Dette, loi spéciale, article 47… Ce qui risque d’arriver si le budget du gouvernement Barnier ne passe pas

En cas de motion de censure adopté, le Premier ministre et son gouvernement tomberaient. Dans la foulée, la France se retrouverait sans budget pour 2025. Plusieurs options politiques mais aussi budgétaires seraient alors sur la table, ouvrant une période d’incertitude.

Depuis plusieurs jours, le gouvernement alerte en cas de censure du gouvernement de Michel Barnier en décembre. « Il y aura une tempête probablement assez grave », a menacé le Premier ministre lui-même sur TF1 ce mardi soir.

Même son de cloche pour Maud Bregeon, la porte-parole du gouvernement, qui s’inquiète que la France soit « envoyée dans le mur ». Dramatisation ou inquiétude réelle, que se passerait-il si le budget du gouvernement Barnier était rejeté?

Les conséquences sur le budget 2025 et la vie politique
Première préoccupation de l’exécutif: l’avenir du budget de l’État pour l’année prochaine. Le texte devrait revenir à l’Assemblée nationale le 18 décembre. À ce moment-là, Michel Barnier devrait « probablement » activer la cartouche du 49.3, cet article de la Constitution qui permet de faire adopter un texte sans vote.

Une motion de censure devrait ensuite être déposée dans la foulée avant d’être débattue probablement le 20 décembre.

En additionnant les voix du Rassemblement national et de la gauche, on compte 320 députés qui peuvent faire tomber le gouvernement, soit largement plus que les 289 voix nécessaires.

De facto, la France se retrouverait dans la foulée sans budget. Ce serait une première depuis les débuts de la Ve République. Pour y remédier, plusieurs hypothèses sont sur la table.

• Première option: le vote d’une « loi spéciale »
Le gouvernement démissionnaire devra gérer les affaires courantes, comme l’a fait celui de Gabriel Attal cet été. Il pourrait alors demander au Sénat et à l’Assemblée de voter une loi de finances spéciale.

L’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances permet au gouvernement de solliciter « d’urgence au Parlement l’autorisation de percevoir les impôts ». Cette disposition permet aussi « des crédits par décret dans la limite du montant de l’année précédente pour les services qui sont jugées indispensables et qui permet à l’État de fonctionner ».

Très concrètement, les différents postes du budget de l’État recevraient tous des fonds pour permettre par exemple le paiement des salaires des fonctionnaires.

Le budget de l’année dernière serait également reconduit à l’euro près et ne pourrait pas créer de nouveaux impôts. Exit donc plusieurs dispositions souhaitées par Michel Barnier comme la taxation sur les plus aisés ou la hausse des taxes sur l’électricité.

« Le projet de loi de finances 2024 passera à nouveau », a traduit Marine Le Pen lundi à sa sortie de son rendez-vous avec Matignon.
Charge ensuite au Parlement de trouver un nouvel accord sur le budget 2025. En attendant, la loi de finances spéciale découperait le budget en 12 tranches, une par mois. Ce dispositif a été utilisé pendant des années sous la IIIe République.

Exit donc le risque de « shutdown », qui fait référence à une situation de blocage budgétaire empêchant les administrations de fonctionner et aux fonctionnaires d’être payés aux États-Unis, et brandi par certains en macronie.

• Deuxième option: l’utilisation de l’article 47 de la Constitution
Autre possibilité pour le gouvernement démissionnaire: s’appuyer sur l’article 47 de la Constitution. Cette disposition permet de faire passer le budget par ordonnance si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de 70 jours. Ce délai correspond au 21 décembre à minuit pour le budget de l’État.

Problème: Michel Barnier a toutes les chances d’être renversé le 20 décembre. Un gouvernement démissionnaire peut-il, dans ce cas de figure, faire usage de ces ordonnances en Conseil des ministres?

La question divise les constitutionnalistes, la situation ne s’étant encore jamais présentée.

« On peut supposer que face à ce type d’incertitude, le gouvernement pourrait jouer la prudence et plutôt se reposer sur une loi spéciale », nous explique cependant un ancien conseiller ministériel de Bercy.

Les conséquences sur la situation financière de la France
À côté du volet politique, se posent d’autres questions plus financières. Comment les marchés, par lesquels la France finance sa dette, recevraient-il le renversement du gouvernement Barnier? Seraient-ils tentés d’augmenter les taux d’intérêt, creusant mécaniquement le déficit, qui dépasse déjà les 6%?

• Première option: un risque d’augmentation des taux d’intérêt sur la dette française
Le Premier ministre a affiché ses inquiétudes sur la situation financière. « Il y aurait probablement des turbulences graves sur les marchés financiers », a ainsi lancé Michel Barnier mardi soir sur TF1.

« Dotons la France d’un budget pour 2025 pour ne pas provoquer, en plus d’une crise politique, une crise financière », a réclamé de son côté le ministre des Budget Laurent Saint-Martin ce mercredi sur France inter.

En cas de censure du gouvernement et en l’absence d’un budget 2025 dans l’immédiat, un tel scénario « ne mettrait pas la France en faillite mais conduirait bien à une augmentation des taux d’intérêt auxquels le pays se finance sur les marchés », juge Sylvain Bersinger, économiste chez Asteres.

Des signes existent déjà: l’écart entre les taux d’intérêt de l’emprunt de référence sur dix ans entre la France et l’Allemagne a atteint son plus haut niveau depuis 2012 – ce qui laisse entendre que Paris aurait peut-être, à terme, des difficultés à faire acheter sa dette par les marchés.

Le constat reste cependant à relativiser: en 2012, l’Allemagne empruntait à des taux d’intérêt parmi les plus bas de son histoire, augmentant mécaniquement la différence avec la France. La vraie question est plutôt celle de taux qui augmenteraient légèrement ou brutalement.

« Personne ne peut anticiper la réaction de marché. Il suffit que certains gros investisseurs soient inquiétés par ce qui se passe (…) pour qu’ils se désengagent et entraînent avec eux une bonne partie du marché », analyse Gilbert Cette, professeur d’économie à Neoma Business School.

« Notre sujet est que la France et sa dette ne donnent plus confiance aux banques, aux investisseurs. Là, on aurait un gros problème. Mais, on en est encore très très loin et c’est assez peu crédible puisqu’on finira forcément par atterrir sur un budget », relativise un ex-conseiller ministériel.

• Deuxième option: la France serait en cessation de paiement
La porte-Maud Bregeon a évoqué de son côté le risque d’un « scénario à la grecque ». En 2008, Athènes avait été contrainte de faire appel au FMI et à l’Union européenne, après l’envolée des taux sur les marchés pour se financer, la poussant à se retrouver au bord du défaut de paiement.

La situation entre la Grèce en 2008 et la France en 2024 n’a pourtant rien à voir.

Athènes faisait face à des difficultés à lever l’impôt, les comptes avaient été maquillés et la place du pays sur la scène européenne n’est pas la même.

« Les taux d’intérêt grecs n’étaient pas à 3% comme aujourd’hui. Les taux d’intérêt grecs sont montés jusqu’à 30%. C’était ça, la crise », rappelle Éric Heyer, directeur du département analyse et prévision à l’OFCE.

À titre de comparaison, la Grèce avait un déficit de plus de 13% en 2008 contre 6,1% pour l’année 2024 en France.

L’Hexagone continue par ailleurs toujours à se financer sans la moindre difficulté sur les marchés, la dette tricolore restant une valeur sûre pour les investisseurs. D’autant plus que les institutions bancaires estiment que la Banque centrale européenne interviendrait en cas de grave crise.

Pour preuve: en dépit de la crise politique de l’été dernier, après la dissolution souhaitée par Emmanuel Macron et le gouvernement démissionnaire de Gabriel Attal, la « qualité de sa dette », autrement dit les chances pour les investisseurs d’être toujours remboursé, reste parmi les meilleures.

La note de la dette française a certes bien subi une rétrogradation en juillet dernier par l’agence Standard&Poor’s, alors que la France était en pleine crise politique, mais la capacité de la France a honoré les échéances de sa dette reste toujours « très fort » soulignait les critères de l’agence de notation.

bmftv

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