A Lomé, au Togo, 30 journalistes culturels d’Afrique de l’Ouest et du Centre ont visité l’atelier du sculpteur togolais, Dodji Kwami Agbetoglo, dans le cadre d’une formation de l’Organisation internationale de la Francophonie (Oif) sur la découvrabilité des œuvres culturelles africaines.
Son antre, son atelier est baptisé Tayé-Tayé. En langue éwé, Tayé signifie à la fois ruse et prudence. Un nom, un mantra, une méthode de travail, mais aussi un symbole des leçons sues. «Je l’ai nommé ainsi parce que j’ai appris de mes expériences au Village artisanal et dans ma vie en général. Je me sers de la ruse et de la prudence pour les nouer autour de moi comme un pagne afin de ne plus commettre les mêmes erreurs ou me faire avoir», explique-t-il modestement. Entre les murs de cet atelier qui ne paie pas de mine, Dodji Kwami Agbetoglo s’est construit un nom et une vitrine ouverte sur la culture, la richesse et l’histoire de son pays.
En ces lieux, la sculpture sur bois transcende l’artisanat pour devenir un langage artistique puissant.
Des œuvres qui prennent la forme de silhouettes humaines dépourvues de visages identifiables. Inspiré par les pratiques endogènes du Golfe de Guinée, l’artiste, selon Wody Yawo, curateur et commissaire d’exposition, «porte un intérêt particulier aux objets rituels présents dans les couvents et les cours africaines, notamment les asen qui sont des structures métalliques de forme conique inversée, surmontées d’un plateau portant diverses représentations et soutenues par une tige».
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L’artiste, aussi connu sous le nom de Steven, avait 26 ans quand il bâtissait Tayé-Tayé. Le fait qu’il soit issu d’une famille modeste et son parcours en marge du chemin classique de l’éducation académique n’ont pas été des obstacles majeurs à la poursuite de sa passion. Aujourd’hui, à 35 printemps, il nourrit toujours le même intérêt et la même ambition pour le bois, la sculpture et la culture africaine. Plutôt que de couper des arbres vivants, Agbetoglo préfère travailler avec ceux tombés naturellement, redonnant ainsi une seconde vie à ces troncs abandonnés, souvent condamnés à être brûlés ou jetés.
«Sa passion, ce sont les bois. Sauf que lui, il aime les tailler, les façonner, les polir. Un art qu’il n’a pas appris, mais qu’il a dans le sang», nous explique le curateur Wody Yawo.
Aujourd’hui, dit-t-il, «Agbetoglo a plus de 600 œuvres à son actif, réalisées dans divers types de bois, notamment l’acacia, l’acajou, l’ébène, le teck…Maintenant, quand il ajoute du fer, il fait de l’assemblage». Certaines de ses créations ont été exposées dans la sous-région et en Europe. En 2023, il a été récompensé d’une médaille de bronze en sculpture lors des Jeux de la Francophonie à Kinshasa, et ses œuvres figurent dans des collections prestigieuses.
Dodji Kwami Agbetoglo, ambassadeur de la Francophonie
Du sculpteur sur bois qui prend une autre dimension en jouant avec d’autres matières, des acteurs culturels témoignent la qualité et l’impact. Directeur de la langue française dans la diversité des cultures, Kanel Engandja Ngoulou a souligné, lors de cette visite, que les œuvres de Steven ne sont pas seulement un bien culturel, mais aussi un outil éducatif et économique. Parlant des œuvres de l’artiste Dodji Kwami Agbetoglo, il explique, l’air enjoué : «Ces produits révèlent une dimension éducative et culturelle essentielle. Les journalistes culturels ont ici une mission : sensibiliser et vulgariser l’œuvre de cet artiste, afin qu’elle atteigne un public plus large.»
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Une reconnaissance méritée qui, pour beaucoup, marque le début d’une carrière qui ne demande qu’à briller davantage. «Nous, en tant qu’organisation, et plus particulièrement notre direction, avons pour mission d’accompagner et de promouvoir les lauréats des Jeux de la Francophonie pendant quatre ans, soit jusqu’aux prochains. C’est pourquoi, en tant que lauréat des Jeux, il est également l’ambassadeur de la culture togolaise, et, par extension, l’ambassadeur de la Francophonie. C’est donc à ce titre qu’il a été choisi pour que ses œuvres soient connues du plus grand nombre, et notamment des journalistes culturels», a déclaré Kanel Engandja Ngoulou.
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Dans la cour de l’atelier, des hommes et femmes qui portent le badge estampillé «participant», blocs-notes en main, semblent absorbés, tentant de capter chaque détail, chaque nuance de cet univers boisé. Entre les questions, les échanges et les murmures, on sent la fascination et le respect grandir. Pour Karess Alexandra Essiane, journaliste à la Radiotélévision Camerounaise (CrTv), l’expérience a été révélatrice. «J’ai découvert un artiste humble et passionné.
Ce qui m’a le plus marquée, c’est sa relation profonde avec le bois.
Il ne coupe jamais les arbres, il travaille uniquement avec ceux tombés naturellement. C’est un geste respectueux de la nature, et une belle leçon de vie. Il mérite d’être davantage visible, car son travail est exceptionnel», a-t-elle témoigné. Un hommage sobre qui cadre avec tout le sens que l’on peut donner à cette visite : saluons et célébrons nos artistes de leur vivant.
Lequotidien