Le 8 janvier, vers 19h, enveloppée dans un peignoir blanc, Francesca sort de la sublime villa dans laquelle elle réside sur les hauteurs de Portofino et lance à son amant, le Mexicain Tirso Rosario Roncado, à sa meilleure amie, Suzanna, et à un femme de maison : « Je vais prendre un bain. » Etant donné la saison, et surtout la hauteur de la propriété qui surplombe de plus d’une centaine de mètres la Méditerranée, il ne s’agit sûrement pas d’un bain de mer.
C’est pourtant là qu’elle va se retrouver…
Or à la grande surprise des légistes français qui l’examineront quinze jours plus tard, ses poumons ne contiennent pas d’eau. Elle n’est donc pas morte noyée. Pour les médecins français, elle a succombé à plusieurs fractures du crâne. Qu’est-ce qui l’a donc tué ? S’agit-il d’un accident, d’un suicide, d’un meurtre ? Le mystère est aussi épais que celui qui entoure la surprenante demeure dans laquelle elle habitait…
On l’appelle aujourd’hui la villa Altachiara mais elle a longtemps porté le nom du Comte Anglais qui l’a faite bâtir en 1874 : Carnavanon. Cet homme politique britannique, Henry Herbert de son vrai nom, était le chef du parti conservateur. Il voyait les choses en grand. Avec ses 30 pièces, sa vue à 360 degrés sur la mer, la bâtisse de style victorien -à l’image de la fameuse maison bleue de Maxime Le Forestier- qu’il fit construire, tel un énorme bloc de pierres blanches posé au-dessus de l’azur, attirait les regards. Mais de vieilles histoires couraient, qui disaient qu’elle attirait aussi les malheurs…
En édifiant ce petit palais entre ciel et mer loin de l’Angleterre, dans cette Ligurie baignée de soleil, le Comte pensait à son fils, George, un jeune homme à la santé fragile mais un égyptologue de renom. Il a notamment financé et participé à l’expédition qui a découvert la tombe de Toutânkhamon. Mais quelques semaines après sa fabuleuse trouvaille, Lord Carnavanon fils meurt, victime d’une infection après s’être taillé avec son rasoir sur une vilaine piqûre de moustique.
C’est le premier d’une série de 26 décès de personnes ayant toutes, de près ou de loin, un rapport avec les fouilles archéologiques en Egypte à cette époque : c’est la malédiction de Toutankhamon ! Est-ce elle qui frappera le neveu de George, héritier de la villa, qui trouvera la mort dans le jardin en chutant dans les escaliers ? Elle qui scellera le destin de la comtesse Agusta ?
Francesca Vacca Graffagni est née à Gênes en 1942.
Jolie femme issue d’une famille bourgeoise, elle devient mannequin à 20 ans et subjugue par sa beauté et son caractère désinvolte le comte -encore un- Corrado Agusta, un riche entrepreneur à la tête de la principale entreprise mondiale de construction d’hélicoptères militaires. « Ce fut une nuit de foire. Il était très beau et avait les yeux de la même couleur que celle peinte sur ses joyaux, les hélicos A 109« , racontera la comtesse après leur rencontre.
Auprès de cet homme de 20 ans son aîné, et après la dolce vita de ses premières années la jeune femme s’apprête à mener… la grande vie !
Interrogé par Paris Match qui a mené l’enquête sur place il y a quelques semaines, Vittorio Sgarbi, historien de l’art et ex-secrétaire d’État à la Culture se remémore cette époque : « Il y avait une ambiance exaltante. C’était champagne, caviar et drogue. Francesca vivait dans une autre dimension, irréelle, décadente, mais elle était une personnalité intéressante, excentrique, théâtrale. » Son mari est-il choqué par les débordements de sa femme ? Le tout est qu’en 1984, Corrado Agusta la quitte, mais ne demande pas le divorce.
Cinq ans plus tard, à sa mort, la veuve qui n’a pas encore 50 ans hérite de sa fortune, estimée à plus de 300 millions d’euros… et de sa maison.
À la fin des années 80, la demeure est devenue le refuge d’un grand ami de la Comtesse, Bettino Craxi qui n’est autre que le président socialiste du Conseil Italien, l’équivalent de notre Premier ministre. Un homme politique puissant auquel ne va pas tarder à s’intéresser la justice italienne dans le cadre de sa célèbre opération Mani Pulite (Mains propres).
Dans ces mêmes années, Francesca a retrouvé l’amour. Le nouvel élu de son coeur s’appelle Maurizio Raggio.
Son prestige est moindre : il tient un bar américain sur le port de Portofino. Mais cet ancien playboy connaît du monde. Lorsque l’étau judiciaire se resserre sur Bettino Craxi, c’est à Raggio que l’homme politique va confier la délicate mission de garder et cacher les fonds indûment gagnés du parti : près de 16 millions d’euros.
Ignorant ou feignant d’ignorer les manigances de ces hommes sans scrupules, la comtesse va se retrouver dans le viseur des autorités.
Séparée de Maurizio Raggio, elle est tombée amoureuse de Tirso Chazaro dit « Tito » son garde du corps mexicain qui la suit en Italie. Elle s’éprend ensuite de Susanna Torretta, une vendeuse qui s’installe aussi avec eux. Un témoin, cité par Paris Match raconte qu’à cette époque « Francesca prenait beaucoup de drogue, et son entourage savait se rendre indispensable en la fournissant« .
Lorsqu’elle quitte la maison, en cette soirée du 8 janvier 2001, elle est ivre et droguée, raconteront Tito et Susanna aux enquêteurs. Est-elle tombée dans le vide après avoir glissé sur des feuilles mortes comme le pense Maurizio Raggio, qui héritera d’une grande partie de la fortune de la défunte ? C’est l’hypothèse que retiendront les enquêteurs. Pourtant, d’innombrables questions demeurent.
Quant à la maison, nous apprend Paris Match, un oligarque russe proche de Poutine en avait fait l’acquisition il y a quelques années avant d’y réaliser de gigantesques travaux. Mais la guerre en Ukraine a changé la donne. Il a dû partir. Désormais, le bien a été saisi et les autorités en interdisent formellement l’entrée. Comme pour en préserver le mystère.
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