Naufrage de Cutro : six militaires italiens soupçonnés d’homicides involontaires

Le parquet de Crotone, en Calabre, a annoncé mardi que six militaires italiens sont soupçonnés d’homicides involontaires à l’issue de l’enquête sur le naufrage d’une embarcation de migrants à Cutro en février 2023 dans lequel 94 migrants étaient morts. Les officiers sont accusés de ne pas avoir réagi assez vite pour porter secours aux exilés en détresse.

Le parquet de Crotone, dans le sud de l’Italie, a rendu ses conclusions dans l’enquête sur le naufrage de Cutro de février 2023. Quatre officiers italiens des douanes (GDF) et deux garde-côtes sont accusés de « naufrage involontaire et d’homicides involontaires », indique le parquet de la ville calabraise dans un communiqué mardi 23 juillet.

Le 26 février 2023 à l’aube, une embarcation provenant de Turquie avec environ 175 personnes à bord avait fait naufrage à quelques dizaines de mètres des côtes de Cutro, en Calabre, la région pauvre formant la pointe de la Botte italienne.

« Négligences évidentes dans l’application des règles imposées par les lois européennes et nationales »
Les autorités maritimes, et en particulier les garde-côtes, sont soupçonnés de n’avoir pas réagi assez vite aux informations faisant état de la présence d’un navire surchargé dans la zone et la justice a ouvert une enquête sur les circonstances de ce drame qui a entraîné la mort de 94 personnes, dont de nombreux enfants, ainsi qu’un nombre non précisé de disparus.

Le parquet précise avoir notifié « ces derniers jours » aux six personnes un « avis de conclusion de l’enquête » à leur égard, une étape précédant la demande de renvoi en justice.

Le parquet évoque « des négligences évidentes dans l’application des règles imposées par les lois européennes et nationales dans ce genre de situation ».

Les dépouilles des victimes du naufarge de Cutro dans un gymnase de la ville, le 28 février 2023. Crédit : Picture alliance

Les quatre officiers de la GDF sont soupçonnés d' »omission » dans leurs communications avec les garde-côtes car ils n’auraient pas mentionné les difficultés rencontrées par leurs embarcations en raison des mauvaises conditions météo et de mer, selon la même source.

Les deux officiers des garde-côtes sont soupçonnés de « ne pas avoir acquis les informations nécessaires pour avoir une idée précise » des activités de la GDF et d’avoir donc effectué « une évaluation erronée » de la situation de l’embarcation.

Le parquet rappelle par ailleurs que dans la soirée précédant le naufrage, un avion de Frontex, l’agence européenne chargée des frontières, avait signalé aux autorités italiennes la présence d’une embarcation navigant vers les côtes de la Calabre.

Des vagues de 1,25 à 2,5 mètres
Quelques heures après le drame, les autorités italiennes avaient été pointées du doigt dans cette affaire. Retour sur les faits. Dans la nuit du 25 février, quelques heures avant le naufrage, un avion de surveillance de Frontex repère le bateau. Il navigue « normalement » à une vitesse d’environ six nœuds par heure, au milieu d’une mer « agitée », secouée par des vagues de 1,25 et 2,5 mètres. Ces informations sont fournies aux autorités italiennes.

Elles en concluent à ce moment-là que la situation « n’est pas urgente », l’embarcation suivant « une trajectoire régulière ».

À cause de l’aggravation des conditions météorologiques, l’avion de Frontex fait demi-tour, et retourne à sa base. Les agents italiens présents à Varsovie – un membre de la Garde financière et un représentant des garde-côtes – décident tout de même d’envoyer deux navires de la Garde financière dans la zone.

Ils ne font pas savoir cependant au chef d’équipe que l’affaire présente une situation urgente, peut-on lire dans le communiqué du parquet.

Les débris du bateau qui a fait naufrage au large de Cutro, le 26 février 2023. Crédit : Reuters

En raison de la mer agitée, comme l’avion de Frontex, les navires des autorités doivent rebrousser chemin.

« Malgré les efforts déployés pour atteindre l’objectif, compte tenu des conditions météorologiques et maritimes difficiles et de l’impossibilité de continuer plus loin en toute sécurité », les bateaux italiens rentrent au port, expliquait un communiqué de la Garde financière, daté du 27 février 2023. Le dispositif de recherche au sol est alors activé, « le long de la côte ».

Quelques heures plus tard, durant la nuit, Frontex intercepte un appel satellite du bateau. L’agence européenne transmet le numéro aux autorités italiennes présentes à Varsovie.

« Navire complètement démembré »
Ensuite, plus rien. Aux premières heures du 26 février, le bateau coule et se disloque complètement après avoir heurté un banc de sable, dans une zone peu profonde. Les opérations de recherche et de sauvetage sont lancées par l’Italie. « Les patrouilles et les secours arrivés sur place n’ont pu que constater l’échouage du navire, désormais complètement démembré », relataient alors les autorités.

Alors que les corps des victimes s’échouaient sur la côte de Cutro au fil des jours suivants le naufrage, le rôle et les agissements des autorités italiennes dans le drame avaient rapidement été questionnées.

En juin, une enquête menée par Le Monde, Lighthouse Reports, El Pais, Sky News, Domani et Süddeutsche Zeitung avait révélé que les autorités italiennes n’avaient pas porté assistance au bateau surchargé. « Dès le 25 février, soit la veille du naufrage, Rome avait connaissance d’éléments qui auraient dû conduire au déclenchement des secours », écrivait le Monde dans son papier explicatif.

Après l’annonce du parquet mardi, le gouvernement italien a fait part de son soutien aux agents incriminés.

« Je défends avec conviction l’activité de la GDF et des capitaineries de port, convaincu qu’ils ont toujours agi exclusivement pour le bien public comme ils le font tous les jours avec les autres forces de police », a réagi sur Instagram le ministre de l’Economie Giancarlo Giorgetti, alors que la GDF dépend de son ministère.

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