Une enquête des autorités britanniques révèle que le bateau sur lequel au moins huit personnes ont péri dans la Manche en décembre 2022 était « totalement inadapté » et illustre une tendance dans les traversées de la Manche : l’utilisation d’embarcations vétustes.
Selon un rapport du département d’enquête anglais sur les accidents marins (MAIB), l’embarcation qui a fait naufrage dans la Manche en décembre 2022 faisant 8 morts était encore plus « totalement inadapté » pour une traversée que les autres navires déjà dangereux.
Le canot pneumatique, qui transportait 47 personnes, « était mal construit par rapport aux nombreux autres qui avaient été récupérés et inspectés au cours des années précédentes », indique l’étude publiée le 15 août.
Et d’ajouter : « Il a été signalé qu’il y avait des traces de colle compatibles avec la présence de poignées qui s’étaient détachées du tube, et que le panneau de plancher en tissu, dont un côté était légèrement texturé pour améliorer l’adhérence, était monté à l’envers ».
Le 14 décembre 2022, vers 3 heures du matin, une « défaillance structurelle s’est produite et de nombreux migrants sont entrés dans l’eau », a déclaré la MAIB. Selon le rapport, une déchirure à la base du bateau a entraîné la rupture du revêtement de sol en tissu, ce qui a entrainé l’effondrement de la structure du bateau et le naufrage des migrants dans l’eau glacée.
Des embarcations de mauvaise qualité
Cette enquête illustre une tendance relatée par de nombreux témoignages à InfoMigrants : les canots fournis par les passeurs sont de piètre qualité et ne sont pas adaptés à de telles traversées. Selon des images prises par InfoMigrants quelques mois après le naufrage et les photos partagés par le MAIB, l’utilisation de ce genre de canots similaires à celui utilisé pour cette traversée meurtrière est régulière.
« Ce sont des pneumatiques de très mauvaise qualité, fabriqués en Chine. On dirait qu’ils sont faits en toile de bâche, c’est improbable.
Je n’en voudrais pas pour traverser la Seine. Ils sont composés de boudins gonflés d’air, d’un plancher mal assemblé, et d’un tableau arrière sur lequel est fixé un moteur. Ce sont généralement des mauvaises copies chinoises de moteurs de grandes marques. Ils tombent en panne très rapidement », racontait à InfoMigrants Alain Ledaguenel, président de la station de Dunkerque de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM).
Ce genre d’embarcation de fortune n’est pas du tout adapté à la traversée de la Manche car c’est un endroit où les courants et les vents peuvent être très forts.
« On pourrait penser que franchir les 29 km qui séparent la France de l’Angleterre est facile mais c’est un parcours semé de pièges », expliquait à InfoMigrants Bernard Barron, du SNSM de Calais.
De plus, ce petit bras de mer est une autoroute du trafic maritime. Près de 600 cargos traversent la Manche chaque jour et la plupart d’entre eux sont de colossaux navires comme des porte-containers. « C’est de la folie de s’y aventurer dans de petits canots, complétait M. Barron, surtout en pleine nuit ».
« De l’eau entre dans le bateau »
Le 14 décembre 2022, c’est aux alentours de 2h du matin que l’association Utopia 56 a été alertée par un migrant en mer. Un bénévole de l’association caritative française a reçu une localisation GPS et un message vocal WhatsApp qui disait : « Bonjour mon frère, nous sommes dans un bateau et nous avons un problème, aidez-nous s’il vous plaît. Nous avons des enfants et de la famille dans un bateau et de l’eau entre dans le bateau et nous n’avons rien pour la sécurité des enfants. Aidez-nous s’il vous plaît mon frère.
S’il vous plaît, s’il vous plaît, s’il vous plaît, nous sommes dans l’eau. Il y a une famille ».
L’association alerte dans la foulée la préfecture maritime par téléphone, puis les secours français et britanniques par e-mail avec la position du canot. Un navire de pêche qui naviguait dans le même secteur s’approche de l’embarcation et tente alors de porter secours à la majorité des exilés, avec difficulté. À 4h21, plus d’une heure plus tard, les garde-côtes britanniques envoient un message « Mayday » pour signaler qu’une embarcation est en train de couler dans la Manche, avec des naufragés à la mer.
Se lance ensuite une opération de sauvetage.
Une plainte pour « omission de porter secours » et « homicide involontaire » a été déposée par Utopia 56 le 2 février dernier. L’association accuse les autorités d’avoir tardé à porter secours aux migrants.
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