Sajeeb Wazed Joy, conseiller du gouvernement de Sheikh Hasina et fils de l’ancienne Première ministre déchue du Bangladesh était l’invité de RFI. Suite à la répression sanglante des manifestations contre les quotas dans la fonction publique plusieurs centaines de personnes sont mortes et le gouvernement est tombé. Les violences commises durant les 15 années de pouvoir autoritaire émergent et la justice multiplie les procédures contre les membres de la Ligue Awami, le parti de Sheikh Hasina.
C’est dans ce contexte que Sajeeb Wazed, le fils de l’ancienne Première ministre a accepté de répondre aux questions de RFI.
RFI : Vous vous trouvez actuellement aux États-Unis. Votre parti, la Ligue Awami et ses militants sont particulièrement décriés depuis que le gouvernement a été renversé. Est-ce que dans l’état actuel des choses, vous envisagez un retour au Bangladesh ?
Sajeeb Wazed Joy : Pour l’instant ce n’est pas prévu. Dans le futur, je ne sais pas, je suis certain que je rentrerai à un moment, mais quand ? Je ne sais pas encore.
Votre mère, l’ancienne Première ministre Sheikh Hasina, est en Inde. Est-ce que cet exil est amené à durer ? Son départ du pays est-il prévu ?
Au moment où je vous parle, non, elle va rester en Inde quelque temps. Elle n’a pas préparé un départ pour un autre pays, elle n’a fait aucune démarche pour demander l’asile politique. Cette situation ne va pas durer plus d’un ou deux ans, quelques années au maximum. Nous avons déjà vécu ce genre de moment par le passé, donc on va attendre. Il n’y a aucune raison pour elle de demander l’asile ailleurs, nous considérons cette situation comme temporaire…
L’image de votre grand-père, Sheikh Mujibur Rahman, la grande figure de l’indépendance du pays s’est aussi considérablement dégradée. Unrassemblement de militants de votre parti la Ligue Awami, le jour de la date anniversaire de son assassinat la semaine dernière, n’a pas pu avoir lieu. Est-ce que votre organisation politique a un avenir au Bangladesh?
Évidemment, il n’y a aucun doute là-dessus. La Ligue Awami est le plus vieux parti, le plus grand parti du pays. Malgré toutes les critiques que l’on peut faire à l’égard de ma mère, une chose que tout le monde reconnaît est que ses quinze années au pouvoir ont été les meilleures économiquement dans toute l’histoire du Bangladesh. C’était aussi la période la plus stable, et la plus sûre, je pense que ce n’est qu’une question de temps avant que les gens ne regrettent ce moment.
À vous écouter, il est difficile de comprendre comment vous avez pu perdre le pouvoir. Quelles erreurs avez-vous commises pour créer autant d’hostilité contre votre parti, votre famille ? Que s’est-il passé ?
Eh bien vous savez, je pense que des erreurs ont été commises, notamment ces dernières années, c’est certain. J’ai essayé d’en corriger certaines, mais pas toutes. En quinze ans, beaucoup de personnes au gouvernement ont fait de nombreuses erreurs, mais dans l’ensemble, nous avons essayé de les corriger. Les manifestations contre les quotas dans la fonction publique ont malheureusement dégénéré très rapidement. J’avais recommandé d’abandonner ces quotas, mais quand cette ligne a été suivie, c’était déjà trop tard.
Racontez-nous justement à quel moment vous avez compris que le pouvoir était perdu. Comment se sont passés les derniers moments de votre mère, Sheikh Hasina à la tête du Bangladesh ?
Ma mère ne voulait pas de violences ni de pertes de vie humaines, nous avons été choqués par cela. Elle avait ordonné à la police et à l’armée après les premiers affrontements de se retirer complètement. On a eu une discussion de famille à ce sujet, elle nous a dit : « je ne veux pas le sang des manifestants sur mes mains.
Si la violence s’intensifie, il y aura plus de morts. Je préfère démissionner, rendre le pouvoir pour une transition ordonnée et constitutionnelle« . Elle avait écrit la déclaration et allait l’enregistrer et se filmer dans un message vidéo pour le pays, mais à ce moment-là les manifestants se dirigeaient vers la résidence de la Première ministre et nos forces spéciales de sécurité lui ont dit : « Madame, nous n’avons pas le temps pour ça… Nous devons vous emmener dans un endroit sûr maintenant. »
Vous dites que votre mère ne voulait pas de violence, mais j’ai visité un hôpital à Dacca avec des dizaines d’étudiants blessés par balles. Il y a eu plus de 450 morts, la plupart des manifestants. Comment est-ce que des policiers ont pu faire usage d’armes à feu sans l’accord de leurs supérieurs, notamment de la Première ministre, votre mère ?
Quand les violences ont éclaté, certains policiers ont fait un usage excessif de la force. Et durant les manifestations, notre gouvernement a suspendu de nombreux policiers. Ils n’ont pas reçu l’ordre d’utiliser la force, même si cela a pu arriver. Chaque unité en réfère à un responsable administratif qui est le seul à pouvoir autoriser l’usage de la force, et dans certaines situations lorsque c’était nécessaire cela a pu être autorisé. Mais vous devez aussi comprendre que de nombreux policiers sont morts, leur syndicat a lui-même annoncé que 44 officiers avaient été tués.
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Votre mère Sheikh Hasina est tout de même accusée dans au moins seize affaires par la justice de votre pays. Les chefs d’accusations sont nombreux et graves : meurtre de masse, crime contre l’humanité…. Comment réagissez-vous à cette accumulation d’affaires, et si vous êtes appelés à témoigner, est-ce-que vous accepterez de vous rendre devant les juges ?
Je n’ai aucun témoignage à apporter, car je ne suis pas impliqué dans les décisions de sécurité, je n’ai pas de contact avec nos forces de sécurité. Particulièrement ces dernières années, je n’ai eu aucune interaction avec elles.
Donc, je n’ai pas d’information à transmettre. Ce qui se passe en ce moment est assez ridicule. Le gouvernement parle de réforme, mais en utilisant ce prétexte, ce qu’il fait est bien pire. Il est en train de fabriquer toutes ces affaires ridicules…. C’est facile de porter des accusations, c’est du harcèlement. Mais c’est autre chose de fournir les preuves devant un juge. Et ma mère n’a jamais donné l’ordre d’être violent contre les manifestants.
À vous écouter, on dirait que le gouvernement que vous conseillez a perdu le contrôle de la police.
Je ne dirais pas qu’il a perdu le contrôle de la police mais je pense que ce qu’il s’est passé, c’est que quand la violence dégénère, c’est une situation qui évolue de façon très rapide, très fluide et certaines personnes n’ont peut-être pas été capables de la contrôler. Et bien sûr, lorsque la police est attaquée elle va répondre, c’est la triste réalité…
Sur le sujet des violences justement. J’ai pu rencontrer au Bangladesh une personne qui a été incarcérée dans une prison secrète pendant huit ans, sans lumière, sans contact, kidnappée devant sa famille. Human Rights Watch parle de 600 disparitions forcées, sans aucun jugement. Quelle est votre réaction à ces informations ?
J’entends cela pour la première fois. Personnellement, je conseille sur les technologies de l’information, je ne gère pas l’appareil sécuritaire et je pense que ces actes ont été commis par des personnes au sein de la chaîne de commandement dans les services de maintien de l’ordre et de l’appareil de sécurité nationale. Je ne soutiens pas cela du tout, je ne l’ai jamais fait. Je suis opposé à tout meurtre extrajudiciaire, ou arrestation arbitraire, tout le monde doit être jugé dans le respect de la loi, devant un tribunal et recevoir une peine légale…
RFI