En début de semaine, le Pakistan a été agité par des manifestations violemment réprimées. Près de 1 000 personnes ont été arrêtées, des manifestants et des policiers sont morts. Des rassemblements qui exigeaient la libération de l’ex-Premier ministre Imran Khan avant de tourner à l’émeute urbaine ce mardi. Les écoles ont ouvert de nouveau et le calme est de retour à Islamabad où certains quartiers avaient subi des coupures partielles de connexion internet.
Les images impressionnantes des manifestations à D-Chowk, haut lieu de la contestation à Islamabad, ont fait resurgir aux yeux du monde, la crise politique latente qui agite le Pakistan.
Depuis l’arrestation d’Imran Khan en mai 2023, ses partisans réclament sa libération.
L’ex-Premier ministre garde une forte influence dans le pays. Son parti, Pakistan Tehreek-e-Insaf ou PTI (Mouvement du Pakistan pour la justice) a remporté les dernières élections législatives en février, malgré l’interdiction des candidats du PTI de se présenter pour le parti. Une victoire courte qui a permis au pouvoir en place de maintenir sa coalition. Et ce scrutin, entaché de fraude, a été qualifié de « plus grand vol d’un mandat public » par Imran Khan, dans le viseur de la justice pour une centaine d’affaires. Depuis sa cellule, il a exhorté ses partisans à descendre dans la rue pour faire pression sur les autorités et obtenir sa libération.
« Conteneristan »
Dimanche 24, des milliers de manifestants ont débuté une longue marche depuis Peshawar, la capitale de la province du la province de Khyber Pakhtunkhwa, dirigée par un membre du PTI. Bushra Bibi, femme de l’ancien Premier ministre de 2018 à 2022 a pris la tête de la contestation. Fraîchement sortie de prison, cette figure controversée au Pakistan a mené les convois arrivés à Islamabad mardi. L’objectif affiché était d’atteindre la place D-Chow, proche du parlement et du siège de plusieurs bâtiments des autorités, afin d’organiser un sit-in (rassemblement pacifique où les participants restent assis).
En arrivant dans la capitale, la dizaine de milliers de manifestants a trouvé Islamabad bouclée à double tour.
Écoles fermées, coupures de la connexion mobile et wifi dans certaines zones, conteneurs empilés par les 20 000 forces de l’ordre déployées pour bloquer le cortège. Un dispositif moqué par certains, le quotidien anglophone de référence, Dawn, utilisé le terme de « conteneristan » pour évoquer cet état de siège qui ne dit pas son nom.
Les scènes d’émeutes ont inondé les réseaux sociaux.
Aux tirs de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc, les manifestants répliquaient en jetant des projectiles de la police ou encore des pierres et des bâtons. Finalement un ultime assaut policier dans la nuit de mardi à mercredi a fini par repousser les manifestants qui sont retournés en direction de Peshawar.
Le bilan de ces journées troubles est contesté par les deux camps. Certaines figures du PTI évoquent jusqu’à 20 morts parmi les manifestants, d’autres sources internes aux partis citées par les médias locaux avancent le chiffre de six décès.
Dans le même temps, les autorités estiment que la réponse des forces de l’ordre n’a fait aucun mort, mais qu’au moins quatre policiers et soldats ont été tués. Aux accusations de violences et de tirs, appuyés par des images extrêmement impressionnantes de blessés sur les réseaux sociaux, le gouvernement propose une toute autre version. Dans une conférence de presse mercredi, Syed Ali Nasir Rizvi, inspecteur général de la police a affirmé que ne serait pas toléré « du terrorisme déguisé en manifestation » assurant que les manifestants faisaient usage d’armes létales. Des accusations fortes dans un pays qui a encore vu plusieurs policiers et soldats mourir suite à des attaques djihadistes et séparatistes ces dernières semaines.
Pauvreté structurelle
Les deux camps semblent avoir perdu des forces dans la bataille. D’un côté le jusqu’au boutisme des partisans d’Imran Khan qui assuraient rester sur la place jusqu’à la libération de l’homme que la répression a transformé en héros s’est avéré un échec. De l’autre la violence de la répression a exposé les difficultés des autorités. Au-delà de l’absence de dialogue entre les principales forces politiques, les difficultés économiques structurelles du pays de 241 millions d’habitants peuvent également alimenter le mécontentement de la population.
Avec une fiscalité très basse comparée aux autres pays de la région, l’État souffre d’une importante dette publique et a des difficultés à offrir des opportunités notamment à la jeunesse.
Les 15-24 ans en souffrent particulièrement. Selon l’étude annuelle sur l’économie du gouvernement pakistanais, ils sont 11% à être sans emploi. Le taux de pauvreté lui est extrêmement haut et devrait rester aux alentours des 40% jusqu’à 2026 d’après les prévisions de la Banque mondiale.
Mais cette situation ne s’explique pas seulement par l’absence de dialogue entre les deux principales forces politiques.
La toute puissante armée est au cœur de l’appareil d’État. Elle fait et défait les coalitions au pouvoir au Pakistan. C’est quand Imran Khan avait tenté d’interférer dans les nominations au sein de la hiérarchie militaire en 2022 que sa coalition a fini par exploser. L’armée est au cœur de l’appareil sécuritaire, mais aussi économique car elle contrôle de très nombreuses entreprises. Et elle reste pour l’instant très fidèle au gouvernement actuel du Premier ministre Shehbaz Sharif.
rfi