Albanie : les centres prévus pour accueillir les migrants venus d’Italie en août sont toujours en travaux

L’Albanie devait accueillir dès ce jeudi les migrants secourus en Méditerranée par les garde-côtes italiens, selon un accord controversé signé entre Rome et Tirana en fin d’année dernière. Mais la construction du centre de Gadjer, dans le nord de l’Albanie, a pris du retard et aucune date n’est avancée pour son ouverture.

Il devait accueillir les premiers migrants secourus par les garde-côtes italiens le 1er août. Mais l’un des centres d’hébergement prévus à cet effet en Albanie est toujours en construction.

L’accord signé entre Rome et Tirana en novembre 2023 prévoit que les migrants, à l’exception des personnes vulnérables, secourus en mer par les autorités italiennes soient pris en charge sur le sol albanais dans deux structures.

La première, installée à Shëngjin (nord), est opérationnelle depuis un mois.

Sur le petit port de commerce, à quelques dizaines de mètres des plages et des magasins vendant bouées en plastique en forme de canards et chapeaux de paille, les préfabriqués ont été construits rapidement. La zone de 4 000 m2 est entourée d’une clôture métallique de cinq mètres de haut, surmontée de barbelés, selon l’agence de presse AP.

C’est là que les exilés seront directement envoyés après leur sauvetage dans les eaux italiennes.

Ils y déposeront leur demande d’asile, puis seront emmenés en bus à une vingtaine de kilomètres, à Gjader, où ils resteront en attendant le traitement de leur dossier.

« Les travaux se poursuivent à un rythme accéléré »
C’est la construction de ce deuxième centre qui a pris du retard. En début de semaine, l’AFP a constaté que seuls quelques préfabriqués étaient montés. Une poignée d’ouvriers en assemblaient d’autres sous un soleil écrasant et la surveillance de la police. « Les travaux se poursuivent à un rythme accéléré », assure Sander Marashi, directeur du port de Shëngjin, sans donner plus de précision sur la date d’ouverture.

Selon Fabrizio Bucci, ambassadeur d’Italie en Albanie interviewé par AP, le non-respect des délais s’explique par l’effondrement du sol du centre de Gjader, qui a nécessité une intervention pour le consolider.

De plus, la vague de chaleur de juillet a forcé les autorités à imposer des pauses aux ouvriers pendant les heures les plus chaudes de la journée.

Le centre d'accueil pour les migrants arrivant d'Italie, à Shëngjin, en Albanie, le 4 juin 2024. Crédit : Reuters

« Notre principale préoccupation est, et restera, la sécurité et la protection absolues des travailleurs sur le site et, à terme, des migrants qui seront hébergés à Gjader », a déclaré Fabrizio Bucci.

Dans ce centre, les migrants non éligibles à l’asile seront retenus dans des préfabriqués de 12m2, entourés de hauts murs et surveillés par la police, en vertu d’une mesure de rétention administrative décidée par le préfet de Rome. Un tribunal italien devra la confirmer dans un délai de 48 heures.

Selon les quelques informations distillées dans la presse italienne, une dizaine de magistrats siégeant à Rome prendront ces décisions en visio-conférence avec l’Albanie.

Les deux centres seront gérés par l’Italie sur le territoire d’un pays qui ne fait pas partie de l’Union européenne (UE), mais qui y aspire. Leur coût est estimé entre 650 et 750 millions d’euros sur cinq ans.

Jusqu’à 36 000 migrants pris en charge chaque année en Albanie
Les dépenses pour la construction des deux camps et des infrastructures nécessaires pour leur fonctionnement, la sécurité ainsi que la prise en charge médicale des demandeurs d’asile, seront couvertes à 100% par la partie italienne, selon Tirana.

Les autorités italiennes seront aussi chargées du maintien de l’ordre dans les centres, la police albanaise en étant responsable à l’extérieur et lors du « transport des migrants d’une zone à une autre ».

L’Albanie s’est engagée à prendre en charge jusqu’à 3 000 personnes à pleine capacité dans ces structures.

La Première ministre italienne d’extrême droite, Giorgia Meloni, à l’origine de cet accord avait indiqué en février que 36 000 migrants par an pourraient passer par les camps albanais, mais que la réalisation de cet objectif dépendait de la rapidité avec laquelle l’Italie pourrait traiter les demandes d’asile.

Ce partenariat entre l’Italie et l’Albanie a été vivement critiqué par l’opposition italienne et plusieurs ONG qui fustigent un traitement inhumain des migrants et dénoncent un accord « illégal » au regard du droit international.

Ces centres « ne devraient pas exister. Emmener des personnes dans des centres fermés en dehors du territoire de l’Union européenne met en péril le droit fondamental de demander l’asile, en détenant de fait des personnes qui essayent de trouver un refuge et une protection », a mis en garde Flaminia Delle Cese, de l’International Rescue Committee en Italie.

Les centres vus comme une chance en Albanie
Mais en Albanie, ces centres font le bonheur des habitants. De 7 000 habitants il y a quelques années, le village de Gjader s’est vidé. Il ne reste aujourd’hui que 2 000 personnes qui vivent de l’agriculture, d’un peu de commerce et de l’argent envoyé par l’importante diaspora albanaise. L’arrivée de ce camp est « une chance » pour le village, martèle Aleksander Preka, 65 ans, le chef du village.

Le Premier ministre albanais, Edi Rama, et la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, lors de la signature de l'accord entre les deux pays, le 6 novembre 2023. Crédit : Ansa

« Les ouvriers albanais et italiens achètent dans nos magasins, louent nos maisons », explique ce père de deux enfants dont l’aîné devrait conduire les bus chargés d’amener les migrants de Shëngjin à Gjader.

Dans le village, on s’échange les annonces des emplois créés par le centre : infirmières, femmes de ménage, psychologue… Les salaires proposés flirtent avec les 1 000 euros, le double du revenu minimum en Albanie.

L’ambassadeur d’Italie, en visite, a même promis de régler les problèmes d’approvisionnement en électricité dont souffre Gjader, explique fièrement le chef du village en empoignant sa vieille bicyclette rouge.

Alors personne ici n’a peur d’accueillir des migrants. « Depuis 1973 on a eu des Chinois, des Russes… je jure sur la tête de mes enfants que personne ici n’est raciste, ou contre l’arrivée de ces personnes », assure Aleksander Preka.

Les migrants, eux, auront peu de chance de croiser la population, enfermés derrière les hauts murs qui entoureront les préfabriqués une fois terminés.

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