.

Or au cours de ces sept premiers mois de l’année, 22 personnes sont mortes en tentant de gagner les côtes anglaises, d’après la Premar. Un bilan beaucoup plus lourd que celui de l’ensemble de l’année 2023 où douze migrants étaient décédés dans des circonstances similaires.

La situation de mercredi, avec une personne trouvée inanimée et des secours hélitreuillées, s’est reproduite à peine plus de 24 heures plus tard, dans la nuit de jeudi à vendredi.

Or, il s’agit d’une situation nouvelle.

« C’est un phénomène assez nouveau, que l’on ne voyait pas les années précédentes : des personnes décèdent alors qu’elles se trouvent sur leur embarcation, et non pas en se noyant », alerte Véronique Magnin. « On fait face à des embarcations très chargées, qui peuvent monter jusqu’à 80 voire 90 personnes !

Il y a peut-être aussi la température estivale qui fait que les gens font des malaises… ». De quoi mettre en tension les moyens de sauvetage français et faire évoluer la coopération avec les Britanniques en mer dans les mois à venir.

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