Bangladesh: la justice supprime la plupart des quotas d’emplois à l’origine des manifestations

Voilà presque une semaine que le Bangladesh compte chaque jour ses morts et ses blessés alors qu’un soulèvement sans précédent a lieu contre la Première ministre Sheikh Hasina. En annonçant des quotas d’emplois perçus comme des privilèges, cette dernière a fait descendre la jeunesse puis toute la population dans la rue.

La Cour Suprême, la plus haute juridiction du pays, a statué ce dimanche 21 juillet en supprimant 93 % des quotas d’emplois. Une mesure qui pourrait ne pas apaiser les tensions.

Au Bangladesh, ce qui a commencé comme une protestation contre des quotas d’admission pour des emplois gouvernementaux très prisés a conduit cette semaine aux pires violences sous le mandat de la Première ministre Sheikh Hasina, au pouvoir depuis 15 ans. Selon les manifestants, ces quotas profitent au pouvoir en place.

Depuis mardi 16 juillet, au moins 151 personnes, dont plusieurs policiers, ont été tuées dans des affrontements à travers le pays, selon un décompte réalisé par l’AFP à partir de données de sources policières et hospitalières. Les manifestants continuent un peu partout à défier la police, en dépit de l’instauration d’un couvre-feu et de la fermeture des universités, où le mouvement a débuté.

Ce dimanche a été une journée décisive puisque la Cour suprême, la plus haute juridiction du pays, a statué sur ces quotas controversés en les baissant fortement, sans l’abolir complètement. L’instance a décidé que 93 % des emplois de la fonction publique devaient être ouverts aux candidats en vertu du mérite, sans quotas.

« La Cour suprême a déclaré que le verdict de la Haute Cour était illégal », a déclaré le procureur général A.M. Amin Uddin.

Il a précisé que 5 % des emplois de la fonction publique resteraient réservés aux enfants des vétérans de la guerre d’indépendance et 2 % aux autres catégories. 

Le procureur général A.M. Amin Uddin a fait référence à une décision antérieure qui avait réintroduit les quotas. Car le gouvernement du Premier ministre Sheikh Hasina avait abandonné le système de quotas en 2018, mais un tribunal l’a rétabli le mois dernier, déclenchant une vague de protestations réprimée par le gouvernement.

La décision théoriquement indépendante de la Cour Suprême pourrait bien être un geste de la Première ministre pour calmer les esprits, tout en sauvant la face. Les quotas ne sont d’ailleurs pas supprimés, mais réduits, car il faut aussi satisfaire les loyalistes de son régime qui en bénéficient, rapporte notre correspondant à Bangalore, Côme Bastin

La Cour suprême a également exhorté dimanche les étudiants à « retourner en classe » après les violences, a déclaré Shah Monjurul Hoque, un avocat qui représentait deux étudiants dans une affaire visant à abolir le système de quotas.

Les étudiants annoncent poursuivre le mouvement

Le principal groupe d’étudiants a affiché dans la foulée son intention de poursuivre le mouvement pour dénoncer les quotas de recrutement dans la fonction publique malgré l’assouplissement du système annoncé par la Cour suprême. « Nous n’arrêterons pas nos manifestations tant que le gouvernement n’aura pas pris une décision prenant en compte nos demandes », a déclaré un porte-parole de l’association Students Against Discrimination (« étudiants contre la discrimination »), sous couvert d’anonymat.

À l’étranger aussi, des milliers d’étudiants Bangladeshis se mobilisent en soutien avec leurs compatriotes.

Certains organisent des manifestations. D’autres comme Momtaha Alam Raiba, une étudiante bangladaise à Kuala Lumpur en Malaisie, ont tenté de coordonner un soutien avec des organisations sur place avec que tout contact soit rompu.

J’étais en contact avec de nombreuses personnes sur le terrain.

Car nous avons une équipe sur place, ils distribuent de l’eau, des provisions et du matériel médical aux manifestants. L’un de nos bénévoles a été touché par un tir de gaz lacrymogène. Un autre ami, qui s’était caché pendant 3 heures pour éviter la police, a vu quelqu’un se faire tuer sous ses yeux.

«Nous n’avons plus d’information sur ce qui se passe en ce moment au Bangladesh», explique Momtaha Alam Raiba

« Plutôt que d’essayer de répondre aux griefs des manifestants, les actions du gouvernement ont aggravé la situation »

Quoi qu’il en soit, difficile de savoir si cette annonce peut désamorcer la crise. Car depuis lundi, il y a eu des morts, il y a eu des mots terribles envers les manifestants, et beaucoup affirment qu’ils n’arrêteront le combat que si Sheikh Hasina démissionne.

Si les quotas ont été l’étincelle qui a allumé le feu, les limiter peut faire office de verre d’eau face à l’incendie. La dérive autocratique du régime, accusé par ses opposants de faire plier le pouvoir judiciaire, les dernières élections qui ont eu lieu sans opposition, la détresse économique de la jeunesse : tout cela a fait aujourd’hui la population descendre dans la rue.

Le Bangladesh n’étant pas en mesure d’offrir des possibilités d’emploi adéquates à ses 170 millions d’habitants, le système de quotas est une source importante de ressentiment parmi les jeunes diplômés confrontés à une grave crise.

Au début, la jeunesse ne demandait que l’abolition des quotas dans le service public, mais la Première ministre les a insultés en les qualifiant de «collaborationnistes» avec le Pakistan du temps de la guerre d’indépendance. Depuis, le mouvement a gagné tout le pays.

«La suspension ne calmera pas la colère», selon le journaliste d’investigation bangladais Saer Khan

Heike Schmidt

Les manifestations sont quasi quotidiennes depuis début juillet. Malgré les coupures d’Internet, des vidéos circulent sur les réseaux sociaux où l’on voit la police tirer à balles réelles sur la foule.

La Première ministre a comparé les manifestants à des agents du Pakistan, une référence à la guerre de libération en 1971 qui a fait enrager les manifestants. « Plutôt que d’essayer de répondre aux griefs des manifestants, les actions du gouvernement ont aggravé la situation », réagit Pierre Prakash, directeur du Crisis Group pour l’Asie.

Alors que la situation reste très tendue, le monde a les yeux tournés vers le Bangladesh, pays de 171 millions d’habitants parfois ignoré.

L’Inde, voisin et allié, juge la situation inquiétante et a déjà fait évacuer 1 000 de ses étudiants. Les États-Unis et le Canada se sont dits très préoccupés par les violences. Le département d’État américain a déconseillé ce samedi aux Américains de se rendre au Bangladesh et a annoncé qu’il commencerait à rapatrier certains diplomates et leurs familles.

La Première ministre bangladaise devait quitter le pays ce dimanche pour une tournée diplomatique en Espagne et au Brésil. Mais elle a renoncé à son projet en raison des violences en cours.

La tension se répercute jusqu’aux Émirats arabes unis où des manifestants bangladais ont été arrêtés

Officiellement, les autorités émiraties n’ont pas donné de bilan précis des arrestations. Elles parlent de groupes d’émeutiers, arrêtés ce vendredi ou samedi, sans dire où ces arrestations ont eu lieu. Toujours officiellement, le coup de force de la police est justifié par le fait que les protestataires bloquaient ou gênaient la circulation.

Mais dans la réalité, les Émirats arabes unis voient d’un mauvais œil l’expression publique des ressortissants bangladais sur son territoire.

Les manifestations sont en règle générale sévèrement réprimées aux Émirats tout comme les propos pouvant entraîner des troubles sociaux.

Un comble, quand on sait que les ressortissants du Bangladesh font partie des plus grosses communautés étrangères dans le pays et sont pour le pays une main d’œuvre bon marché, notamment présente dans le secteur de la construction. Cette communauté forte d’un million de personnes est laissée sans nouvelle de leurs familles au Bangladesh depuis que l’accès à internet a été fortement perturbé dans les remous de la contestation contre la dirigeante Sheikh Hassina. 

RFI

You may like