Quatre jours après son arrestation au Kenya et son extradition dans des circonstances controversées, l’opposant historique ougandais Kizza Besigye a comparu devant une cour martiale de Kampala, ce mercredi 20 novembre, qui lui a signifié les charges retenues contre lui. Celui-ci est notamment accusé d’atteinte à la sécurité nationale et d’activités subversives à l’étranger visant à déstabiliser l’Ouganda. Le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme a réclamé jeudi sa libération et demandé une enquête « sur les circonstances de son enlèvement ».
« De tels enlèvements de dirigeants et de partisans de l’opposition ougandaise doivent cesser, tout comme la pratique très préoccupante en Ouganda consistant à poursuivre des civils devant des tribunaux militaires », a dit Volker Türk.
Porté disparu depuis son arrestation quatre jours plus tôt au Kenya, l’opposant historique ougandais Kizza Besigye est réapparu ce mercredi 20 novembre devant la cour martiale de Kampala, la capitale de l’Ouganda, pour une audience au cours de laquelle il a appris les chefs d’accusation retenus contre lui. Ils sont au nombre de quatre, tous en lien avec des questions relevant de la sécurité nationale.
Celui-ci est notamment poursuivi pour avoir participé à des réunions à Genève, Athènes et Nairobi où il aurait tenté de mobiliser un soutien logistique pour déstabiliser l’Ouganda.
Une accusation à laquelle s’ajoute également la possession illégale d’armes à feu, ce que l’un de ses proches arrêté en sa compagnie, Hajj Lutale Kamulegeya, se voit aussi reprocher. Lors de leur interpellation, samedi 16 novembre, dans un appartement de la capitale kenyane où les deux hommes s’étaient rendus pour assister au lancement d’un livre de la politicienne Martha Karua, les agents de sécurité ougandais qui les ont arrêtés auraient découvert sur place deux pistolets et des munitions, selon l’accusation.
Kizza Besigye, lui, rejette ces allégations qu’il qualifie de « fabriquées de toutes pièces » et a plaidé non coupable lors de sa comparution, audience au cours de laquelle il a aussi contesté la compétence d’une cour martiale pour le juger. Après avoir rappelé qu’il n’était plus dans l’armée, il a estimé qu’il devait être jugé par un tribunal civil.
Nouvelle comparution le 2 décembre
Sa défense, quant à elle, estime qu’une cour martiale ougandaise n’est pas compétente pour juger des faits qui auraient été commis en dehors de l’Ouganda et dénonce la « complicité » du gouvernement kenyan dans « la persécution de l’opposition ougandaise ».
« Cette cour n’a aucune juridiction pour se prononcer sur des faits supposément commis en dehors des frontières ougandaises.
Elle est uniquement habilitée à juger des infractions perpétrées sur le territoire national », a ainsi déclaré son avocat, Me Erias Lukwago, qui juge par ailleurs illégale son extradition par le Kenya. Kizza Besigye et Hajj Lutale Kamulegeya « ne sont ni des fugitifs pouvant être extradés, ni des criminels pouvant être expulsés. Les forces ougandaises ont traversé la frontière pour mener des actes illégaux d’enlèvement et de kidnapping, avec la pleine complicité du gouvernement kenyan. Et malgré cela, toute l’Afrique de l’Est reste silencieuse et ne condamne pas ces actions.
Cela me préoccupe profondément », a-t-il enchaîné.
Les autorités ougandaises affirment pour leur part qu’il n’y a eu ni enlèvement, ni extradition et que toute l’opération a été menée en coordination avec le gouvernement kenyan, rapporte la presse locale. Quoi qu’il en soit, Kizza Besigye a été placé en détention provisoire jusqu’au 2 décembre, date à laquelle il comparaîtra à nouveau devant le tribunal.
Indignation au Kenya
Au Kenya, de nombreuses voix s’élèvent pour demander des comptes aux autorités, rapporte notre correspondante, Gaëlle Laleix.
« Le nombre croissant de disparitions de citoyens et d’étrangers dans notre pays est source de grande inquiétude, écrit sur X, Kalonzo Musyoka, ancien vice-président kényan. Ces violations des libertés fondamentales doivent cesser. »
Kabando Wa Kabando, député de l’opposition, qualifie quant à lui le gouvernement de William Ruto de « régime voyou qui permet le crime international. »
« Nairobi, sous le régime actuel, devient l’une des villes les plus redoutées d’Afrique » poursuit Eugène Wamalwa, ancien ministre de la Défense.
Beaucoup de flou demeure sur les circonstances de l’enlèvement de Kizza Besigye. Selon l’acte d’accusation de la cour martiale de Kampala, Kizza Besigye est poursuivi pour avoir été pris, à Nairobi, en possession d’une arme sans permis.
« Il est très dérangeant que Kizza Besigye ait été enlevé au Kenya et conduit de force en Ouganda, déplore James Orengo, avocat kényan, défenseur des droits de l’homme. La vraie question est maintenant de savoir si l’enlèvement a été réalisé par les agences de sécurité kényanes et sinon… alors cela soulève des interrogations sur leurs compétences et leur autorité. »
Des précédents
Le Kenya n’a rien à voir avec l’enlèvement de Kizza Besigye. C’est ce qu’a déclaré de son côté la porte-parole des forces de l’ordre. Selon les défenseurs des droits humains, depuis deux ans, ce type d’évènements se multiplient.
En juillet, 36 Ougandais, membres du Forum pour le changement démocratique, un parti d’opposition, ont été enlevés à Kisumu, sur le lac Victoria. Le gouverneur de la région avait alors accusé les services ougandais, en collaboration avec leurs homologues kényans.
En avril 2023, Morris Mabior, critique du gouvernement sud-soudanais, avait été arrêté par un homme en uniforme de la police kényane. Depuis lors, il est toujours porté disparu.
Autre affaire qui a défrayé la chronique : à Nairobi, l’assassinat par un policier – une balle dans la tête – d’un journaliste pakistanais, en 2022. La police avait alors invoqué une erreur d’identification. En juillet, une haute cour de justice kényane a reconnu que la mort du journaliste était injustifiée et l’usage de la force par la police, illégal.
Enfin, le mois dernier, quatre ressortissants turcs, demandeurs d’asile, ont été renvoyés en Turquie. Le ministère des Affaires étrangères avait reconnu avoir agi ainsi « à la demande des autorités d’Ankara ».
La société du droit kényan accuse l’administration de William Ruto de faire régresser la démocratie. « Nous sommes revenus à une époque d’enlèvements et d’assassinats », déplore Faith Odhiambo, sa présidente.
rfi