PIONNIER. C’est grâce à Kipchoge Keino et aux athlètes de sa génération que l’Afrique a trouvé sa (bonne) place sur la scène sportive internationale. Chapeau bas !
Considéré comme l’inspirateur des milliers de Kényans qui se sont mis, à partir de 1968, à pratiquer les courses de demi-fond, Kipchoge Keino est vu par beaucoup comme l’un des plus grands coureurs africains de tous les temps. Par ses performances à un moment où les installations sportives en Afrique étaient quasi inexistantes, mais aussi par ce qu’il a fait de l’expérience qu’il a acquise dans les différents stades du monde en tant qu’athlète représentant son pays. Né à Kipsamo, dans le comté de Nandi ,en 1940, Kipchoge Keino, surnommé Kip Keino, est issu de la tribu des Kalenjins, connue pour être à l’origine nomade et guerrière, un peuple originaire d’une région des hauts plateaux sur la côte ouest de la vallée du Grand Rift. Aujourd’hui, cette région est considérée comme la principale pourvoyeuse d’athlètes pour la sélection kényane, bien que ses habitants ne représentent que 5 %, en compagnie des Kisiis et les Kipsigis, de la population de ce pays aujourd’hui présidé par Uhuru Kenyatta.
Les premières années difficiles loin du sport
Ayant grandi dans un environnement rural, il perd sa mère très tôt. Il sera le seul d’une fratrie de cinq enfants à atteindre l’adolescence. Éduqué par ses grands-parents, comme le veut la tradition lorsque le père est veuf, avant de rejoindre son oncle à l’âge de 10 ans pour surveiller seul le troupeau de chèvres, Kipchoge Keino connaît une jeunesse classique pour un jeune Kényan, entre loisirs et corvées pour la ferme familiale. Vivant dans une brousse dangereuse et régulièrement battu par son oncle, il s’enfuit et parcourt près de 30 kilomètres pour rejoindre son père et le supplier de l’envoyer à l’école. Ayant finalement acquis les moyens de prendre en charge les frais de scolarité et de lui acheter l’uniforme, celui-ci finit par l’inscrire à l’école. Keino, âgé de 12 ans, rejoint donc la Kaptumo Intermediaire School, un établissement qu’il quitte quatre ans plus tard faute de moyens.
Les années d’école et d’ouverture à l’athlétisme
Entre-temps, il a le temps de développer son goût pour l’athlétisme et de s’y épanouir. Le voilà qui participe à des courses de cross-country mais aussi à des courses de vitesse avec des élèves plus âgés. Désormais devant faire face aux difficultés de la vie, il devient un Nandi à la suite d’un rite initiatique et va travailler dans une ferme. Toutefois, encouragé par son père, une piste lui sera aménagée afin de lui permettre de s’entraîner et, dès l’âge de 16 ans, de se confronter à des séniors dans des courses de district. Devant parcourir près de 4 miles pieds nus pour rejoindre son école, et ce, dès l’âge de 12 ans, lors de débuts scolaires, on peut dire que Kip Keino était conditionné pour devenir un athlète de haut niveau. À l’âge de 12 ans déjà, il s’est retrouvé dans des situations où son agilité et sa vitesse lui ont sauvé la vie en pleine brousse.
Le tremplin de la police kényane
Adolescent, Kip est embauché par la police kényane, au sein de laquelle la préparation militaire et le programme sportif rigoureux lui permettent de gagner de l’argent tout en continuant sa progression. Durant cette période (on est à la fin des années 1950), il doit participer à des patrouilles dans la période tendue qui précède l’indépendance. C’est ainsi qu’il va se retrouver dans la garde rapprochée du futur président du pays, Jomo Kenyatta.
Repéré par ses supérieurs, il devient leur champion sur les courses de 1 mile (1,6 km) et de 3 miles (4,83 km) en 1958. Il a 18 ans et est affecté à l’école de la police de Kiganjo pour être dans les meilleures dispositions d’entraînement et de préparations, ce qui va lui permettre de se confronter et de battre le meilleur coureur de l’époque, Arere Adentai, sur 3 miles et 3 000 m steeple, dont il abandonnera la pratique à la suite d’une chute lors d’une compétition suivante, sous les yeux de son père.
La confirmation dans les premières compétitions internationales
Cela dit, il commence à triompher lors des championnats est-africains, où il bat le record du Kenya du 3 miles et s’affirme comme le meilleur coureur de son pays. Cela lui permet d’envisager définitivement une carrière de coureur et de représenter son pays sur la scène internationale, en commençant par les Jeux du Commonwealth de 1962 à Perth (Australie), où il finit 11e de La course de 3 miles.
Il participe ensuite aux Jeux de Tokyo de 1964, où il est éliminé en demi-finale du 1 500 m et termine 5e de l’épreuve du 5 000 m. Ces Jeux vont marquer le début d’une folle ascension pour Keino, qui, à 24 ans, arrive à maturité et entame un cycle victorieux.
En effet, dès 1965, Keino bat le record du monde du 3 000 m en 7’39 »6 avec une amélioration de 6 secondes, puis celui du 5 000 m 13’24 »20. Il plane sur la première édition des Jeux africains, l’or sur 1 500 m et 5 000 m, puis réalise à nouveau un doublé lors des Jeux du Commonwealth sur le 1 mile et le 3 miles.
L’explosion vers les grands Jeux, olympiques et du Commonwealth
Ces années et l’accumulation de compétitions constituent la préparation optimale pour les Jeux de Mexico en 1968. Il y participe avec un nouveau statut à défendre et de nouvelles attentes autour de lui. Confronté à l’Américain Jim Ryun, recordman du monde du 1 500 m, il remporte sa première médaille d’or olympique, la deuxième de l’histoire du Kenya après le succès de Naftali Temu sur 10 000 m quelques jours auparavant. Opposé à celui-ci sur 5 000 m, il termine devant lui, mais derrière le Tunisien Mohammed Gammoudi.
Après les Jeux de Mexico, Keino prend du recul avec la compétition et songe même à arrêter sa carrière, avant de revenir sur sa décision et de reprendre la compétition en 1969 en vue des Jeux du Commonwealth de 1970. Il y récolte l’or sur 1 500 m et le bronze sur 5 000 m.
Sa saison 1971 marque la première édition du match Afrique-États-Unis, où les deux équipes s’affrontent sur les disciplines d’athlétisme. Keino est le capitaine de la Team Afrique et remporte son duel sur 1 500 m.
Keino pose son statut de pionnier de l’athlétisme kényan
Arrivent les Jeux olympiques de 1972. En raison d’un programme mal aménagé au cours duquel les finales du 1 500 m et du 5 000 m se tiennent avec 25 minutes d’intervalle, Kip Keino est contraint de faire un choix et de se positionner uniquement sur le 1 500 m, où il a un titre un défendre. Mais, pour compenser le tout, il décide de se lancer sur le 3 000 m steeple, qu’il n’avait plus pratiqué depuis des années, et ce, à très peu de reprises, « malgré une piètre technique », selon son propre jugement. Paradoxalement, il perd son titre de champion olympique du 1 500 m au terme d’un mémorable duel avec le Finlandais Pekka Vasala et réalise un véritable exploit en s’imposant sur le 3 000 m steeple avec à la clé le record olympique.
Kipchoge Keino sur les traces de Bronislaw Malinowski lors de la finale du 3.000 m steeple des JO de Munich en 1972. Il deviendra chamion olympique. © – / AFP
Cette victoire reste emblématique pour lancer le début d’une domination sans partage du Kenya sur la discipline avec la médaille d’or remportée à toutes les participations de 1972 à 2021, le Marocain El-Bakkali ayant mis fin à cette fantastique série seulement interrompue en 1976 et en 1980 du fait du boycott par le Kenya des JO de Montréal puis de Moscou.
Keino, l’athlète engagé et respecté du CIO
Après avoir raccroché les pointes, Keino s’investit dans des causes lui tenant à c?ur avec la création d’un orphelinat, The Kip Keino Children’s Home, accueillant 90 enfants démunis, et la « Kip Keino School » en 2000, école d’une capacité de 300 enfants âgés de 6 à 13 ans afin de rendre à son pays ce qu’il lui a donné et d’éviter à des enfants de vivre ce qu’il a vécu tout petit.
Resté dans le monde de l’athlétisme, il joue le rôle d’entraîneur de l’équipe nationale du Kenya dans les années 1970 et 1980. Il intègre plus tard le CIO, en tant que membre de 2000 à 2010, puis en tant que membre honoraire, avant d’être introduit en tant que membre inaugural au Hall of Fame de l’IAAF, en 2012. Véritable icône de l’athlétisme africain, Keino a ouvert la voie à de nombreuses générations d’athlètes kényans. Surtout, il a été de ceux qui ont contribué à donner de l’athlétisme africain une autre image sur la scène internationale. Respect, Kip !
Source: lepoint
2 Commentaires