Peu nombreux mais en hausse, ces migrants qui passent du Royaume-Uni en France

À contre-courant des dizaines de milliers de migrants qui traversent chaque année la Manche en direction du Royaume-Uni, près d’une centaine d’autres ont été interpellés en France depuis janvier après avoir fait le chemin inverse. Certains utilisent la Grande-Bretagne comme « porte dérobée » pour entrer en France, tandis que d’autres en reviennent déçus par les conditions d’accueil. Bien que marginal, ce phénomène migratoire est surveillé par les autorités françaises.

C’est un phénomène marginal et peu étudié, mais qui est surveillé par les autorités françaises. À contre-courant des dizaines de milliers de migrants qui traversent la Manche chaque année en direction du Royaume-Uni, d’autres font le chemin inverse. C’est ce que les services français appellent les « flux inversés ».

En 2024, 93 migrants ont ainsi été interpellés alors qu’ils étaient passés clandestinement du Royaume-Uni vers la France, selon les données transmises par la préfecture des Hauts-de-France.

Un chiffre marginal, mais en augmentation. « On en comptait moins de cinq les années précédentes », constate auprès d’InfoMigrants Louis-Xavier Thirode, préfet délégué à la sécurité et à la défense dans les Hauts-de-France. Ce qui explique « la vigilance des services français à l’égard des entrées clandestines sur le territoire français depuis la Grande Bretagne ».

Des Nord-africains qui utilisent le Royaume-Uni comme « porte dérobée »
Parmi ces flux inversés, on distingue deux types de populations. Les premiers sont des migrants qui visent la France comme destination finale. Ils « sont interpellés, souvent dans les transports en commun qu’ils ont pris, dans le train ou le ferry. Ils sont détectés à la frontière française par la douane ou la police, plus qu’au Royaume-Uni. Généralement, ils sont en situation irrégulière, donc se voient notifier une OQTF et sont placés en centre de rétention administrative, ou ils bénéficient de mesures de retour.

Quelques-uns demandent aussi l’asile », explique le préfet.

On parle notamment « de Pakistanais et Marocains, qui n’ont jamais mis le pied sur le territoire français et qui arrivent en Europe grâce à la délivrance de visas par la Grande-Bretagne », expliquait début août à InfoMigrants la commissaire Mathilde Potel, chef d’État major zonal en charge de la lutte contre l’immigration clandestine.

Plusieurs fait divers relayés par la presse britannique valident cette thèse.

En août 2023, environ 22 migrants nord-africains – dont des Algériens, des Marocains et des Tunisiens – ont été arrêtés par la police à Douvres alors qu’ils tentaient d’utiliser un camion pour entrer clandestinement en France. Ce nouveau moyen présente un double avantage pour les migrants. D’une part, ils s’évitent une traversée périlleuse de la Méditerranée centrale et raccourcissent fortement leur route migratoire.

D’autre part, ils arrivent légalement au Royaume-Uni et ne sont donc pas forcément expulsables en cas d’interpellation à la frontière française.

« Nous devons déterminer ce qu’il convient de faire, car ils disposent d’une autorisation d’entrée au Royaume-Uni en bonne et due forme. Il est possible qu’ils soient en situation irrégulière parce qu’ils sont venus ici sous de faux prétextes », expliquait ainsi une source policière britannique au Daily Telegraph.

Près de 40 000 visas de tourisme ont été délivrés par le Royaume-Uni à des Marocains et Algériens lors de l’année 2023.

« Il faut tout un travail diplomatique pour comprendre comment ces gens arrivent, et on est très vigilant face à ce phénomène qui est plutôt inhabituel », affirme la commissaire Mathilde Potel.

Plus récemment, deux hommes, dont un citoyen marocain, ont été condamnés à des peines de 5 et 6 ans de prison ferme pour avoir fait passer dans un camion réfrigéré 39 migrants d’origine algérienne et marocaine vers la France, depuis le Royaume-Uni.

Les déçus du Royaume-Uni
L’autre population des « flux inversés » est constituée des déçus du Royaume-Uni. La plupart ont vu leur demande d’asile rejetée et se sont retrouvés, une fois de plus, en situation illégale et donc à la merci d’une expulsion.

En mai dernier, à Dunkerque, un journaliste britannique de la chaîne télévisée Skynews a notamment rencontré Omar, un kurde de 52 ans qui avait dépensé 14 000 euros pour aller du Kurdistan au Royaume-Uni, avant de payer un passeur 600 livres supplémentaires pour rentrer en France, faute de perspective de régularisation.

« On m’a dit que ma demande d’asile avait été rejetée. Je ne pouvais plus supporter la Grande-Bretagne (…)

Ils auraient pu m’arrêter et m’envoyer au Rwanda ou en Irak (…) C’est un sentiment terrible d’être de retour ici, mais que puis-je faire ? », témoigne-t-il sur Sky news.

2 000 euros le passage retour en camion
Pour d’autres, comme Mohammed Boumatta, c’est le manque d’argent et les conditions de vie difficiles qui ont signé la fin du rêve britannique. En mars, le Daily mail a rencontré ce jeune Marocain alors qu’il errait sur les plages de Douvres (sud de l’Angleterre), désespérément en quête d’un camion pour franchir la Manche en sens inverse.

D’après le tabloïd britannique, les passeurs demandent autour de 2 000 euros pour ce passage retour.

« J’ai failli mourir la nuit dernière, témoigne-t-il. J’étais sur un camion qui ne s’est pas arrêté pendant huit heures. Je m’accrochais. Le sol n’était qu’à quelques centimètres de ma joue. Le bruit était terrible ». Malheureusement pour lui, il s’est avéré que le camion n’allait pas vers le terminal de ferry mais à l’aéroport. Dans un reportage pour Arte, le journaliste français Julien Goudichaud, a lui aussi rencontré plusieurs migrants sur le sol britannique désireux de retourner en France.

Côté français en revanche, les associations de terrain interrogées n’ont pas croisé de tels profils lors des maraudes : « Je pense que ces personnes connaissent déjà Calais, les services proposés, et ne nous recontactent pas. Et je suppose qu’elles ne restent pas à Calais après avoir traversé » en sens inverse, présume Axel Gaudinat, coordinateur d’Utopia 56 à Calais.

Le projet d’expulsions des demandeurs d’asile au Rwanda a-t-il fait peur à certains ?

« Les chiffres [de traversées en small boats] montrent que ça n’a pas eu beaucoup d’impact sur leur motivation à venir, pour la principale raison qu’ils n’avaient que très peu de détails sur la mise en application de cette loi, qui a finalement été abandonnée », explique à InfoMigrants Peter Walsch, maître de conférences en études sur les migrations à l’Université d’Oxford.

Une chose est sûre, le Royaume-Uni tente depuis maintenant dix ans de décourager l’immigration clandestine.

Lorsqu’elle était ministre de l’Intérieur en 2012, Theresa May avait même lancé le programme « environnement hostile », qui visait à « rendre plus difficile la présence d’immigrants illégaux au Royaume Uni », en restreigant l’accès aux services de santé, au marché immobilier ou encore l’ouverture d’un compte en banque. Mais là encore, difficile d’évaluer si cette stratégie a été efficace.

reuters

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