Elle sera la deuxième équipe à défiler ce 26 juillet sur la Seine, derrière la délégation grecque, lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024. Peu connue du grand public, l’équipe olympique des réfugiés grandit et s’impose toujours un peu plus depuis les Jeux de Rio de 2016. Rencontre avec ses athlètes aux parcours hors du commun dont le rêve de participer à la compétition et de représenter plus de 100 millions de réfugiés se réalise aujourd’hui.
« Bam, bam, bam ! » Les coups de mains et de pieds sur les cibles d’entraînement font un vacarme inouï dans lequel percent les cris des athlètes. La journée débute à peine et la sueur coule à flot. Le jeune Syrien Adnan Khankan enlève la veste de son kimono, essuie son visage et se saisit de son portable. Musique orientale à fond, il rebooste ses nouveaux camarades pour une interminable série de pompes.
Dans ce gymnase de Bayeux, ville symbolique du Calvados pour son histoire lors du Débarquement, les athlètes des sports de combat, boxe, judo, lutte et taekwondo s’exercent inlassablement pour être prêts pour les JO de Paris 2024. À quelque pas de la salle dans un stade, d’autres enchaînent les tours de piste à pied, à vélo, quand à l’étage une jeune afghane reproduit sa démonstration de breakdance face à un gigantesque miroir. Douze sports au total sont pratiqués ici.
Des athlètes hors pair…
Les sportifs viennent de se rencontrer pour la première fois il y a tout juste 48 heures, les uns étant réfugiés en Allemagne, les autres au Royaume-Uni, aux États-Unis, en France, etc. « Tout le monde est de bonne humeur, ça rit et ça plaisante. C’est la première fois qu’on fait tous connaissance et c’est un moment unique et très spécial, explique l’ex-championne suisse de natation Anne-Sophie Thilo, chargée de communication de l’équipe olympique des réfugiés (EOR).
On les voit avant tout sous le prisme de réfugiés, mais avant tout, ce sont des athlètes. Certains se retrouvent après avoir pratiqué leur sport ensemble dans leur pays d’origine ! C’est tout simplement incroyable. »
Ces 37 athlètes issus de onze pays différents (majoritairement des Afghans, des Iraniens et des Syriens) forment ainsi l’équipe olympique des réfugiés de l’édition 2024.
Ils ont été choisis en fonction de leurs capacités sportives au niveau continental et international, mais aussi en fonction de leur statut de réfugiés — reconnu par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Méconnue du grand public, c’est pourtant la troisième fois que l’équipe olympique des réfugiés concourt aux Jeux.
Et cette année, pour la première fois, l’équipe défilera avec son propre drapeau, à l’instar des autres équipes des JO, symbolisé par un cœur rouge entouré de flèches, un symbole unificateur qui confère à l’équipe une identité unique.
Do you know the story behind the Refugee Olympic Team's new emblem?
1️⃣ The waymarks showcase their shared experience of an incredible journey.
2️⃣ The circle brings them together, symbolising that this is their unified team.
3️⃣ The heart represents the Olympic Refuge Foundation,… pic.twitter.com/3j6DqSTkg3— Refugee Olympic Team (@RefugeesOlympic) May 14, 2024
Ces athlètes ont réalisé leur rêve. » Et pour cause : cette équipe représente pas moins de 120 millions de réfugiés dans le monde. « Le point commun entre eux, bien qu’ils aient tous des parcours atypiques, c’est la résilience. Ils n’ont jamais abandonné malgré les difficultés. »
Des difficultés dont ils parlent très peu tant l’épreuve psychologique a été laborieuse pour eux.
Un cours de « media training » leur a d’ailleurs été donné afin qu’ils ne soient pas désemparés face à certaines questions. Ressasser le passé quand on est là avant tout pour oublier et se reconstruire face aux médias du monde entier est loin d’être chose aisée. « Ça peut réveiller des blessures, certains athlètes ont du mal à s’en remettre. On leur parle beaucoup de leur vécu, bien souvent plus que de leurs résultats sportifs.
C’est en quelque sorte logique, mais c’est douloureux pour nombre d’entre eux », confie une source du staff de l’EOR.
« Je suis content qu’il y ait beaucoup de Syriens, on partage ensemble notre trajectoire. On a vécu les mêmes problèmes », confie pourtant Yahya al-Ghotany. Contraint de fuir la Syrie avec sa famille lorsque la guerre a éclaté il y a plus d’une décennie, il s’est installé dans le camp de réfugiés d’Azraq en Jordanie, où il a commencé à pratiquer le taekwondo. Aujourd’hui, à 20 ans, il vit seul à Amman et s’entraîne deux fois par jour dans le cadre de l’Académie d’Azraq de la Fondation humanitaire pour le taekwondo (THF). Si la guerre s’achève un jour en Syrie, voudrait-il appartenir à l’équipe olympique syrienne ? Yahya se ferme et se refuse de répondre.
Omid Ahmadisafa est aussi de ceux-là. Visiblement peu à l’aise face au micro, il garde ses grandes lunettes noires de soleil sur son visage juvénile.
En Iran, son pays d’origine, il a été membre de l’équipe nationale de boxe et de kickboxing. Dans cette seconde discipline, il a remporté l’or aux championnats du monde. Il a fui l’Iran pour s’installer en Allemagne en 2022. En tant que boursier du CIO pour les athlètes réfugiés, le jeune homme s’entraîne maintenant à la boxe avec l’équipe nationale allemande.
« J’ai quitté mon pays pour espérer un meilleur futur et quitter tous les problèmes qu’il y a là-bas.
Faire partie de cette équipe de réfugiés, c’est montrer que l’on peut réaliser son rêve. » Un rêve qui sera guetté de près par sa famille restée en Iran, mais qui, grâce aux réseaux sociaux, suit le parcours et les exploits de Omid et se sent « tellement fière ».
« Moi, mes proches et mes supporters me suivent et m’encouragent énormément depuis le Congo-Brazzaville et ailleurs.
Ça m’encourage énormément et me donne envie de tout donner à Paris, encore mieux que lors de ma participation aux JO de Tokyo 2020 », se réjouit Dorian Keleta, 25 ans, coureur du 100 m. Le jeune homme a commencé à courir à l’âge de quinze ans. Il ne le raconte pas et son visage qui respire la joie de vivre ne le laisse pas entrevoir, mais après avoir perdu ses deux parents, il a été contraint de quitter sa ville natale à l’âge de dix-sept ans, pour arriver d’abord à Lisbonne et finalement s’installer à Paris.
Venue en France en 2018 pour des « raisons politiques », l’athlète éthiopienne (1 500 m) Farida Abaroge ne s’étalera pas non plus davantage sur sa « vie d’avant. »
« Je suis là juste pour parler du sport, s’il vous plaît. » Comme les autres membres de l’EOR, c’est donc pour le sport qu’elle est ici et ne dira pas un mot sur ses voyages dans de nombreux pays avant d’arriver en France où elle a demandé l’asile et est depuis devenue une réfugiée. Le seul souvenir de son passé que la jeune femme de 30 ans accepte d’évoquer est donc celui qui a trait à sa passion. « Depuis toute petite en Éthiopie, je fais du sport, j’ai commencé par le karaté, puis le football et la course à pied. »
Avouant qu’elle ressent un certain stress, Farida, tout sourire, explique comme ses compagnons que cette participation aux JO est un rêve réalisé, « et en plus je suis dans la même chambre qu’une autre éthiopienne, c’est super, on partage tout ». Sa compatriote étant Eyeru Gebru, coureuse cycliste qui a représenté son pays lors de grands championnats et qui, lors des championnats continentaux africains, a remporté une médaille d’argent dans la course sur route féminine en 2019 et des médailles d’or dans le contre-la-montre par équipe en 2018 et 2019.
Elle a fui l’Ethiopie en raison de la guerre civile dans le nord du pays en 2021.
Mélange de cultures, de langues, d’histoires, l’équipe olympique des réfugiés, 85 personnes au total, forme une réelle famille qui dégage une énergie folle, un sentiment palpable au simple fait de la côtoyer.
Une délégation soudée et extrêmement fière d’être présente à ces JO 2024. Avant de quitter la Normandie pour le village olympique parisien et que les choses « sérieuses » débutent, la délégation de l’équipe des réfugiés profite d’un dernier bol d’air sur l’immense plage d’Arromanches-les-Bains, à une dizaine de kilomètres de Bayeux.
Entre deux photos souvenir, un match de foot improvisé prend place et tous s’époumonent de rires sous les yeux curieux des estivants qui découvrent l’existence de cette équipe peu ordinaire qui espère pour la première fois de son histoire récolter des médailles à Paris. « Le rêve que j’ai toujours, c’est que cette équipe n’existe plus, qu’il n’y ait plus de réfugiés dans le monde. Que chacun puisse vivre en paix dans son pays », raconte la cheffe de mission Masomah Ali Zada.
Un rêve dont la réalisation n’interviendra sans doute pas avant plusieurs olympiades dont les prochains Jeux olympiques de Los Angeles de 2028.
rfi